Cogitations 

 

François Brooks

2022-04-17

Essais personnels

 

Les Jésus (2) [1]
Langage, histoire, trinité et déni de la mort

SOMMAIRE

Le langage est une forme d'hallucination collective

Jésus a-t-il véritablement existé ?

Une histoire vraie, mais pas réelle

La forge des Jésus

Et vous, qui dites-vous que je suis ?

Les Jésus du cinéma

Mon Jésus à moi

1. Endoctrinements contradictoires : deux univers distincts

2. Trinité essentielle

3. Magie et miracle

4. Le Verbe c'est le langage

Le langage est une forme d'hallucination collective

Quand on songe combien il est naturel et avantageux pour l'Homme d'identifier sa langue et la réalité, on devine quel degré de sophistication il lui a fallu atteindre pour les dissocier et faire de chacune un objet d'étude.

André Martinet, Élément de linguistique générale, Éd. Armand Colin © 1960

La parole opère sur nous une fascination magique. Le langage est une forme d'hallucination collective forgée et soigneusement entretenue par la répétition et l'habitude. Les nombreuses années passées sur les bancs d'école ne font rien d'autre que nous former à entrer spontanément en état d'hypnose. Nous reconnaissons une vérité collective parce que le sens des mots que nous utilisons nous a été patiemment imposé par l'exercice de leur usage.

Si les lignes que vous lisez présentement font sens pour vous, alors pourquoi n'en ont-elles aucun pour le chinois, l'arabe ou l'allemand ? Le sens est l'effectivité de l'état d'hypnose. Vous ne comprenez pas ce que je veux dire ? Yves Montant l'a illustré dans ce poème de la chanson « Dans ma maison » :

On baigne dans une culture où l'on a appris à reconnaître les codes initialement arbitraires, et l'on s'accroche aux certitudes de nos habitudes linguistiques (Saussure).

Passe-moi le beurre. Où sont les toilettes ? À quelle heure est le rendez-vous ? sont des expressions familières sur lesquelles les erreurs d'interprétation sont minimes. Mais quand il s'agit de raconter une histoire, la transformation des faits en mots comporte un très haut degré d'incertitude. La même histoire est parfois méconnaissable d'un narrateur à l'autre ; à tout le moins, il vient se glisser des détails d'interprétation qui affectent le sens. La réalité des faits se transforme en représentation. Et la représentation est la vérité que l'on croit.

Jésus a-t-il véritablement existé ?

Qui était Jésus ? A-t-il véritablement existé ? Dans quelles circonstances son histoire a-t-elle été écrite ? Par qui ? En quelle langue ? Traduite combien de fois ? Pourquoi est-elle devenue si populaire ?

Michel Onfray a produit un immense travail de décryptage historique, et un jour, une enseignante d'histoire lui a posé la question d'une voix fébrile. Qu'en est-il de l'inexistence historique de Jésus alors que tous les manuels d'histoire et ses collègues confirment qu'il a bel et bien existé ? [2]


Onfray n'a rien à reprocher au Jésus du mythe sinon le consentement à la souffrance. Lorsqu'il examine le mécanisme mythique, il prend bien soin d'ailleurs d'adopter l'attitude chrétienne par excellence : la compassion pour les croyants qu'il pourrait offenser en apprenant que leur vérité ne correspond pas à la réalité. Onfray reconnaît que le mythe peut apporter une réponse au besoin humain de sublimité, mais il refuse le principe chrétien qui affirme la nécessité de la souffrance pour y parvenir.

Une histoire vraie, mais pas réelle

Dans le langage courant, nous utilisons souvent les termes exister, vérité et réalité, sans distinction. Ce ne sont pas des synonymes. L'existence n'appartient pas qu'à la réalité ; la vérité aussi existe, mais différemment.

La vérité est ce en quoi l'on croit. Elle est propre à chacun, et acquiert davantage de consistance à mesure que la croyance se répand. Elle se constitue avec le temps, et elle est sujette aux transformations en traversant les époques, les cultures, les traductions et les mutations progressives de la langue. Un Jésus réel a peut-être existé — et même s'il a réellement existé — l'histoire qui nous est parvenue a servi les intérêts de si nombreuses affectations, qu'il serait impossible de le reconnaître si un voyage dans le temps nous permettait de le rejoindre personnellement. La langue qu'il parlait — dialecte araméen galiléen — est disparue ; nous ne pourrions le comprendre. Nous ne pourrions entrer dans l'hallucination nécessaire pour que son langage agisse sur notre esprit. Et quand je dis langage, il ne s'agit pas seulement de la langue ; il s'agit aussi de tous les codes culturels qui nous habitent et qui donnent sens à la communication.

