LES LUMIÈRES 

Marquis de Sade

 

Texte fondateur

1782 et 1795

Athéisme, sexualisme,
immoralisme et anti-passion

SOMMAIRE

Dialogue entre un prêtre et un moribond

Français, encore un effort...
[Quatre principaux forfaits]

1. La calomnie

2. Le vol

3. Le libertinage

La pudeur

La prostitution

L'adultère

Maisons de débauche

Fixer l'âge

Rétablir la balance pour les femmes

Paternité et famille

Libération de la femme

L'inceste

Le viol

Sodomie, travestisme, bisexualité et pédérastie

Monstres et animaux

4. Meurtre, peine de mort et suicide

1. Le meurtre est-il un crime aux yeux de la nature ?

2. Est-il un crime en politique ?

3. Le meurtre est-il un crime contre la société ?

4. Comment le meurtre doit-il être vu dans un État guerrier et républicain ?

     Infanticide et avortement

5. Le meurtre doit-il être réprimé par le meurtre ?

     Le suicide

La Philosophie dans le boudoir

L'histoire de Juliette [Discours contre l'amour sentimental]

Dialogue entre un prêtre et un moribond[1]

Prêtre            — Arrivé à cet instant fatal, où le voile de l'illusion ne se déchire que pour laisser à l'homme séduit le tableau cruel de ses erreurs et de ses vices, ne vous repentez-vous point, mon enfant, des désordres multipliés où vous ont emporté la faiblesse et la fragilité humaine ?

Moribond    — Oui, mon ami, je me repens.

Prêtre            — Eh bien, profitez de ces remords heureux pour obtenir du ciel, dans le court intervalle qui vous reste, l'absolution générale de vos fautes, et songez que ce n'est que par la médiation du très saint sacrement de la pénitence qu'il vous sera possible de l'obtenir de l'Éternel.

Moribond    — Je ne t'entends pas plus que tu ne m'as compris.

Prêtre            — Eh quoi !

Moribond    — Je t'ai dit que je me repentais.

Prêtre            — Je l'ai entendu.

Moribond    — Oui, mais sans le comprendre.

Prêtre            — Quelle interprétation ? ...

Moribond    — La voici... Créé par la nature avec des goûts très vifs, avec des passions très fortes ; uniquement placé dans ce monde pour m'y livrer et pour les satisfaire, et ces effets de ma création n'étant que des nécessités relatives aux premières vues de la nature ou, si tu l'aimes mieux, que des dérivaisons essentielles à ses projets sur moi, tous en raison de ses lois, je ne me repens que de n'avoir pas assez reconnu sa toute-puissance, et mes uniques remords ne portent que sur le médiocre usage que j'ai fait des facultés (criminelles selon toi, toutes simples selon moi) qu'elle m'avait données pour la servir ; je lui ai quelquefois résisté, je m'en repens. Aveuglé par l'absurdité de tes systèmes, j'ai combattu par eux toute la violence des désirs, que j'avais reçus par une inspiration bien plus divine, et je m'en repens, je n'ai moissonné que des fleurs quand je pouvais faire une ample récolte de fruits... Voilà les justes motifs de mes regrets, estime-moi assez pour ne m'en pas supposer d'autres.

Prêtre            — Où vous entraînent vos erreurs, où vous conduisent vos sophismes ! Vous prêtez à la chose créée toute la puissance du créateur, et ces malheureux penchants vous ont égaré — vous ne voyez pas qu'ils ne sont que des effets de cette nature corrompue, à laquelle vous attribuez la toute-puissance.

Moribond    — Ami — il me paraît que ta dialectique est aussi fausse que ton esprit. Je voudrais que tu raisonnasses plus juste, ou que tu ne me laissasses mourir en paix. Qu'entends-tu par créateur, et qu'entends-tu par nature corrompue ?

Prêtre            — Le créateur est le maître de l'univers, c'est lui qui a tout fait, tout créé, et qui conserve tout par un simple effet de sa toute-puissance.

Moribond    — Voilà un grand homme assurément. Eh bien, dis-moi pourquoi cet homme-là qui est si puissant a pourtant fait selon toi une nature si corrompue.

Prêtre            — Quel mérite eussent eu les hommes, si Dieu ne leur eût pas laissé leur libre arbitre, et quel mérite eussent-ils à en jouir s'il n'y eût sur la terre la possibilité de faire le bien et celle d'éviter le mal ?

Moribond    — Ainsi ton dieu a voulu faire tout de travers pour tenter, ou pour éprouver sa créature ; il ne la connaissait donc pas, il ne se doutait donc pas du résultat ?

Prêtre            — Il la connaissait sans doute, mais encore un coup il voulait lui laisser le mérite du choix.

Moribond    — À quoi bon, dès qu'il savait le parti qu'elle prendrait et qu'il ne tenait qu'à lui, puisque tu le dis tout-puissant, qu'il ne tenait qu'à lui, dis-je, de lui faire prendre le bon.

Prêtre            — Qui peut comprendre les vues immenses et infinies de Dieu sur l'homme et qui peut comprendre tout ce que nous voyons ?

Moribond    — Celui qui simplifie les choses, mon ami, celui surtout qui ne multiplie pas les causes, pour mieux embrouiller les effets. Qu'as-tu besoin d'une seconde difficulté, quand tu ne peux pas expliquer la première, et dès qu'il est possible que la nature toute seule ait fait ce que tu attribues à ton dieu, pourquoi veux-tu lui aller chercher un maître ? La cause de ce que tu ne comprends pas, est peut-être la chose du monde la plus simple. Perfectionne ta physique et tu comprendras mieux la nature, épure ta raison, bannis tes préjugés et tu n'auras plus besoin de ton dieu.

Prêtre            — Malheureux ! je ne te croyais que socinien — j'avais des armes pour te combattre, mais je vois bien que tu es athée, et dès que ton coeur se refuse à l'immensité des preuves authentiques que nous recevons chaque jour de l'existence du créateur — je n'ai plus rien à te dire. On ne rend point la lumière à un aveugle.

Moribond    — Mon ami, conviens d'un fait, c'est que celui des deux qui l'est le plus, doit assurément être plutôt celui qui se met un bandeau que celui qui se l'arrache. Tu édifies, tu inventes, tu multiplies, moi je détruis, je simplifie. Tu ajoutes erreurs sur erreurs, moi je les combats toutes. Lequel de nous deux est aveugle ?

Prêtre            — Vous ne croyez donc point en Dieu ?

Moribond    — Non. Et cela pour une raison bien simple, c'est qu'il est parfaitement impossible de croire ce qu'on ne comprend pas. Entre la compréhension et la foi, il doit exister des rapports immédiats ; la compréhension n'agit point, la foi est morte, et ceux qui, dans tel cas prétendraient en avoir, en imposent. Je te défie toi-même de croire au dieu que tu me prêches — parce que tu ne saurais me le démontrer, parce qu'il n'est pas en toi de me le définir, que par conséquent tu ne le comprends pas — que dès que tu ne le comprends pas, tu ne peux plus m'en fournir aucun argument raisonnable et qu'en un mot tout ce qui est au-dessus des bornes de l'esprit humain, est ou chimère ou inutilité ; que ton dieu ne pouvant être l'une ou l'autre de ces choses, dans le premier cas je serais un fou d'y croire, un imbécile dans le second.

Mon ami, prouve-moi l'inertie de la matière, et je t'accorderai le créateur, prouve-moi que la nature ne se suffit pas à elle-même, et je te permettrai de lui supposer un maître ; jusque-là n'attends rien de moi, je ne me rends qu'à l'évidence, et je ne la reçois que de mes sens ; où ils s'arrêtent ma foi reste sans force. Je crois le soleil parce que je le vois, je le conçois comme le centre de réunion de toute la matière inflammable de la nature, sa marche périodique me plaît sans m'étonner. C'est une opération de physique, peut-être aussi simple que celle de l'électricité, mais qu'il ne nous est pas permis de comprendre. Qu'ai-je besoin d'aller plus loin, lorsque tu m'auras échafaudé ton dieu au-dessus de cela, en serais-je plus avancé, et ne me faudra-t-il pas encore autant d'effort pour comprendre l'ouvrier que pour définir l'ouvrage ?

Par conséquent, tu ne m'as rendu aucun service par l'édification de ta chimère, tu as troublé mon esprit, mais tu ne l'as pas éclairé et je ne te dois que de la haine au lieu de reconnaissance. Ton dieu est une machine que tu as fabriquée pour servir tes passions, et tu l'as fait mouvoir à leur gré, mais dès qu'elle gêne les miennes trouve bon que je l'aie culbutée, et dans l'instant où mon âme faible a besoin de calme et de philosophie, ne viens pas l'épouvanter de tes sophismes, qui l'effraieraient sans la convaincre, qui l'irriteraient sans la rendre meilleure ; elle est, mon ami, cette âme, ce qu'il a plu à la nature qu'elle soit, c'est-à-dire le résultat des organes qu'elle s'est plu de me former en raison de ses vues et de ses besoins ; et comme elle a un égal besoin de vices et de vertus, quand il lui a plu de me porter aux premiers, elle m'en a inspiré les désirs, et je m'y suis livré tout de même. Ne cherche que ses lois pour unique cause à notre inconséquence humaine, et ne cherche à ses lois d'autres principes que ses volontés et ses besoins.

Prêtre            — Ainsi donc tout est nécessaire dans le monde.

Moribond    — Assurément.

Prêtre            — Mais si tout est nécessaire — tout est donc réglé. [Déterminisme]

Moribond    — Qui te dit le contraire ?

Prêtre            — Et qui peut régler tout comme il l'est si ce n'est une main toute-puissante et toute sage ?

Moribond    — N'est-il pas nécessaire que la poudre s'enflamme quand on y met le feu ?

Prêtre            — Oui.

Moribond    — Et quelle sagesse trouves-tu à cela ?

Prêtre            — Aucune.

Moribond    — Il est donc possible qu'il y ait des choses nécessaires sans sagesse et possible par conséquent que tout dérive d'une cause première, sans qu'il y ait ni raison ni sagesse dans cette première cause.

Prêtre            — Où voulez-vous en venir ?

Moribond    — À te prouver que tout peut être ce qu'il est et ce que tu vois, sans qu'aucune cause sage et raisonnable le conduise, et que des effets naturels doivent avoir des causes naturelles, sans qu'il soit besoin de leur en supposer d'antinaturelles, telle que le serait ton dieu qui lui-même, ainsi que je te l'ai déjà dit, aurait besoin d'explication, sans en fournir aucune ; et que, par conséquent dès que ton dieu n'est bon à rien, il est parfaitement inutile ; qu'il y a grande apparence que ce qui est inutile est nul et que tout ce qui est nul est néant ; ainsi, pour me convaincre que ton dieu est une chimère, je n'ai besoin d'aucun autre raisonnement que celui qui me fournit la certitude de son inutilité.

Prêtre            — Sur ce pied-là, il me paraît peu nécessaire de vous parler de religion.