À peu près tout ce qui constitue notre réalité contemporaine lui est étranger. Jésus ne sait pas ce qu'est une autoroute, une automobile, l'électricité, l'ordinateur, ni les mille choses qui conditionnent notre existence actuelle. Il ne pourrait tout simplement pas nous comprendre. On peut évidemment lui attribuer l'intelligence de s'adapter, mais nul ne pourrait certifier ce qu'il dirait dans telle ou telle situation. Tout ce que l'on peut lui faire dire appartient à l'interprétation.

Si bien que nous ne connaissons de Jésus que les histoires produites, transcrites, traduites et interprétées à son sujet. En ce sens, il devient une création mythologique. Son histoire est inspirante, certes, mais elle est loin de notre réalité, et presque rien de sa réalité n'est encore aujourd'hui actuel ; que des récits conçus pour répondre aux impératifs gouvernementaux à travers les âges.

La forge des Jésus

Bref, nous ne connaissons de Jésus que l'histoire qu'on nous a racontée. Aucune trace écrite, historique et archéologique, factuelle et irréfutable à part les documents qui permettent de retracer la forge d'une représentation. L'iconographie est impressionnante. Chaque portrait est connoté. Ici un Jésus réfléchissant, là un Jésus enseignant, un autre souffrant, et finalement un Christ glorieux. Jésus prend tous les visages humains et divins auxquels on peut s'identifier, mais il ne nous est parvenu rien de personnel : ni photo, ni vidéo, ni enregistrement sonore ; ni même aucun écrit de sa main, pas même le moindre portrait ou croquis : l'étoffe du Suaire de Turin est de fabrication médiévale. Rien d'authentique ; que du bouche-à-oreille : que du téléphone arabe.

À force d'en parler, même le néant finit par prendre consistance, mais, peu importe, si Jésus est né d'une nécessité historique, sa raison d'être se justifie, et elle est plus importante que la réalité factuelle.

Et vous, qui dites-vous que je suis ?

Le langage est le lieu de la vérité. Et la vérité n'est qu'interprétations. Essentiellement, le récit est une performance de représentations. Il forge nos vérités. C'est pourquoi, en religion, l'interdit de représentation est si important. Mais pour l'appliquer, il faudrait s'interdire toute forme de reproduction : ne pas en parler — tout comme il est interdit chez les Hébreux de prononcer ni même d'écrire le nom de Dieu. Le réel, tout comme Dieu, est ineffable. Il est — un point c'est tout. Il est l'existence même : le réel[3]. « Je suis celui qui est », disait Hachem à Moïse. Toute reproduction n'est qu'une pâle copie du réel. Là où la vérité coïncide avec le réel, il est impossible de l'exprimer. C'est le propre de Dieu d'être ineffable.

Mais si jamais personne n'en parlait, comment connaîtrions-nous l'histoire de Jésus ? Le principe évangélique se base sur la propagation de la foi ; c'est le principal schisme avec l'Ancien Testament. La religion du Peuple choisi de Hachem s'est universalisée avec le Christ. Le pari chrétien mise sur la nécessité de la Révélation au risque du galvaudage ; parlez de moi en bien ou en mal, le plus important c'est d'être connu du plus grand nombre. La foi devient même secondaire ; connaître le récit lui confère déjà sa vérité. Introduit dans les esprits, le mème devient viral et fait office de référence générale incontournable. L'histoire de Jésus a été racontée un nombre incalculable de fois, et elle est devenue universelle. Chacun se l'est appropriée. Chaque génération la raconte à sa manière. Raconte-moi l'histoire de Jésus, et je te dirai qui tu es.

Les Jésus du cinéma

En 5 décennies, le cinéma nous a proposé 8 visions d'un possible Jésus. C'est la plus illustre histoire connue. Chaque cinéaste l'éclaire sous le regard de sa réalité. On dit qu'il ne se nommait pas Jésus, mais Ieschoua.

1965
La plus grande histoire jamais contée de George Stevens dépeint un Jésus mobilisant les foules par des mystifications miraculeuses. Il est aux prises avec les trois pouvoirs que sont la Rome impériale, les prêtres juifs et la royauté dévoyée. Les foules voient en lui un sauveur, mais il perd vite sa popularité puisqu'il ne se mêle pas de politique, mais se préoccupe de l'âme des gens. Stevens essaie de décrire une époque lointaine où le temps s'écoulait lentement.

1973
Le Jesus Christ Superstar de Norman Jewison, interroge le phénomène Jésus sous l'angle des bénéfices narcissiques de l'exposition médiatique. Dans la lignée de la Beatlemania, phénomène nouveau engendré par la popularité considérable dont jouissent certaines vedettes, l'auteur se demande pourquoi Jésus n'a pas choisi de naître au XXe siècle : il aurait ainsi pu jouir des médias de masse pour propager efficacement son message.

1977
Le Jésus de Nazareth de Franco Zeffirelli est un personnage éthéré, idéal . Présenté avec un souci de fidélité aux Évangiles, il nous livre un Jésus divin. Les miracles accomplis sont essentiels à sa légitimation. Sa perfection angélique nous le rend cependant inaccessible. Il appartient à un monde loin de l'humanité et des travers de la vie pratique.

1979
Dans un esprit résolument satyrique, Monty Python nous présente la vie de Jésus sous le pseudonyme de Bryan. Life of Brian dépeint le Christ, tout comme sa mère Marie, sous les traits de personnes ordinaires avec les défauts humains courants : une mère avare, calculatrice et dominatrice ; un Brian pleutre, sans caractère et indécis devenu Christ malgré lui.

1988
Martin Scorsese présente La dernière tentation du Christ. Il tente de répondre à la question « Pourquoi ne te sauves-tu pas toi-même ? » si souvent posée au Christ en croix. C'est un Jésus hésitant, tourmenté et bien humain en qui tout homme peut se reconnaître. Scorsese montre pourquoi le phénomène « Jésus-Christ » pourrait parfaitement se passer de la personne Ieschoua. L'époque avait besoin d'un Christ, elle l'a fabriqué.

1989
Denys Arcand propose un Jésus de Montréal prêt-à-porter. Actualisé par des notes anthropologiques et une analyse psychosociale de l'époque, cet Ieschoua est incarné par un acteur qui joue le rôle dans une pièce présentée à des touristes en pèlerinage à montréalais. D'un humanisme troublant, le comédien est si habité du personnage qu'il risque sa santé mentale dans un monde sordide qui n'est pas fait pour lui.

2004
La passion du Christ de Mel Gibson met l'accent sur les souffrances de Jésus dans sa chair. À la limite du vraisemblable, cet homme-Dieu va encaisser de telles tortures, que l'on souhaite que la mort le délivre rapidement. Ce Christ est si sanglant que le message évangélique se trouve dilué. Mais la naissance du pouvoir de la victime prend une force considérable.

2014
Dans Le Fils de Dieu, Christopher Spencer fait voir un Jésus fidèle aux Évangiles. Le récit accentue la bonté humaine d'un Jésus attachant. Les personnages bons et méchants sont tranchés ; le récit force l'adhésion. Selon qu'il s'adresse aux apôtres, à la foule, aux autorités juives ou romaines, Jésus est un guide, un prophète, un blasphémateur ou un illuminé déjanté. Les miracles fondent sa crédibilité.

Mon Jésus à moi

Endoctrinements contradictoires : deux univers distincts

Je ne connais de Jésus que ce que l'on m'a enseigné selon les Évangiles contenant la « vérité » collective de l'endoctrinement religieux catholique. Ce Jésus entre en contradiction avec le second endoctrinement de mon éducation : la « réalité » physique de Lavoisier et de Newton dont le premier stipule que rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ; et le second, que tous les corps sont soumis à la gravitation universelle. Le premier nécessite ma foi ; je vérifie le second continuellement par ma perception courante au quotidien.

Le dogme chrétien postule que Jésus est Dieu en personne, et qu'à ce titre, il peut enfreindre à sa guise les lois de l'Univers qu'il a pourtant lui-même établies en tant que démiurge. Il y a donc deux univers distincts : l'un divin, magique, inquiétant, imprévisible, contradictoire ; l'autre réel, stable, vérifiable, rassurant.

Ici surgit une question fabuleuse. Comment Dieu peut-il outrepasser les lois de l'Univers ? Parce qu'il est essentiellement Esprit, idée, conception, pensée ; et que l'esprit est libre de toute matière. Il peut concevoir le monde à sa guise, affranchi de toute nécessité matérielle. Mais alors, peut-on nier le principe de réalité qui ne cesse de se manifester à tout moment sans sombrer dans la folie ?

Trinité essentielle

Pour fonctionner, le dogme chrétien est régi par une divinité triple  : Dieu, Jésus et l'Esprit. Dieu est une entité surpuissante, mais inaccessible, hors de portée humaine. On ne peut même pas le nommer ; il est l'Être même, sans attribut spécifique puisqu'il est tout. Il est, simplement. On ne peut rien en dire sans se tromper ; il est ineffable.