Moribond    — Pourquoi pas, rien ne m'amuse comme la preuve de l'excès où les hommes ont pu porter sur ce point-là le fanatisme et l'imbécillité ; ce sont des espèces d'écarts si prodigieux, que le tableau selon moi, quoique horrible, en est toujours intéressant. Réponds avec franchise et surtout bannis l'égoïsme. Si j'étais assez faible que de me laisser surprendre à tes ridicules systèmes sur l'existence fabuleuse de l'être qui me rend la religion nécessaire, sous quelle forme me conseillerais-tu de lui offrir un culte ? Voudrais-tu que j'adoptasse les rêveries de Confucius, plutôt que les absurdités de Brahma, adorerais-je le grand serpent des nègres, l'astre des Péruviens ou le dieu des armées de Moïse, à laquelle des sectes de Mahomet voudrais-tu que je me rendisse, ou quelle hérésie de chrétiens serait selon toi préférable ? Prends garde à ta réponse.

Prêtre            — Peut-elle être douteuse ?

Moribond    — La voilà donc égoïste.

Prêtre            — Non, c'est t'aimer autant que moi que de te conseiller ce que je crois.

Moribond    — Et c'est nous aimer bien peu tous deux que d'écouter de pareilles erreurs.

Prêtre            — Et qui peut s'aveugler sur les miracles de notre divin rédempteur ?

Moribond    — Celui qui ne voit en lui que le plus ordinaire de tous les fourbes et le plus plat de tous les imposteurs.

Prêtre            — Ô dieux, vous l'entendez et vous ne tonnez pas !

Moribond    — Non, mon ami, tout est en paix, parce que ton dieu, soit impuissance, soit raison, soit tout ce que tu voudras enfin, dans un être que je n'admets un moment que par condescendance pour toi, ou si tu l'aimes mieux pour me prêter à tes petites vues, parce que ce dieu, dis-je, s'il existe comme tu as la folie de le croire, ne peut pas pour nous convaincre avoir pris des moyens aussi ridicules que ceux que ton Jésus suppose.

Prêtre            — Eh quoi, les prophéties, les miracles, les martyrs, tout cela ne sont pas des preuves ?

Moribond    — Comment veux-tu en bonne logique que je puisse recevoir comme preuve tout ce qui en a besoin soi-même ? Pour que la prophétie devînt preuve, il faudrait d'abord que j'eusse la certitude complète qu'elle a été faite ; or cela étant consigné dans l'histoire, ne peut plus avoir pour moi d'autre force que tous les autres faits historiques, dont les trois quarts sont fort douteux ; si à cela j'ajoute encore l'apparence plus que vraisemblable qu'ils ne me sont transmis que par des historiens intéressés, je serai comme tu vois plus qu'en droit d'en douter. Qui m'assurera d'ailleurs que cette prophétie n'a pas été l'effet de la combinaison de la plus simple politique comme celle qui voit un règne heureux sous un roi juste, ou de la gelée dans l'hiver ; et si tout cela est, comment veux-tu que la prophétie ayant un tel besoin d'être prouvée puisse elle-même devenir une preuve ?

À l'égard de tes miracles, ils ne m'en imposent pas davantage. Tous les fourbes en ont fait, et tous les sots en ont cru ; pour me persuader de la vérité d'un miracle, il faudrait que je fusse bien sûr que l'événement que vous appelez tel fût absolument contraire aux lois de la nature, car il n'y a que ce qui est hors d'elle qui puisse passer pour miracle, et qui la connaît assez pour oser affirmer que tel est précisément celui où elle est enfreinte ? Il ne faut que deux choses pour accréditer un prétendu miracle, un bateleur et des femmelettes ; va, ne cherche jamais d'autre origine aux tiens, tous les nouveaux sectateurs en ont fait, et ce qui est plus singulier, tous ont trouvé des imbéciles qui les ont crus. Ton Jésus n'a rien fait de plus singulier qu'Apollonius de Thyane, et personne pourtant ne s'avise de prendre celui-ci pour un dieu ; quant à tes martyrs, ce sont bien assurément les plus débiles de tous tes arguments. Il ne faut que de l'enthousiasme et de la résistance pour en faire, et tant que la cause opposée m'en offrira autant que la tienne, je ne serai jamais suffisamment autorisé à en croire une meilleure que l'autre, mais très porté en revanche à les supposer toutes les deux pitoyables.

Ah ! mon ami, s'il était vrai que le dieu que tu prêches existât, aurait-il besoin de miracles, de martyrs et de prophéties pour établir son empire, et si, comme tu le dis, le coeur de l'homme était son ouvrage, ne serait-ce pas là le sanctuaire qu'il aurait choisi pour sa loi ? Cette loi égale, puisqu'elle émanerait d'un dieu juste, s'y trouverait d'une manière irrésistible également gravée dans tous, et d'un bout de l'univers à l'autre, tous les hommes se ressemblant par cet organe délicat et sensible se ressembleraient également par l'hommage qu'ils rendraient au dieu de qui ils le tiendraient, tous n'auraient qu'une façon de l'aimer, tous n'auraient qu'une façon de l'adorer ou de le servir et il leur deviendrait aussi impossible de méconnaître ce dieu que de résister au penchant de son culte. Que vois-je au lieu de cela dans l'univers, autant de dieux que de pays, autant de manières de servir ces dieux que de différentes têtes ou de différentes imaginations, et cette multiplicité d'opinions dans laquelle il m'est physiquement impossible de choisir serait selon toi l'ouvrage d'un dieu juste ?

Va, prédicant tu l'outrages ton dieu en me le présentant de la sorte, laisse-moi le nier tout à fait, car s'il existe, alors je l'outrage bien moins par mon incrédulité que toi par tes blasphèmes. Reviens à la raison, prédicant, ton Jésus ne vaut pas mieux que Mahomet, Mahomet pas mieux que Moïse, et tous trois pas mieux que Confucius qui pourtant dicta quelques bons principes pendant que les trois autres déraisonnaient ; mais en général tous ces gens-là ne sont que des imposteurs, dont le philosophe s'est moqué, que la canaille a crus et que la justice aurait dû faire pendre.

Prêtre            — Hélas, elle ne l'a que trop fait pour l'un des quatre.

Moribond    — C'est celui qui le méritait le mieux. Il était séditieux, turbulent, calomniateur, fourbe, libertin, grossier farceur et méchant dangereux, possédait l'art d'en imposer au peuple et devenait par conséquent punissable dans un royaume en l'état où se trouvait alors celui de Jérusalem. Il a donc été très sage de s'en défaire et c'est peut-être le seul cas où mes maximes, extrêmement douces et tolérantes d'ailleurs, puissent admettre la sévérité de Thémis; j'excuse toutes les erreurs, excepté celles qui peuvent devenir dangereuses dans le gouvernement où l'on vit ; les rois et leurs majestés sont les seules choses qui m'en imposent, les seules que je respecte, et qui n'aime pas son pays et son roi n'est pas digne de vivre.

Prêtre            — Mais enfin, vous admettez bien quelque chose après cette vie, il est impossible que votre esprit ne se soit pas quelquefois plu à percer l'épaisseur des ténèbres du sort qui nous attend, et quel système peut l'avoir mieux satisfait que celui d'une multitude de peines pour celui qui vit mal et d'une éternité de récompenses pour celui qui vit bien ?

Moribond    — Quel, mon ami ? celui du néant ; jamais il ne m'a effrayé, et je n'y voit rien que de consolant et de simple ; tous les autres sont l'ouvrage de l'orgueil, celui-là seul l'est de la raison. D'ailleurs il n'est ni affreux ni absolu, ce néant. N'ai-je pas sous mes yeux l'exemple des générations et régénérations perpétuelles de la nature ? Rien ne périt, mon ami, rien ne se détruit dans le monde ; aujourd'hui homme, demain ver, après-demain mouche, n'est-ce pas toujours exister ? Et pourquoi veux-tu que je sois récompensé de vertus auxquelles je n'ai nul mérite, ou puni de crimes dont je n'ai pas été le maître ; peux-tu accorder la bonté de ton prétendu dieu avec ce système et peut-il avoir voulu me créer pour se donner le plaisir de me punir, et cela seulement en conséquence d'un choix dont il ne me laisse pas le maître ?

Prêtre            — Vous l'êtes.

Moribond    — Oui, selon tes préjugés ; mais la raison les détruit et le système de la liberté de l'homme ne fut jamais inventé que pour fabriquer celui de la grâce qui devenait si favorable à vos rêveries. Quel est l'homme au monde qui, voyant l'échafaud à côté du crime, le commettrait s'il était libre de ne pas le commettre ? Nous sommes entraînés par une force irrésistible, et jamais un instant les maîtres de pouvoir nous déterminer pour autre chose que pour le côté vers lequel nous sommes inclinés. Il n'y a pas une seule vertu qui ne soit nécessaire à la nature et réversiblement, pas un seul crime dont elle n'ait besoin, et c'est dans le parfait équilibre qu'elle maintient des uns et des autres, que consiste toute sa science, mais pouvons-nous être coupables du côté dans lequel elle nous jette ? Pas plus que ne l'est la guêpe qui vient darder son aiguillon dans ta peau.

Prêtre            — Ainsi donc, le plus grand de tous les crimes ne doit nous inspirer aucune frayeur ?

Moribond    — Ce n'est pas là ce que je dis, il suffit que la loi le condamne, et que le glaive de la justice le punisse, pour qu'il doive nous inspirer de l'éloignement ou de la terreur, mais, dès qu'il est malheureusement commis, il faut savoir prendre son parti, et ne pas se livrer au stérile remords ; son effet est vain, puisqu'il n'a pas pu nous en préserver, nul, puisqu'il ne le répare pas ; il est donc absurde de s'y livrer et plus absurde encore de craindre d'en être puni dans l'autre monde si nous sommes assez heureux que d'avoir échappé de l'être en celui-ci. À Dieu ne plaise que je veuille par là encourager au crime, il faut assurément l'éviter tant qu'on le peut, mais c'est par raison qu'il faut savoir le fuir, et non par de fausses craintes qui n'aboutissent à rien et dont l'effet est sitôt détruit dans une âme un peu ferme. La raison — mon ami, oui, la raison toute seule doit nous avertir que de nuire à nos semblables ne peut jamais nous rendre heureux, et que notre coeur, que de contribuer à leur félicité, est la plus grande pour nous que la nature nous ait accordé sur la terre ; toute la morale humaine est renfermée dans ce seul mot : rendre les autres aussi heureux que l'on désire de l'être soi-même et ne leur jamais faire plus de mal que nous n'en voudrions recevoir.

Voilà, mon ami, voilà les seuls principes que nous devions suivre et il n'y a besoin ni de religion, ni de dieu pour goûter et admettre ceux-là, il n'est besoin que d'un bon coeur.