La divinité de Dieu serait incompréhensible sans modèle ; et elle n'est humainement accessible que par un modèle humain. Jésus constitue justement l'entité nécessaire à humaniser ce Dieu autrement inaccessible. Doté d'un corps faible et mortel, il se veut amour et compassion. Pour élever la condition humaine au-dessus des inévitables vicissitudes de la vie, il postule un Dieu paternel et bon. Il pousse cette élévation jusqu'à concevoir la mort même comme un accès nécessaire à la réunion effective de l'humain à Dieu.

L'Esprit est la liberté totale de la divinité qui peut tout faire puisqu'il n'a qu'à concevoir ce qu'il veut. Il n'a aucune restriction matérielle ; il ravive les corps, transporte les montagnes, transforme la réalité ; et le tout, très facilement puisqu'il est pensée pure. Sa portée n'est limitée que par l'imagination. C'est le démiurge absolu ; tout ce qu'il conçoit est amené à l'existence. Il n'est pas limité par le réel puisqu'il le transforme à sa guise, il l'interprète librement.

Le triptyque divin chrétien est composé d'être, de compassion et de liberté. Cette divinité ne peut se concevoir divisée, mais on a besoin de l'analyser pour la comprendre. Elle constitue un système fonctionnel à trois rouages mutuellement indispensables. Elle devient contradictoire pour la raison uniquement lorsque l'on isole une de ses parties sans considérer la nécessité des deux autres. Par exemple, le Jésus mort en croix est un raté. Mais rien de plus facile que d'imaginer Jésus ressuscité. Il n'y a qu'à y penser, et l'esprit le fait réapparaître comme n'importe quel fantôme ordinaire. L'esprit est absolument libre de recréer ce qu'il veut.

Penser à quelque chose, c'est créer une réalité spirituelle, une réalité imaginaire. Si Jésus n'avait jamais existé en tant qu'homme, ne serait-ce que dans un conte, il serait impossible de le ressusciter en esprit. C'est pourquoi son existence historique est secondaire puisque le récit des Évangiles suffit à l'imaginer. Et même si sa réalité n'est qu'une forge à partir d'un homme historique très approximatif, elle est suffisante pour lui attribuer une réalité imaginaire. L'imagination n'est pas rien, c'est l'esprit libre de concevoir ce qu'il veut. Et lorsque l'on croit en quelque chose — et même si l'on refuse d'y croire —, ce quelque chose n'est pas rien.

Magie et miracle

Les Évangiles racontent que Jésus était un magicien divin qui médusait les foules avec des miracles. Ces anecdotes garantiraient son essence divine. Changer l'eau en vin, marcher sur l'eau, calmer la tempête, ressusciter Lazare ; que des actes de bonté. Mais si les miracles avaient été malheureux, qu'aurait-on pensé ? Et pourtant, plusieurs miracles peuvent être interprétés ainsi. Par exemple, la résurrection de Lazare lui a imposé de mourir deux fois. Lazare a donc survécu malade plus longtemps pour finir par mourir de toute façon. Où est l'avantage, si ce n'est que la glorification d'un guérisseur qui n'apporte qu'un bénéfice éphémère ? Était-ce un miracle heureux que de prolonger l'agonie d'un ami et doubler la souffrance de mourir ? Autre exemple. Le propriétaire du troupeau de pourceaux qui s'est jeté dans la mer n'a surement pas été enchanté de ce « miracle ». La loi juive interdit de manger du porc. Le récit compte donc pour rien leur noyade. Mais n'y a-t-il pas lieu de dédommager l'éleveur du troupeau ?

Certains chrétiens fondent leur foi sur la mystification. Ils pensent que les miracles prouvent la divinité de Jésus. Ils pensent donc que sans miracles, il serait un imposteur. Mais quelle est la valeur d'un Dieu qui s'amuse à épater la galerie par la magie ? Le Diable n'a-t-il pas le même pouvoir ? Jésus est-il Dieu ou Diable ? Lorsque l'on focalise sur la mystification, on attribue à Jésus le rôle de Dieu. Dans la trinité, son rôle est tout autre. Si Jésus est Dieu, on doit donc lui reprocher tous ceux que sa bonté a omis de guérir. On doit lui reprocher tous les malheurs qui surviennent sans qu'il intervienne. Et à ce titre, il serait un Dieu cruel et détestable pratiquant le favoritisme. Bref, les miracles sèment la confusion et nuisent au message de compassion qui est le seul véritable attribut divin de Jésus. C'est à travers la dignité qu'il démontre en souffrant sur la croix en s'abstenant de toute haine sinon envers Dieu de l'avoir abandonné que l'on est en mesure d'estimer sa valeur héroïque.