Mais je sens que je m'affaiblis, prédicant, quitte tes préjugés, sois homme, sois humain, sans crainte et sans espérance ; laisse là tes dieux et tes religions ; tout cela n'est bon qu'à mettre le fer à la main des hommes, et le seul nom de toutes ces horreurs a plus fait verser de sang sur la terre, que toutes les autres guerres et les autres fléaux à la fois. Renonce à l'idée d'un autre monde, il n'y en a point, mais ne renonce pas au plaisir d'être heureux et d'en faire en celui-ci. Voilà la seule façon que la nature t'offre de doubler ton existence ou de l'étendre. Mon ami, la volupté fut toujours le plus cher de mes biens, je l'ai encensée toute ma vie, et j'ai voulu la terminer dans ses bras : ma fin approche, six femmes plus belles que le jour sont dans ce cabinet voisin, je les réservais pour ce moment-ci, prends-en ta part, tâche d'oublier sur leurs seins à mon exemple tous les vains sophismes de la superstition, et toutes les imbéciles erreurs de l'hypocrisie.

NOTE
Le moribond sonna, les femmes entrèrent et le prédicant devint dans leur bras un homme corrompu par la nature, pour n'avoir pas su expliquer ce que c'était que la nature corrompue.

Français, encore un effort...[2]
[Quatre principaux forfaits]

p. 33

Quoi qu'il en soit, les forfaits que nous pouvons commettre envers nos frères se réduisent à quatre principaux : la calomnie, le vol, les délits qui, causés par l'impureté, peuvent atteindre désagréablement les autres, et le meurtre. Toutes ces actions, considérées comme capitales dans un gouvernement monarchique, sont-elles aussi graves dans un État républicain ? C'est ce que nous allons analyser avec le flambeau de la philosophie, car c'est à sa seule lumière qu'un tel examen doit s'entreprendre. Qu'on ne me taxe point d'être un novateur dangereux ; qu'on ne dise pas qu'il y a du risque à émousser, comme le feront peut-être ces écrits, le remords dans l'âme des malfaiteurs ; qu'il y a le plus grand mal à augmenter par la douceur de ma morale le penchant que ces mêmes malfaiteurs ont aux crimes : j'atteste ici formellement n'avoir aucune de ces vues perverses ; j'expose les idées qui depuis l'âge de raison se sont identifiées avec moi et au sujet desquelles l'infâme despotisme des tyrans s'était opposé tant de siècles. Tant pis pour ceux que ces grandes idées corrompraient, tant pis pour ceux qui ne savent saisir que le mal dans des opinions philosophiques, susceptibles de se corrompre à tout ! Qui sait s'ils ne se gangrèneraient peut-être pas aux lectures de Sénèque et de Charron ? Ce n'est point à eux que je parle : je ne m'adresse qu'à des gens capables de m'entendre, et ceux-là me liront sans danger.

1. La calomnie

p. 34

J'avoue avec la plus extrême franchise que je n'ai jamais cru que la calomnie fût un mal, et surtout dans un gouvernement comme le nôtre, où tous les hommes, plus liés, plus rapprochés, ont évidemment un plus grand intérêt à se bien connaître. De deux choses l'une : ou la calomnie porte sur un homme véritablement pervers, ou elle tombe sur un être vertueux. On conviendra que dans le premier cas il devient à peu près indifférent que l'on dise un peu plus de mal d'un homme connu pour en faire beaucoup : peut-être même alors le mal qui n'existe pas éclairera-t-il sur celui qui est, et voilà le malfaiteur mieux connu.

S'il règne, je suppose, une influence malsaine à Hanovre, mais que je ne doive courir d'autres risques, en m'exposant à cette inclémence de l'air, que de gagner un accès de fièvre, pourrai-je savoir mauvais gré à l'homme qui, pour m'empêcher d'y aller, m'aurait dit qu'on y mourait dès en arrivant ? Non, sans doute ; car, en m'effrayant par un grand mal, il m'a empêché d'en éprouver un petit. La calomnie porte-t-elle au contraire sur un homme vertueux ? Qu'il ne s'en alarme pas : qu'il se montre, et tout le venin du calomniateur retombera bientôt sur lui-même. La calomnie, pour de telles gens, n'est qu'un scrutin épuratoire dont leur vertu ne sortira que plus brillante. Il y a même ici du profit pour la masse des vertus de la république : car cet homme vertueux et sensible, piqué de l'injustice qu'il vient d'éprouver, s'appliquera à mieux faire encore ; il voudra surmonter cette calomnie dont il se croyait à l'abri, et ses belles actions n'acquerront qu'un degré d'énergie de plus. Ainsi, dans le premier cas, le calomniateur aura produit d'assez bons effets, en grossissant les vices de l'homme dangereux ; dans le second, il en aura produit d'excellents, en contraignant la vertu à s'offrir à nous tout entière. Or, je demande maintenant sous quel rapport le calomniateur pourra vous paraître à craindre, dans un gouvernement surtout où il est si essentiel de connaître les méchants et d'augmenter l'énergie des bons ? Que l'on se garde donc bien de prononcer aucune peine contre la calomnie ; considérons-la sous le double rapport d'un fanal et d'un stimulant, et dans tous les cas comme quelque chose de très utile.

2. Le vol

p. 36

Le vol est le second des délits moraux dont nous nous sommes proposé l'examen.

Si nous parcourons l'Antiquité, nous verrons le vol permis, récompensé dans toutes les républiques de la Grèce : Sparte ou Lacédémone le favorisait ouvertement ; quelques autres peuples l'ont regardé comme une vertu guerrière : il est certain qu'il entretient le courage, la force, l'adresse, toutes les vertus, en un mot, utiles à un gouvernement républicain, et par conséquent au nôtre. J'oserai demander, sans partialité maintenant, si le vol, dont l'effet est d'égaliser les richesses, est un grand mal dans un gouvernement dont le but est l'égalité. Non, sans doute : car, s'il entretient l'égalité d'un côté, de l'autre il rend plus exact à conserver son bien. Il y avait un peuple qui punissait non pas le voleur, mais celui qui s'était laissé voler, afin de lui apprendre à soigner ses propriétés. Ceci nous amène à des réflexions plus étendues.

À Dieu ne plaise que je veuille attaquer ou détruire ici le serment du respect des propriétés, que vient de prononcer la nation : mais me permettra-t-on quelques idées sur l'injustice de ce serment ? Quel est l'esprit d'un serment prononcé par tous les individus d'une nation ? N'est-il pas de maintenir une parfaite égalité parmi les citoyens, de les soumettre tous également à la loi protectrice des propriétés de tous ? Or, je vous demande maintenant si elle est bien juste, la loi qui ordonne à celui qui n'a rien de respecter celui qui a tout. Quels sont les éléments du pacte social ? Ne consiste-t-il pas à céder un peu de sa liberté et de ses propriétés pour assurer et maintenir ce que l'on conserve de l'un et de l'autre ?

Toutes les lois sont assises sur ces bases ; elles sont les motifs des punitions infligées à celui qui abuse de sa liberté. Elles autorisent de même les impositions ; ce qui fait qu'un citoyen ne se récrie pas lorsqu'on les exige de lui, c'est qu'il sait qu'au moyen de ce qu'il donne, on lui conserve ce qui lui reste ; mais, encore une fois, de quel droit celui qui n'a rien s'enchaînera-t-il sous un pacte qui ne protège que celui qui a tout ? Si vous faites un acte d'équité en conservant, par votre serment, les propriétés du riche, ne faites-vous pas une injustice en exigeant ce serment du « conservateur » qui n'a rien ? Quel intérêt celui-ci a-t-il à votre serment ? Et pourquoi voulez-vous qu'il promette une chose uniquement favorable à celui qui diffère autant de lui par ses richesses ? Il n'est assurément rien de plus injuste : un serment doit avoir un effet égal sur tous les individus qui le prononcent ; il est impossible qu'il puisse enchaîner celui qui n'a aucun intérêt à son maintien, parce qu'il ne serait plus alors le pacte d'un peuple libre : il serait l'arme du fort sur le faible, contre lequel celui-ci devrait se révolter sans cesse ; or c'est ce qui arrive dans le serment du respect des propriétés que vient d'exiger la nation : le riche seul y enchaîne le pauvre, le riche seul a intérêt au serment que prononce le pauvre avec tant d'inconsidération qu'il ne voit pas qu'au moyen de ce serment, extorqué à sa bonne foi, il s'engage à faire une chose qu'on ne peut pas faire vis-à-vis de lui.

Convaincus, ainsi que vous devez l'être, de cette barbare inégalité, n'aggravez donc pas votre injustice en punissant celui qui n'a rien d'avoir osé dérober quelque chose à celui qui a tout : votre inéquitable serment lui en donne plus de droit que jamais. En le contraignant au parjure par ce serment absurde pour lui, vous légitimez tous les crimes où le portera ce parjure ; il ne vous appartient donc plus de punir ce dont vous avez été la cause. Je n'en dirai pas davantage pour faire sentir la cruauté horrible qu'il y a à punir les voleurs. Imitez la loi sage du peuple dont je viens de parler ; punissez l'homme assez négligent pour se laisser voler, mais ne prononcez aucune espèce de peine contre celui qui vole [...].

3. Le libertinage

p. 39

Les délits que nous devons examiner dans cette seconde classe des devoirs de l'homme envers ses semblables consistent dans les actions que peut faire entreprendre le libertinage, parmi lesquelles se distinguent particulièrement, comme plus attentatoires à ce que chacun doit aux autres, la prostitution, l'adultère, l'inceste, le viol et la sodomie. Nous ne devons certainement pas douter un moment que tout ce qui s'appelle crimes moraux, c'est-à-dire toutes les actions de l'espèce de celles que nous venons de citer, ne soit parfaitement indifférent dans un gouvernement dont le seul devoir consiste à conserver, par tel moyen que ce puisse être, la forme essentielle à son maintien : voilà l'unique morale d'un gouvernement républicain. Or, puisqu'il est toujours contrarié par les despotes qui l'environnent, on ne saurait imaginer raisonnablement que ses moyens conservateurs puissent être des moyens moraux ; car il ne se conservera que par la guerre, et rien n'est moins moral que la guerre. Maintenant, je demande comment on parviendra à démontrer que dans un État immoral par ses obligations, il soit essentiel que les individus soient moraux. Je dis plus : il est bon qu'ils ne le soient pas. [...]

La pudeur

p. 40

Détaillons maintenant et commençons par analyser la pudeur, ce mouvement pusillanime, contradictoire aux affections impures. S'il était dans les intentions de la nature que l'homme fût pudique, assurément elle ne l'aurait pas fait naître nu ; une infinité de peuples, moins dégradés que nous par la civilisation, vont nus et n'en éprouvent aucune honte ; il ne faut pas douter que l'usage de se vêtir n'ait eu pour unique base, et l'inclémence de l'air, et la coquetterie des femmes ; elles sentirent qu'elles perdraient bientôt tous les effets du désir si elles les prévenaient, au lieu de les laisser naître ; elles conçurent que, la nature d'ailleurs ne les ayant pas créées sans défauts, elles s'assureraient bien mieux tous les moyens de plaire en déguisant ces défauts par des parures ; ainsi la pudeur, loin d'être une vertu, ne fut donc plus qu'un des premiers effets de la corruption, qu'un des premiers moyens de la coquetterie des femmes. [...]

La prostitution

p. 42

[...] de l'impudeur naissent des penchants luxurieux ; ce qui résulte de ces penchants compose les prétendus crimes que nous analysons et dont la prostitution est le premier effet. Maintenant que nous sommes revenus sur tout cela de la foule d'erreurs religieuses qui nous captivaient et que, plus rapprochés de la nature par la quantité de préjugés que nous venons d'anéantir, nous n'écoutons que sa voix, bien assurés que, s'il y avait du crime à quelque chose, ce serait plutôt à résister aux penchants qu'elle nous inspire qu'à les combattre, persuadés que, la luxure étant une suite de ces penchants, il s'agit bien moins d'éteindre cette passion dans nous que de régler les moyens d'y satisfaire en paix. Nous devons donc nous attacher à mettre de l'ordre dans cette partie, à y établir toute la sûreté nécessaire à ce que le citoyen, que le besoin rapproche des objets de luxure, puisse se livrer avec ces objets à tout ce que ses passions lui prescrivent, sans jamais être enchaîné par rien, parce qu'il n'est aucune passion dans l'homme qui ait plus besoin de toute l'extension de la liberté que celle-là. Différents emplacements sains, vastes, proprement meublés et sûrs dans tous les points, seront érigés dans les villes ; là, tous les sexes, tous les âges, toutes les créatures seront offerts aux caprices des libertins qui viendront jouir, et la plus entière subordination sera la règle des individus présentés ; le plus léger refus sera puni aussitôt arbitrairement par celui qui l'aura éprouvé.

[...] or, toutes les fois que vous ne donnerez pas à l'homme le moyen secret d'exhaler la dose de despotisme que la nature mit au fond de son coeur, il se rejettera pour l'exercer sur les objets qui l'entoureront, il troublera le gouvernement. Permettez, si vous voulez éviter ce danger, un libre essor à ces désirs tyranniques qui, malgré lui, le tourmentent sans cesse ; content d'avoir pu exercer sa petite souveraineté au milieu du harem d'icoglans ou de sultanes que vos soins et son argent lui soumettent, il sortira satisfait et sans aucun désir de troubler un gouvernement qui lui assure aussi complaisamment tous les moyens de sa concupiscence. Exercez, au contraire, des procédés différents, imposez sur ces objets de la luxure publique les ridicules entraves jadis inventées par la tyrannie ministérielle et par la lubricité de nos Sardanapales[3] : 1'homme, bientôt aigri contre votre gouvernement, bientôt jaloux du despotisme qu'il vous voit exercer tout seul, secouera le joug que vous lui imposez et, las de votre manière de le régir, en changera comme il vient de le faire.

Voyez comme les législateurs grecs, bien pénétrés de ces idées, traitaient la débauche à Lacédémone, à Athènes ; ils en enivraient le citoyen, bien loin de la lui interdire ; aucun genre de lubricité ne lui était défendu, et Socrate, déclaré par l'oracle le plus sage des philosophes de la terre, passant indifféremment des bras d'Aspasie dans ceux d'Alcibiade, n'en était pas moins la gloire de la Grèce. Je vais aller plus loin, et quelque contraires que soient mes idées à nos coutumes actuelles, comme mon objet est de prouver que nous devons nous presser de changer ces coutumes si nous voulons conserver le gouvernement adopté, je vais essayer de vous convaincre que la prostitution des femmes connues sous le nom d'honnêtes n'est pas plus dangereuse que celle des hommes, et que non seulement nous devons les associer aux luxures exercées dans les maisons que j'établis, mais que nous devons même en ériger pour elles, où leurs caprices et les besoins de leur tempérament, bien autrement ardent que le nôtre, puissent de même se satisfaire avec tous les sexes.

L'adultère

p. 45

Jamais un acte de possession ne peut être exercé sur un être libre ; il est aussi injuste de posséder exclusivement une femme qu'il l'est de posséder des esclaves ; tous les hommes sont nés libres, tous sont égaux en droit : ne perdons jamais de vue ces principes ; il ne peut donc être jamais donné, d'après cela, de droit légitime à un sexe de s'emparer exclusivement de l'autre, et jamais 1'un de ces sexes ou l'une de ces classes ne peut posséder l'autre arbitrairement. Une femme même, dans la pureté des lois de la nature, ne peut alléguer, pour motif du refus qu'elle fait à celui qui la désire, l'amour qu'elle a pour un autre, parce que ce motif en devient un d'exclusion, et qu'aucun homme ne peut être exclu de la possession d'une femme du moment qu'il est clair qu'elle appartient décidément à tous les hommes. L'acte de possession ne peut être exercé que sur un immeuble ou sur un animal ; jamais il ne peut 1'être sur un individu qui nous ressemble, et tous les liens qui peuvent enchaîner une femme à un homme, de telle espèce que vous puissiez les supposer, sont aussi injustes que chimériques.

S'il devient donc incontestable que nous avons reçu de la nature le droit d'exprimer nos voeux indifféremment à toutes les femmes, il le devient de même que nous avons celui de l'obliger de se soumettre à nos voeux, non pas exclusivement, je me contrarierais, mais momentanément[4]. Il est incontestable que nous avons le droit d'établir des lois qui la contraignent de céder aux feux de celui qui la désire ; la violence même étant un des effets de ce droit, nous pouvons l'employer légalement. Eh ! la nature n'a-t-elle pas prouvé que nous avions ce droit, en nous départissant la force nécessaire à les soumettre à nos désirs ?

En vain les femmes doivent-elles faire parler, pour leur défense, ou la pudeur ou leur attachement à d'autres hommes ; ces moyens chimériques sont nuls ; nous avons vu plus haut combien la pudeur était un sentiment factice et méprisable. L'amour, qu'on peut appeler la folie de l'âme, n'a pas plus de titres pour légitimer leur constance ; ne satisfaisant que deux individus, l'être aimé et l'être aimant, il ne peut servir au bonheur des autres, et c'est pour le bonheur de tous, et non pour un bonheur égoïste et privilégié, que nous ont été données les femmes.

Maisons de débauche

p. 47

Tous les hommes ont donc un droit de jouissance égal sur toutes les femmes ; il n'est donc aucun homme qui, d'après les lois de la nature, puisse s'ériger sur une femme un droit unique et personnel. La loi qui les obligera de se prostituer, tant que nous le voudrons, aux maisons de débauche dont il vient d'être question, et qui les y contraindra si elles s'y refusent, qui les punira si elles y manquent, est donc une loi des plus équitables, et contre laquelle aucun motif légitime ou juste ne saurait réclamer.

Un homme qui voudra jouir d'une femme ou d'une fille quelconque pourra donc, si les lois que vous promulguez sont justes, la faire sommer de se trouver dans l'une des maisons dont j'ai parlé ; et là, sous la sauvegarde des matrones de ce temple de Vénus, elle lui sera livrée pour satisfaire, avec autant d'humilité que de soumission, tous les caprices qu'il lui plaira de se passer avec elle, de quelque bizarrerie ou de quelque irrégularité qu'ils puissent être, parce qu'il n'en est aucun qui ne soit dans la nature, aucun qui ne soit avoué par elle.

Fixer l'âge

p. 48

Il ne s'agirait plus ici que de fixer l'âge ; or je prétends qu'on ne le peut sans gêner la liberté de celui qui désire la jouissance d'une fille de tel ou tel âge. Celui qui a le droit de manger le fruit d'un arbre peut assurément le cueillir mûr ou vert suivant les inspirations de son goût. Mais, objectera-t-on, il est un âge où les procédés de l'homme nuiront décidément à la santé de la fille. Cette considération est sans aucune valeur ; dès que vous m'accordez le droit de propriété sur la jouissance, ce droit est indépendant des effets produits par la jouissance ; de ce moment il devient égal que cette jouissance soit avantageuse ou nuisible à l'objet qui doit s'y soumettre. N'ai-je pas déjà prouvé qu'il était légal de contraindre la volonté d'une femme sur cet objet, et qu'aussitôt qu'elle inspirait le désir de la jouissance, elle devait se soumettre à cette jouissance, abstraction faite de tout sentiment égoïste ? Il en est de même de sa santé. Dès que les égards qu'on aurait pour cette considération détruiraient ou affaibliraient la jouissance de celui qui la désire, et qui a le droit de se l'approprier, cette considération d'âge devient nulle, parce qu'il ne s'agit nullement ici de ce que peut éprouver l'objet condamné par la nature et par la loi à l'assouvissement momentané des désirs de l'autre ; il n'est question, dans cet examen, que de ce qui convient à celui qui désire. Nous rétablirons la balance.

Rétablir la balance pour les femmes

p. 49

Oui, nous la rétablirons, nous le devons sans doute ; ces femmes que nous venons d'asservir si cruellement, nous devons incontestablement les dédommager, et c'est ce qui va former la réponse à la seconde question que je me suis proposée.

Si nous admettons, comme nous venons de le faire, que toutes les femmes doivent être soumises à nos désirs, assurément nous pouvons leur permettre de même de satisfaire amplement tous les leurs ; nos lois doivent favoriser sur cet objet leur tempérament de feu, et il est absurde d'avoir placé et leur honneur et leur vertu dans la force antinaturelle qu'elles mettent à résister aux penchants qu'elles ont reçus avec bien plus de profusion que nous ; [...]. Je dis donc que les femmes, ayant reçu des penchants bien plus violents que nous aux plaisirs de la luxure, pourront s'y livrer tant qu'elles le voudront, absolument dégagées de tous les liens de l'hymen, de tous les faux préjugés de la pudeur, absolument rendues à l'état de nature ; je veux que les lois leur permettent de se livrer à autant d'hommes que bon leur semblera ; je veux que la jouissance de tous les sexes et de toutes les parties de leur corps leur soit permise comme aux hommes ; et, sous la clause spéciale de se livrer de même à tous ceux qui le désireront, il faut qu'elles aient la liberté de jouir également de tous ceux qu'elles croiront dignes de les satisfaire.

Paternité et famille

p. 50

Quels sont, je le demande, les dangers de cette licence ? Des enfants qui n'auront point de pères ? Eh ! qu'importe dans une république où tous les individus ne doivent avoir d'autre mère que la patrie, où tous ceux qui naissent sont tous enfants de la patrie ? Ah ! combien l'aimeront mieux ceux qui, n'ayant jamais connu qu'elle, sauront dès en naissant que ce n'est que d'elle qu'ils doivent tout attendre ! N'imaginez pas de faire de bons républicains tant que vous isolerez dans leurs familles les enfants qui ne doivent appartenir qu'à la république. En donnant là seulement à quelques individus la dose d'affection qu'ils doivent répartir sur tous leurs frères, ils adoptent inévitablement les préjugés souvent dangereux de ces individus ; leurs opinions, leurs idées s'isolent, se particularisent et toutes les vertus d'un homme d'État leur deviennent absolument impossibles. Abandonnant enfin leur coeur tout entier à ceux qui les ont fait naître, ils ne trouvent plus dans ce coeur aucune affection pour celle qui doit les faire vivre, les faire connaître et les illustrer, comme si ces seconds bienfaits n'étaient pas plus importants que les premiers ! S'il y a le plus grand inconvénient à laisser des enfants sucer ainsi dans leurs familles des intérêts souvent bien différents de ceux de la patrie, il y a donc le plus grand avantage à les en séparer ; ne le sont-ils pas naturellement par les moyens que je propose, puisqu'en détruisant absolument tous les liens de l'hymen, il ne naît plus d'autres fruits des plaisirs de la femme que des enfants auxquels la connaissance de leur père est absolument interdite, et avec cela les moyens de ne plus appartenir qu'à une même famille, au lieu d'être, ainsi qu'ils le doivent, uniquement les enfants de la patrie ?