Le Verbe c'est le langage

« Le Verbe s'est fait chair », dit-on pour désigner la divinité de Jésus-Christ. La parole c'est le langage, et le langage est magique ; c'est la manifestation de l'esprit. Les mots sont magiques ; une seule parole de compassion et l'on se sent déjà mieux. La langue donne un accès magique à l'univers ; elle est toute puissante ; elle fait littéralement apparaître le monde et fixe la réalité.

Tout ce qui fait partie du langage est magique : rien de réel, que de la représentation, que de la mystification. Peu importe qu'un Ieschoua historique ait existé ou non ; Jésus est une construction mythique nécessaire puisqu'elle est soutenue par 2,4 milliards d'individus dans le monde. Comme pour le Père Noël, nous avons besoin d'une figure humaine de bonté pour adoucir les rigueurs de la vie dans les moments difficiles. Autrement, elle serait insupportable. La bonté peut prendre toutes sortes de formes, mais la chrétienté l'a personnifiée sous le modèle héroïque de Jésus dans le déni de la mort.

[1] Complément de Les Jésus (1) publiée le 10 mars 2005.

[2] Michel Onfray, Brève encyclopédie du monde - Cosmos, Le Sublime, Coffret No 4, Frémeaux © 2018, CD8 (08-11).

[3] À distinguer le réel de la réalité et de la vérité :

La réalité c'est ce qui vous arrive quand vous frappez un mur à grande vitesse ainsi que tout événement situé dans le temps.
Le réel est inaccessible autrement que par la perception. En soi, il est absolu, divin et immuable.
La vérité c'est le sentiment issu de l'expérience. Elle est propre à chacun. La réalité partagée par plusieurs personnes provoque l'agréable sentiment d'unité. C'est ce que recherche toute religion, tout spectacle, toute performance artistique et tout enseignement.

Dans le langage courant, les trois termes sont souvent utilisés comme synonymes. Cette méprise sème la confusion et provoque la majorité des controverses. La confusion est si largement répandue qu'il faut sérieusement prendre le temps de la démêler. (Voir le texte Vérité et réalité où j'ai produit un premier exercice de distinction.)

L'individu est réel, mais il est ancré dans la réalité par un système sensoriel qui lui permet de concevoir des vérités, c'est-à-dire des interprétations personnelles d'événements vécus. Ces événements se vérifient par l'expérience et le partage des interprétations. Mais il y a deux types de vérités : la vérité à soi-même, Privée et la vérité partagée (religieuse) Publique. Quand Jésus dit : « En vérité en vérité je vous le dis... » il partage sa perception et son interprétation du monde avec l'intention qu'elle se répande au plus grand nombre. Lorsque, par la foi (la confiance), nous adhérons à sa vision, nous consentons à greffer une vérité Publique sur notre vérité Privée.

Mais comme nos expériences de la réalité sont souvent difficiles, on se demande parfois si les vérités publiques de sa religion ne sont pas fausses. La foi religieuse chrétienne oblige à assumer d'amères contradictions. On aime l'idée de l'amour divin paternel et universel, mais on déchante vite lorsque la réalité cruelle du monde nous frappe. Le Dieu chrétien est d'une bonté infinie, mais il a tout créé, y compris les circonstances de nos pires expériences. C'est pourquoi la foi chrétienne s'ancre dans la souffrance du Christ crucifié. Le côté héroïque d'un Christ supportant les pires sévices et triomphant de la mort dans une résurrection glorieuse est le modèle idéal de la consolation apporté par le dogme chrétien.

Mais la résurrection corporelle est-elle possible ? Et même si elle l'était, est-elle seulement désirable ? Les prêtres répètent sans cesse que la foi sauve. L'individu livré aux douleurs de l'existence, et surtout vers la fin de la vie qui occasionne des souffrances croissantes et sans autre issue que la mort, est perdu dans l'angoisse effrayante d'un monde cruel qui l'a fait naître, et l'a destiné à une déchéance sans appel. Sans la foi chrétienne, l'existence se transforme en une monstruosité abominable où il devient évident que l'on n'aurait jamais dû naître. La haine qui surgit alors est immense ; elle empoisonne les derniers moments d'une existence vaine et atroce. D'où le beau pari de Pascal et le paradoxe chrétien de Kierkegaard où les principes de la chrétienté sont si puissants qu'ils deviennent incontournables. La réalité de l'existence historique de Jésus n'a plus d'importance.

Philo5
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