Libération de la femme

p. 51

Il y aura donc des maisons destinées au libertinage des femmes et, comme celles des hommes, sous la protection du gouvernement ; là, leur seront fournis tous les individus de l'un et l'autre sexe qu'elles pourront désirer, et plus elles fréquenteront ces maisons, plus elles seront estimées. Il n'y a rien de si barbare et de si ridicule que d'avoir attaché l'honneur et la vertu des femmes à la résistance qu'elles mettent à des désirs qu'elles ont reçus de la nature et qu'échauffent sans cesse ceux qui ont la barbarie de les blâmer. Dès l'âge le plus tendre[5], une fille dégagée des liens paternels, n'ayant plus rien à conserver pour l'hymen (absolument aboli par les sages lois que je désire), au-dessus du préjugé enchaînant autrefois son sexe, pourra donc se livrer à tout ce que lui dictera son tempérament dans les maisons établies à ce sujet ; elle y sera reçue avec respect, satisfaite avec profusion et, de retour dans la société, elle y pourra parler aussi publiquement des plaisirs qu'elle aura goûtés qu'elle le fait aujourd'hui d'un bal ou d'une promenade. Sexe charmant, vous serez libre ; vous jouirez comme les hommes de tous les plaisirs dont la nature vous fait un devoir ; vous ne vous contraindrez sur aucun. La plus divine partie de l'humanité doit-elle donc recevoir des fers de l'autre ? Ah ! brisez-les, la nature le veut ; n'ayez plus d'autre frein que celui de vos penchants, d'autres lois que vos seuls désirs, d'autre morale que celle de la nature ; ne languissez pas plus longtemps dans ces préjugés barbares qui flétrissaient vos charmes et captivaient les élans divins de vos coeurs[6] ; vous êtes libres comme nous, et la carrière des combats de Vénus vous est ouverte comme à nous ; ne redoutez plus d'absurdes reproches ; le pédantisme et la superstition sont anéantis ; on ne vous verra plus rougir de vos charmants écarts ; couronnée de myrtes et de roses, l'estime que nous concevrons pour vous ne sera plus qu'en raison de la plus grande étendue que vous vous serez permis de leur donner.

L'inceste

p. 55

L'inceste est-il plus dangereux ? Non, sans doute ; il étend les liens des familles et rend par conséquent plus actif l'amour des citoyens pour la patrie ; il nous est dicté par les premières lois de la nature, nous l'éprouvons, et la jouissance des objets qui nous appartiennent nous sembla toujours plus délicieuse. Les premières institutions favorisent l'inceste ; on le trouve dans l'origine des sociétés ; il est consacré dans toutes les religions ; toutes les lois l'ont favorisé. Si nous parcourons l'univers, nous trouverons l'inceste établi partout. Les nègres de la Côte du Poivre et de Rio-Gabon prostituent leurs femmes à leurs propres enfants ; l'aîné des fils, au royaume de Juda, doit épouser la femme de son père ; les peuples du Chili couchent indifféremment avec leurs soeurs, leurs filles, et épousent souvent à la fois la mère et la fille. J'ose assurer, en un mot, que l'inceste devrait être la loi de tout gouvernement dont la fraternité fait la base. Comment des hommes raisonnables purent-ils porter l'absurdité au point de croire que la jouissance de sa mère, de sa soeur ou de sa fille pourrait jamais devenir criminelle ! N'est-ce pas, je vous le demande, un abominable préjugé que celui qui paraît faire un crime à un homme d'estimer plus pour sa jouissance l'objet dont le sentiment de la nature le rapproche davantage ? Il vaudrait autant dire qu'il nous est défendu d'aimer trop les individus que la nature nous enjoint d'aimer le mieux, et que plus elle nous donne de penchants pour un objet plus elle nous ordonne en même temps de nous en éloigner ! Ces contrariétés sont absurdes : il n'y a que des peuples abrutis par la superstition qui puissent les croire ou les adopter. La communauté des femmes que j'établis entraînant nécessairement l'inceste, il reste peu de chose à dire sur un prétendu délit dont la nullité est trop démontrée pour s'y appesantir davantage ;

Le viol

p. 56

et nous allons passer au viol qui semble être au premier coup d'oeil, de tous les écarts du libertinage, celui dont la lésion est le mieux établie, en raison de l'outrage qu'il paraît faire. Il est pourtant certain que le viol, action si rare et si difficile à prouver, fait moins de tort au prochain que le vol, puisque celui-ci envahit la propriété que l'autre se contente de détériorer. Qu'aurez-vous d'ailleurs à objecter au violateur s'il vous répond qu'en fait, le mal qu'il a commis est bien médiocre, puisqu'il n'a fait que placer un peu plus tôt l'objet dont il a abusé au même état où l'aurait bientôt mis l'hymen ou l'amour ?

Sodomie, travestisme, bisexualité et pédérastie

p. 57

Mais la sodomie, mais ce prétendu crime, qui attira le feu du ciel sur les villes qui y étaient adonnées, n'est-il point un égarement monstrueux, dont le châtiment ne saurait être assez fort ? Il est sans doute bien douloureux pour nous d'avoir à reprocher à nos ancêtres les meurtres judiciaires qu'ils ont osé se permettre à ce sujet. Est-il possible d'être assez barbare pour oser condamner à mort un malheureux individu dont tout le crime est de ne pas avoir les mêmes goûts que vous ? On frémit lorsqu'on pense qu'il n'y a pas encore quarante ans que l'absurdité des législateurs en était encore là. Consolez-vous, citoyens ; de telles absurdités n'arriveront plus : la sagesse de vos législateurs vous en répond. Entièrement éclairci sur cette faiblesse de quelques hommes, on sent bien aujourd'hui qu'une telle erreur ne peut être criminelle, et que la nature ne saurait avoir mis au fluide qui coule dans nos reins une assez grande importance pour se courroucer sur le chemin qu'il nous plaît de faire prendre à cette liqueur.

Quel est le seul crime qui puisse exister ici ? Assurément ce n'est pas de se placer dans tel ou tel lieu, à moins qu'on ne voulût soutenir que toutes les parties du corps ne se ressemblent point, et qu'il en est de pures et de souillées ; mais, comme il est impossible d'avancer de telles absurdités, le seul prétendu délit ne saurait consister ici que dans la perte de la semence. Or, je demande s'il est vraisemblable que cette semence soit tellement précieuse aux yeux de la nature qu'il devienne impossible de la perdre sans crime ? Procéderait-elle tous les jours à ces pertes si cela était ? Et n'est-ce pas les autoriser que de les permettre dans les rêves, dans l'acte de la jouissance d'une femme grosse ? Est-il possible d'imaginer que la nature nous donnât la possibilité d'un crime qui l'outragerait ? Est-il possible qu'elle consente à ce que les hommes détruisent ses plaisirs et deviennent par là plus forts qu'elle ? Il est inouï dans quel gouffre d'absurdités l'on se jette quand on abandonne, pour raisonner, les secours du flambeau de la raison ! Tenons-nous donc pour bien assurés qu'il est aussi simple de jouir d'une femme d'une manière que de l'autre, qu'il est absolument indifférent de jouir d'une fille ou d'un garçon, et qu'aussitôt qu'il est constant qu'il ne peut exister en nous d'autres penchants que ceux que nous tenons de la nature, elle est trop sage et trop conséquente pour en avoir mis dans nous qui puissent jamais l'offenser.

Celui de la sodomie est le résultat de l'organisation, et nous ne contribuons pour rien à cette organisation. Des enfants de l'âge le plus tendre annoncent ce goût, et ne s'en corrigent jamais. Quelquefois il est le fruit de la satiété ; mais, dans ce cas même, en appartient-il moins à la nature ? Sous tous les rapports, il est son ouvrage, et, dans tous les cas, ce qu'elle inspire doit être respecté par les hommes. Si, par un recensement exact, on venait à prouver que ce goût affecte infiniment plus que l'autre, que les plaisirs qui en résultent sont beaucoup plus vifs, et qu'en raison de cela ses sectateurs sont mille fois plus nombreux que ses ennemis, ne serait-il pas possible de conclure alors que, loin d'outrager la nature, ce vice servirait ses vues, et qu'elle tient bien moins à la progéniture que nous n'avons la folie de le croire ? Or, en parcourant l'univers, que de peuples ne voyons-nous pas mépriser les femmes ! Il en est qui ne s'en servent absolument que pour avoir l'enfant nécessaire à les remplacer. L'habitude que les hommes ont de vivre ensemble dans les républiques y rendra toujours ce vice plus fréquent, mais il n'est certainement pas dangereux. Les législateurs de la Grèce l'auraient-ils introduit dans leur république s'ils l'avaient cru tel ? Bien loin de là, ils le croyaient nécessaire à un peuple guerrier. Plutarque nous parle avec enthousiasme du bataillon des amants et des aimés ; eux seuls défendirent longtemps la liberté de la Grèce. Ce vice régna dans l'association des frères d'armes ; il la cimenta ; les plus grands hommes y furent enclins. L'Amérique entière, lorsqu'on la découvrit, se trouva peuplée de gens de ce goût. À la Louisiane, chez les Illinois, des Indiens, vêtus en femmes, se prostituaient comme des courtisanes. Les nègres de Benguelé entretiennent publiquement des hommes ; presque tous les sérails d'Alger ne sont plus aujourd'hui peuplés que de jeunes garçons. On ne se contentait pas de tolérer, on ordonnait à Thèbes l'amour des garçons ; le philosophe de Chéronée le prescrivit pour adoucir les moeurs des jeunes gens. Nous savons à quel point il régna dans Rome : on y trouvait des lieux publics, où de jeunes garçons se prostituaient sous l'habit de filles et des jeunes filles sous celui de garçons. Martial, Catulle, Tibulle, Horace et Virgile écrivaient à des hommes comme à leurs maîtresses, et nous lisons enfin dans Plutarque[7] que les femmes ne doivent avoir aucune part à l'amour des hommes. Les Amasiens de l'île de Crète enlevaient autrefois de jeunes garçons avec les plus singulières cérémonies. Quand ils en aimaient un, ils en faisaient part aux parents le jour où le ravisseur voulait l'enlever ; le jeune homme faisait quelque résistance si son amant ne lui plaisait pas ; dans le cas contraire, il partait avec lui, et le séducteur le renvoyait à sa famille sitôt qu'il s'en était servi ; car, dans cette passion comme dans celle des femmes, on en a toujours trop, dès qu'on en a assez. Strabon nous dit que, dans cette même île, ce n'était qu'avec des garçons que l'on remplissait les sérails : on les prostituait publiquement.

Veut-on une dernière autorité, faite pour prouver combien ce vice est utile dans une république ? Écoutons Jérôme le Péripatéticien. L'amour des garçons, nous dit-il, se répandit dans toute la Grèce, parce qu'il donnait du courage et de la force, et qu'il servait à chasser les tyrans ; les conspirations se formaient entre les amants, et ils se laissaient plutôt torturer que de révéler leurs complices ; le patriotisme sacrifiait ainsi tout à la prospérité de l'État ; on était certain que ces liaisons affermissaient la république, on déclamait contre les femmes, et c'était une faiblesse réservée au despotisme que de s'attacher à de telles créatures. Toujours la pédérastie fut le vice des peuples guerriers. César nous apprend que les Gaulois y étaient extraordinairement adonnés. Les guerres qu'avaient à soutenir les républiques, en séparant les deux sexes, propagèrent ce vice, et, quand on y reconnut des suites si utiles à l'État, la religion le consacra bientôt. On sait que les Romains sanctifièrent les amours de Jupiter et de Ganymède. Sextus Empiricus nous assure que cette fantaisie était ordonnée chez les Perses. Enfin les femmes jalouses et méprisées offrirent à leurs maris de leur rendre le même service qu'ils recevaient des jeunes garçons ; quelques-uns l'essayèrent et revinrent à leurs anciennes habitudes, ne trouvant pas l'illusion possible.

Les Turcs, fort enclins à cette dépravation que Mahomet consacra dans son Alcoran, assurent néanmoins qu'une très jeune vierge peut assez bien remplacer un garçon, et rarement les leurs deviennent femmes avant que d'avoir passé par cette épreuve. Sixte-Quint et Sanchez permirent cette débauche ; ce dernier entreprit même de prouver qu'elle était utile à la propagation, et qu'un enfant créé après cette course préalable en devenait infiniment mieux constitué. Enfin les femmes se dédommagèrent entre elles. Cette fantaisie sans doute n'a pas plus d'inconvénients que l'autre, parce que le résultat n'en est que le refus de créer, et que les moyens de ceux qui ont le goût de la population sont assez puissants pour que les adversaires n'y puissent jamais nuire. Les Grecs appuyaient de même cet égarement des femmes sur des raisons d'État. Il en résultait que, se suffisant entre elles, leurs communications avec les hommes étaient moins fréquentes et qu'elles ne nuisaient point ainsi aux affaires de la république. Lucien nous apprend quel progrès fit cette licence, et ce n'est pas sans intérêt que nous la voyons dans Sapho.

Monstres et animaux

p. 63

Il n'est, en un mot, aucune sorte de danger dans toutes ces manies : se portassent-elles même plus loin, allassent-elles jusqu'à caresser des monstres et des animaux, ainsi que nous l'apprend l'exemple de plusieurs peuples, il n'y aurait pas dans toutes ces fadaises le plus petit inconvénient, parce que la corruption des moeurs, souvent très utile dans un gouvernement, ne saurait y nuire sous aucun rapport, et nous devons attendre de nos législateurs assez de sagesse, assez de prudence, pour être bien sûrs qu'aucune loi n'émanera d'eux pour la répression de ces misères qui, tenant absolument à l'organisation, ne sauraient jamais rendre plus coupable celui qui y est enclin que ne l'est l'individu que la nature créa contrefait.

4. Meurtre, peine de mort et suicide

p. 63

De toutes les offenses que l'homme peut faire à son semblable, le meurtre est, sans contredit, la plus cruelle de toutes puisqu'il lui enlève le seul bien qu'il ait reçu de la nature, le seul dont la perte soit irréparable. Plusieurs questions néanmoins se présentent ici, abstraction faite du tort que le meurtre cause à celui qui en devient la victime.

  1. Cette action, eu égard aux seules lois de la nature, est-elle vraiment criminelle ?

  2. L'est-elle relativement aux lois de la politique ?

  3. Est-elle nuisible à la société ?

  4. Comment doit-elle être considérée dans un gouvernement républicain ?

  5. Enfin le meurtre doit-il être réprimé par le meurtre?

Nous allons examiner séparément chacune de ces questions : l'objet est assez essentiel pour qu'on nous permette de nous y arrêter ; on trouvera peut-être nos idées un peu fortes : qu'est-ce que cela fait ? N'avons-nous pas acquis le droit de tout dire ? Développons aux hommes de grandes vérités : ils les attendent de nous ; il est temps que l'erreur disparaisse, il faut que son bandeau tombe à côté de celui des rois.

1. Le meurtre est-il un crime aux yeux de la nature ?

p. 64

Telle est la première question posée.

Nous allons sans doute humilier ici l'orgueil de l'homme, en le rabaissant au rang de toutes les autres productions de la nature, mais le philosophe ne caresse point les petites vanités humaines ; toujours ardent à poursuivre la vérité, il la démêle sous les sots préjugés de l'amour-propre, l'atteint, la développe et la montre hardiment à la terre étonnée.

Qu'est-ce que l'homme, et quelle différence y a-t-il entre lui et les autres plantes, entre lui et tous les autres animaux de la nature ? Aucune assurément. Fortuitement placé comme eux, sur ce globe, il est né comme eux ; il se propage, croît et décroît comme eux ; il arrive comme eux à la vieillesse et tombe comme eux dans le néant après le terme que la nature assigne à chaque espèce d'animaux, en raison de la construction de ses organes. Si les rapprochements sont tellement exacts qu'il devienne absolument impossible à l'oeil examinateur du philosophe d'apercevoir aucune dissemblance, il y aura donc alors tout autant de mal à tuer un animal qu'un homme, ou tout aussi peu à l'un qu'à l'autre, et dans les préjugés de notre orgueil se trouvera seulement la distance ; mais rien n'est malheureusement absurde comme les préjugés de l'orgueil. Pressons néanmoins la question. Vous ne pouvez disconvenir qu'il ne soit égal de détruire un homme ou une bête ; mais la destruction de tout animal qui a vie n'est-elle pas décidément un mal, comme le croyaient les pythagoriciens et comme le croient encore les habitants des bords du Gange ? Avant de répondre à ceci, rappelons d'abord aux lecteurs que nous n'examinons la question que relativement à la nature ; nous l'envisagerons ensuite par rapport aux hommes.

Or, je demande de quel prix peuvent être à la nature des individus qui ne lui coûtent ni la moindre peine ni le moindre soin. L'ouvrier n'estime son ouvrage qu'en raison du travail qu'il lui coûte, du temps qu'il emploie à le créer. Or, l'homme coûte-t-il à la nature ? Et, en supposant qu'il lui coûte, lui coûte-t-il plus qu'un singe ou qu'un éléphant ? Je vais plus loin : quelles sont les matières génératrices de la nature ? De quoi se composent les êtres qui viennent à la vie ? Les trois éléments qui les forment ne résultent-ils pas de la primitive destruction des autres corps ? Si tous les individus étaient éternels, ne deviendrait-il pas impossible à la nature d'en créer de nouveaux ? Si l'éternité des êtres est impossible à la nature, leur destruction devient donc une de ses lois. Or, si les destructions lui sont tellement utiles qu'elle ne puisse absolument s'en passer, et si elle ne peut parvenir à ses créations sans puiser dans ces masses de destruction que lui prépare la mort, de ce moment l'idée d'anéantissement que nous attachons à la mort ne sera donc plus réelle ; il n'y aura plus d'anéantissement constaté ; ce que nous appelons la fin de l'animal qui a vie ne sera plus une fin réelle, mais une simple transmutation, dont est la base le mouvement perpétuel, véritable essence de la matière et que tous les philosophes modernes admettent comme une de ses premières lois. La mort, d'après ces principes irréfutables, n'est donc plus qu'un changement de forme, qu'un passage imperceptible d'une existence à une autre, et voilà ce que Pythagore appelait la métempsycose.

Ces vérités une fois admises, je demande si l'on pourra jamais avancer que la destruction soit un crime. À dessein de conserver vos absurdes préjugés, oserez-vous me dire que la transmutation est une destruction ? Non, sans doute ; car il faudrait pour cela prouver un instant d'inaction dans la matière, un moment de repos. Or, vous ne découvrirez jamais ce moment. De petits animaux se forment à l'instant que le grand animal a perdu le souffle, et la vie de ces petits animaux n'est qu'un des effets nécessaires et déterminés par le sommeil momentané du grand. Oserez-vous dire à présent que l'un plaît mieux à la nature que l'autre ? Il faudrait prouver pour cela une chose impossible : c'est que la forme longue ou carrée est plus utile, plus agréable à la nature que la forme oblongue ou triangulaire ; il faudrait prouver que, eu égard aux plans sublimes de la nature, un fainéant qui s'engraisse dans l'inaction et dans l'indolence est plus utile que le cheval, dont le service est si essentiel, ou que le boeuf, dont le corps est si précieux qu'il n'en est aucune partie qui ne serve ; il faudrait dire que le serpent venimeux est plus nécessaire que le chien fidèle.

Or, comme tous ces systèmes sont insoutenables, il faut donc absolument consentir à admettre l'impossibilité où nous sommes d'anéantir les ouvrages de la nature, attendu que la seule chose que nous faisons, en nous livrant à la destruction, n'est que d'opérer une variation dans les formes, mais qui ne peut éteindre la vie, et il devient alors au-dessus des forces humaines de prouver qu'il puisse exister aucun crime dans la prétendue destruction d'une créature, de quelque âge, de quelque sexe, de quelque espèce que vous la supposiez. Conduits plus avant encore par la série de nos conséquences, qui naissent toutes les unes des autres, il faudra convenir enfin que, loin de nuire, à la nature, l'action que vous commettez, en variant les formes de ses différents ouvrages, est avantageuse pour elle puisque vous lui fournissez par cette action la matière première de ses reconstructions, dont le travail lui deviendrait impraticable si vous n'anéantissiez pas. Eh ! laissez-la faire, vous dit-on. Assurément, il faut la laisser faire, mais ce sont ses impulsions que suit l'homme quand il se livre à l'homicide ; c'est la nature qui le lui conseille, et l'homme qui détruit son semblable est à la nature ce que lui est la peste ou la famine, également envoyées par sa main, laquelle se sert de tous les moyens possibles pour obtenir plus tôt cette matière première de destruction, absolument essentielle à ses ouvrages.

Daignons éclairer un instant notre âme du saint flambeau de la philosophie : quelle autre voix que celle de la nature nous suggère les haines personnelles, les vengeances, les guerres, en un mot tous ces motifs de meurtres perpétuels ? Or, si elle nous les conseille, elle en a donc besoin. Comment donc pouvons-nous, d'après cela, nous supposer coupables envers elle, dès que nous ne faisons que suivre ses vues ?

Mais en voilà plus qu'il ne faut pour convaincre tout lecteur éclairé qu'il est impossible que le meurtre puisse jamais outrager la nature.

2. Est-il un crime en politique ?

p. 69

Osons avouer, au contraire, qu'il n'est malheureusement qu'un des plus grands ressorts de la politique. N'est-ce pas à force de meurtres que Rome est devenue la maîtresse du monde ? N'est-ce pas à force de meurtres que la France est libre aujourd'hui ? Il est inutile d'avertir ici qu'on ne parle que des meurtres occasionnés par la guerre, et non des atrocités commises par les factieux et les désorganisateurs ; ceux-là voués à l'exécration publique, n'ont besoin que d'être rappelés pour exciter à jamais l'horreur et l'indignation générales. Quelle science humaine a plus besoin de se soutenir par le meurtre que celle qui ne tend qu'à tromper, qui n'a pour but que l'accroissement d'une nation aux dépens d'une autre ? Les guerres, uniques fruits de cette barbare politique, sont-elles autre chose que les moyens dont elle se nourrit, dont elle se fortifie, dont elle s'étaie ? Et qu'est-ce que la guerre, sinon la science de détruire ? Étrange aveuglement de l'homme, qui enseigne publiquement l'art de tuer, qui récompense celui qui y réussit le mieux et qui punit celui qui, pour une cause particulière, s'est défait de son ennemi ! N'est-il pas temps de revenir sur des erreurs si barbares ?

3. Le meurtre est-il un crime contre la société ?

p. 70

Qui put jamais l'imaginer raisonnablement ? Ah ! qu'importe à cette nombreuse société qu'il y ait parmi elle un membre de plus ou de moins ? Ses lois, ses moeurs, ses coutumes en seront-elles viciées ? Jamais la mort d'un individu influa-t-elle sur la masse générale ? Et après la perte de la plus grande bataille, que dis-je ? après l'extinction de la moitié du monde, de sa totalité, si l'on veut, le petit nombre d'êtres qui pourrait survivre éprouverait-il la moindre altération matérielle ? Hélas ! non. La nature entière n'en éprouverait pas davantage, et le sot orgueil de l'homme, qui croit que tout est fait pour lui, serait bien étonné, après la destruction totale de l'espèce humaine, s'il voyait que rien ne varie dans la nature et que le cours des astres n'en est seulement pas retardé.

Poursuivons.

4. Comment le meurtre doit-il être vu dans un État guerrier et républicain ?

p. 70

Il serait assurément du plus grand danger, ou de jeter de la défaveur sur cette action, ou de la punir. La fierté du républicain demande un peu de férocité ; s'il s'amollit, si son énergie se perd, il sera bientôt subjugué. Une très singulière réflexion se présente ici, mais, comme elle est vraie malgré sa hardiesse, je la dirai. Une nation qui commence à se gouverner en république ne se soutiendra que par des vertus, parce que, pour arriver au plus, il faut toujours débuter par le moins ; mais une nation déjà vieille et corrompue qui, courageusement, secouera le joug de son gouvernement monarchique pour en adopter un républicain, ne se maintiendra que par beaucoup de crimes ; car elle est déjà dans le crime, et si elle voulait passer du crime à la vertu, c'est-à-dire d'un état violent dans un état doux, elle tomberait dans une inertie dont sa ruine certaine serait bientôt le résultat. Que deviendrait l'arbre que vous transplanteriez d'un terrain plein de vigueur dans une plaine sablonneuse et sèche ? Toutes les idées intellectuelles sont tellement subordonnées à la physique de la nature que les comparaisons fournies par l'agriculture ne nous tromperont jamais en morale.

Les plus indépendants des hommes, les plus rapprochés de la nature, les sauvages se livrent avec impunité journellement au meurtre. À Sparte, à Lacédémone, on allait à la chasse des ilotes comme nous allons en France à celle des perdrix. Les peuples les plus libres sont ceux qui l'accueillent davantage. À Mindanao, celui qui veut commettre un meurtre est élevé au rang des braves : on le décore aussitôt d'un turban ; chez les Caraguos, il faut avoir tué sept hommes pour obtenir les honneurs de cette coiffure ; les habitants de Bornéo croient que tous ceux qu'ils mettent à mort les serviront quand ils ne seront plus ; les dévots espagnols même faisaient voeu à Saint Jacques de Galice de tuer douze Américains par jour ; dans le royaume de Tangut, on choisit un jeune homme fort et vigoureux auquel il est permis, dans certains jours de l'année, de tuer tout ce qu'il rencontre. Était-il un peuple plus ami du meurtre que les Juifs ? On le voit sous toutes les formes, à toutes les pages de leur histoire.

L'empereur et les mandarins de la Chine prennent de temps en temps des mesures pour faire révolter le peuple, afin d'obtenir de ces manoeuvres le droit d'en faire un horrible carnage. Que ce peuple mou et efféminé s'affranchisse du joug de ses tyrans, il les assommera à son tour avec beaucoup plus de raison, et le meurtre, toujours adopté, toujours nécessaire, n'aura fait que changer de victimes ; il était le bonheur des uns, il deviendra la félicité des autres.

Une infinité de nations tolèrent les assassinats publics : ils sont entièrement permis à Gênes, à Venise, à Naples et dans toute l'Albanie ; à Kacha, sur la rivière de San Domino, les meurtriers, sous un costume connu et avoué, égorgent à vos ordres et sous vos yeux l'individu que vous leur indiquez ; les Indiens prennent de l'opium pour s'encourager au meurtre ; se précipitant ensuite au milieu des rues, ils massacrent tout ce qu'ils rencontrent ; des voyageurs anglais ont retrouvé cette manie à Batavia. Quel peuple fut à la fois plus grand et plus cruel que les Romains, et quelle nation conserva plus longtemps sa splendeur et sa liberté ? Le spectacle des gladiateurs soutint son courage ; elle devenait guerrière par l'habitude de se faire un jeu du meurtre. Douze ou quinze cents victimes journalières remplissaient l'arène du cirque, et là, les femmes, plus cruelles que les hommes, osaient exiger que les mourants tombassent avec grâce et se dessinassent encore sous les convulsions de la mort. Les Romains passèrent de là au plaisir de voir des nains s'égorger devant eux ; et quand le culte chrétien, en infectant la terre, vint persuader aux hommes qu'il y avait du mal à se tuer, des tyrans aussitôt enchaînèrent ce peuple, et les héros du monde en devinrent bientôt les jouets.

Infanticide et avortement

p. 73

Partout enfin on crut avec raison que le meurtrier, c'est-à-dire l'homme qui étouffait sa sensibilité au point de tuer son semblable et de braver la vengeance publique ou particulière, partout, dis-je, on crut qu'un tel homme ne pouvait être que très courageux, et par conséquent très précieux dans un gouvernement guerrier ou républicain. Parcourrons-nous des nations qui, plus féroces encore, ne se satisfirent qu'en immolant des enfants, et bien souvent les leurs, nous verrons ces actions, universellement adoptées, faire même quelquefois partie des lois. Plusieurs peuplades sauvages tuent leurs enfants aussitôt qu'ils naissent. Les mères, sur les bords du fleuve Orénoque, dans la persuasion où elles étaient que leurs filles ne naissaient que pour être malheureuses, puisque leur destination était de devenir les épouses des sauvages de cette contrée, qui ne pouvaient souffrir les femmes, les immolaient aussitôt qu'elles leur avaient donné le jour. Dans la Trapobane et dans le royaume de Sopit, tous les enfants difformes étaient immolés par les parents mêmes. Les femmes de Madagascar exposaient aux bêtes sauvages ceux de leurs enfants nés certains jours de la semaine. Dans les républiques de la Grèce, on examinait soigneusement tous les enfants qui arrivaient au monde, et si l'on ne les trouvait pas conformés de manière à pouvoir défendre un jour la république, ils étaient aussitôt immolés : là l'on ne jugeait pas qu'il fût essentiel d'ériger des maisons richement dotées pour conserver cette vile écume de la nature humaine[8]. Jusqu'à la translation du siège de l'empire, tous les Romains qui ne voulaient pas nourrir leurs enfants les jetaient à la voirie. Les anciens législateurs n'avaient aucun scrupule de dévouer les enfants à la mort, et jamais aucun de leurs codes ne réprima les droits qu'un père se crut toujours sur sa famille.

Aristote conseillait l'avortement ; et ces antiques républicains, remplis d'enthousiasme, d'ardeur pour la patrie, méconnaissaient cette commisération individuelle qu'on retrouve parmi les nations modernes ; on aimait moins ses enfants, mais on aimait mieux son pays. Dans toutes les villes de la Chine, on trouve chaque matin une incroyable quantité d'enfants abandonnés dans les rues ; un tombereau les enlève à la pointe du jour, et on les jette dans une fosse ; souvent les accoucheuses elles-mêmes en débarrassent les mères, en étouffant aussitôt leurs fruits dans des cuves d'eau bouillante ou en les jetant dans la rivière. À Pékin, on les met dans de petites corbeilles de jonc que l'on abandonne sur les canaux ; on écume chaque jour ces canaux, et le célèbre voyageur Duhalde évalue à plus de trente mille le nombre journalier qui s'enlève à chaque recherche.

On ne peut nier qu'il ne soit extraordinairement nécessaire, extrêmement politique de mettre une digue à la population dans un gouvernement républicain ; par des vues absolument contraires, il faut l'encourager dans une monarchie ; là, les tyrans n'étant riches qu'en raison du nombre de leurs esclaves, assurément il leur faut des hommes ; mais l'abondance de cette population, n'en doutons, pas, est un vice réel dans un gouvernement républicain. Il ne faut pourtant pas l'égorger pour l'amoindrir, comme le disaient nos modernes décemvirs : il ne s'agit que de ne pas lui laisser les moyens de s'étendre au-delà des bernes que sa félicité lui prescrit. Gardez-vous de multiplier trop un peuple dont chaque être est souverain et soyez bien sûrs que les révolutions ne sont jamais les effets que d'une population trop nombreuse. Si pour la splendeur de l'État vous accordez à vos guerriers le droit de détruire des hommes, pour la conservation de ce même État, accordez de même à chaque individu de se livrer tant qu'il le voudra, puisqu'il le peut sans outrager la nature, au droit de se défaire des enfants qu'il ne peut nourrir ou desquels le gouvernement ne peut tirer aucun secours ; accordez-lui de même de se défaire, à ses risques et périls, de tous les ennemis qui peuvent lui nuire, parce que le résultat de toutes ces actions, absolument nulles en elles-mêmes, sera de tenir votre population dans un état modéré, et jamais assez nombreuse pour bouleverser votre gouvernement. Laissez dire aux monarchistes qu'un État n'est grand qu'en raison de son extrême population : cet État sera toujours pauvre si sa population excède ses moyens de vivre, et il sera toujours florissant si, contenu dans de justes bornes, il peut trafiquer de son superflu.

N'élaguez-vous pas l'arbre quand il a trop de branches ? Et, pour conserver le tronc, ne taillez-vous pas les rameaux ? Tout système qui s'écarte de ces principes est une extravagance dont les abus nous conduiraient bientôt au renversement total de l'édifice que nous venons d'élever avec tant de peine. Mais ce n'est pas quand l'homme est fait qu'il faut le détruire afin de diminuer la population : il est injuste d'abréger les jours d'un individu bien conformé ; il ne l'est pas, je le dis, d'empêcher d'arriver à la vie un être qui certainement sera inutile au monde. L'espèce humaine doit être épurée dès le berceau ; c'est ce que vous prévoyez ne pouvoir jamais être utile à la société qu'il faut retrancher de son sein ; voilà les seuls moyens raisonnables d'amoindrir une population dont la trop grande étendue est, ainsi que nous venons de le prouver, le plus dangereux des abus.

Il est temps de se résumer.

5. Le meurtre doit-il être réprimé par le meurtre ?

p. 77

Non, sans doute. N'imposons jamais au meurtrier d'autre peine que celle qu'il peut encourir par la vengeance des amis ou de la famille de celui qu'il a tué. Je vous accorde votre grâce ; disait Louis XV à Charolais, qui venait de tuer un homme pour se divertir, mais je la donne aussi à celui qui vous tuera. Toutes les bases de la loi contre les meurtriers se trouvent dans ce mot sublime[9].

En un mot, le meurtre est une horreur, mais une horreur souvent nécessaire, jamais criminelle, essentielle à tolérer dans un État républicain. J'ai fait voir que l'univers entier en avait donné l'exemple ; mais faut-il le considérer comme une action faite pour être punie de mort ? Ceux qui répondront au dilemme suivant auront satisfait à la question : Le meurtre est-il un crime ou ne l'est-il pas ? S'il n'en est pas un, pourquoi faire des lois qui le punissent ? Et s'il en est un, par quelle barbare et stupide inconséquence le punirez-vous par un crime semblable ?

Le suicide

p. 78

Il nous reste à parler des devoirs de l'homme envers lui-même. Comme le philosophe n'adopte ces devoirs qu'autant qu'ils tendent à son plaisir ou à sa conservation, il est fort inutile de lui en recommander la pratique, plus inutile encore de lui imposer des peines s'il y manque.

Le seul délit que l'homme puisse commettre en ce genre est le suicide. Je ne m'amuserai point ici à prouver l'imbécillité des gens qui érigent cette action en crime : je renvoie à la fameuse lettre de Rousseau ceux qui pourraient avoir encore quelques doutes sur cela. Presque tous les anciens gouvernements autorisaient le suicide par la politique et par la religion. Les Athéniens exposaient à l'Aréopage les raisons qu'ils avaient de se tuer : ils se poignardaient ensuite. Toutes les républiques de la Grèce tolérèrent le suicide ; il entrait dans le plan des législateurs ; on se tuait en public, et l'on faisait de sa mort un spectacle d'apparat. La république de Rome encouragea le suicide : les dévouements si célèbres pour la patrie n'étaient que des suicides. Quand Rome fut prise par les Gaulois, les plus illustres sénateurs se dévouèrent à la mort ; en reprenant ce même esprit, nous adoptons les mêmes vertus. Un soldat s'est tué, pendant la campagne de 92, de chagrin de ne pouvoir suivre ses camarades à l'affaire de Jemmapes.

Incessamment placés à la hauteur de ces fiers républicains, nous surpasserons bientôt leurs vertus : c'est le gouvernement qui fait l'homme. Une si longue habitude du despotisme avait totalement énervé notre courage ; il avait dépravé nos moeurs : nous renaissons ; on va bientôt voir de quelles actions sublimes est capable le génie, le caractère français, quand il est libre ; soutenons, au prix de nos fortunes et de nos vies, cette liberté qui nous coûte déjà tant de victimes ; n'en regrettons aucune si nous parvenons au but ; elles-mêmes se sont toutes dévouées volontairement ; ne rendons pas leur sang inutile ; mais de l'union... de l'union, ou nous perdrons le fruit de toutes nos peines ; asseyons d'excellentes lois sur les victoires que nous venons de remporter ; nos premiers législateurs, encore esclaves du despote qu'enfin nous avons abattu, ne nous avaient donné que des lois dignes de ce tyran, qu'ils encensaient encore : refaisons leur ouvrage, songeons que c'est pour des républicains et pour des philosophes que nous allons enfin travailler ; que nos lois soient douces comme le peuple qu'elles doivent régir.

En offrant ici, comme je viens de le faire, le néant, l'indifférence d'une infinité d'actions que nos ancêtres, séduits par une fausse religion, regardaient comme criminelles, je réduis notre travail à bien peu de chose. Faisons peu de lois, mais qu'elles soient bonnes. Il ne s'agit pas de multiplier les freins : il n'est question que de donner à celui qu'on emploie une qualité indestructible. Que les lois que nous promulguons n'aient pour but que la tranquillité du citoyen, son bonheur et l'éclat de la république. Mais, après avoir chassé l'ennemi de vos terres, Français, je ne voudrais pas que l'ardeur de propager vos principes vous entraînât plus loin ; ce n'est qu'avec le fer et le feu que vous pourrez les porter au bout de l'univers. Avant que d'accomplir ces résolutions, rappelez-vous le malheureux succès des Croisades. Quand l'ennemi sera de l'autre côté du Rhin, croyez-moi, gardez vos frontières et restez chez vous ; ranimez votre commerce, redonnez de l'énergie et des débouchés à vos manufactures ; faites refleurir vos arts, encouragez l'agriculture, si nécessaire dans un gouvernement tel que le vôtre et dont l'esprit doit être de pouvoir fournir à tout le monde sans avoir besoin de personne ; laissez les trônes de l'Europe s'écrouler d'eux-mêmes : votre exemple, votre prospérité les culbuteront bientôt, sans que vous ayez besoin de vous en mêler.

Invincibles dans votre intérieur et modèles de tous les peuples par votre police et vos bonnes lois, il ne sera pas un gouvernement dans le monde qui ne travaille à vous imiter, pas un seul qui ne s'honore de votre alliance ; mais si, pour le vain honneur de porter vos principes au loin, vous abandonnez le soin de votre propre félicité, le despotisme qui n'est qu'endormi renaîtra, des dissensions intestines vous déchireront, vous aurez épuisé vos finances et vos achats, et tout cela pour revenir baiser les fers que vous imposent les tyrans qui vous auront subjugués pendant votre absence. Tout ce que vous désirez peut se faire sans qu'il soit besoin de quitter vos foyers ; que les autres peuples vous voient heureux, et ils courront au bonheur par la même route que vous leur aurez tracée[10].

La Philosophie dans le boudoir[11]

p. 44-52

Dolmancé

— Ah ! renoncez aux vertus, Eugénie ! Est-il un seul des sacrifices qu'on puisse faire à ces fausses divinités, qui vaille une minute des plaisirs que l'on goûte en les outrageant ? Va, la vertu n'est qu'une chimère, dont le culte ne consiste qu'en des immolations perpétuelles, qu'en des révoltes sans nombre contre les inspirations du tempérament. De tels mouvements peuvent-ils être naturels ? La nature conseille-t-elle ce qui l'outrage ? Ne sois pas la dupe, Eugénie, de ces femmes que tu entends nommer vertueuses. Ce ne sont pas, si tu veux, les mêmes passions que nous qu'elles servent, mais elles en ont d'autres, et souvent bien plus méprisables... C'est l'ambition, c'est l'orgueil, ce sont des intérêts particuliers, souvent encore la froideur seule d'un tempérament qui ne leur conseille rien. Devons-nous quelque chose à de pareils êtres, je le demande ? N'ont-elles pas suivi les uniques impressions de l'amour de soi ? Est-il donc meilleur, plus sage, plus à propos de sacrifier à l'égoïsme qu'aux passions ? Pour moi, je crois que l'un vaut bien l'autre ; et qui n'écoute que cette dernière voix a bien plus de raison sans doute, puisqu'elle est seule organe de la nature, tandis que l'autre n'est que celle de la sottise et du préjugé. Une seule goutte de foutre éjaculée de ce membre, Eugénie, m'est plus précieuse que les actes les plus sublimes d'une vertu que je méprise.

 

(Le calme s'étant un peu rétabli pendant ces dissertations, les femmes, revêtues de leurs simarres, sont à demi couchées sur le canapé, et Dolmancé auprès d'elle dans un grand fauteuil.)

Eugénie

— Mais il est des vertus de plus d'une espèce ; que pensez-vous, par exemple, de la piété ?

Dolmancé

— Que peut être cette vertu pour qui ne croit pas à la religion ? Et qui peut croire à la religion ? Voyons, raisonnons avec ordre, Eugénie : n'appelez-vous pas religion le pacte qui le lie à son Créateur, et qui l'engage à lui témoigner, par un culte, la reconnaissance qu'il a de l'existence reçue de ce sublime auteur ?

Eugénie

— On ne peut mieux le définir.

Dolmancé

— Eh bien ! s'il est démontré que l'homme ne doit son existence qu'aux plans irrésistibles de la nature ; s'il est prouvé qu'aussi ancien sur ce globe que le globe même, il n'est, comme le chêne, le lion, comme les minéraux qui se trouvent dans les entrailles de ce globe, qu'une production nécessitée par l'existence du globe, et qui ne doit la sienne à qui que ce soit ; s'il est démontré que ce Dieu, que les sots regardent comme auteur et fabricateur unique de tout ce que nous voyons, n'est que le nec plus ultra de la raison humaine, que le fantôme créé à l'instant où cette raison ne voit plus rien, afin d'aider à ses opérations ; s'il est prouvé que l'existence de ce Dieu est impossible, et que la nature, toujours en action, toujours en mouvement, tient d'elle-même ce qu'il plaît aux sots de lui donner gratuitement ; s'il est certain qu'à supposer que cet être inerte existât, ce serait assurément le plus ridicule de tous les êtres, puisqu'il n'aurait servi qu'un seul jour, et que depuis des millions de siècles il serait dans une inaction méprisable ; qu'à supposer qu'il existât comme les religions nous le peignent, ce serait assurément le plus détestable des êtres, puisqu'il permettrait le mal sur la terre, tandis que sa toute-puissance pourrait l'empêcher ; si, dis-je, tout cela se trouvait prouvé, comme cela l'est incontestablement, croyez-vous alors, Eugénie, que la piété qui lierait l'homme à ce Créateur imbécile, insuffisant, féroce et méprisable, fût une vertu bien nécessaire ?

Eugénie

(à Mme de Saint-Ange) Quoi ! réellement, mon aimable amie, l'existence de Dieu serait une chimère ?

Mme de Saint-Ange

— Et des plus méprisables, sans doute.

Dolmancé

Il faut avoir perdu le sens pour y croire. Fruit de la frayeur des uns et de la faiblesse des autres, cet abominable fantôme, Eugénie, est inutile au système de la terre ; il y nuirait infailliblement, puisque ses volontés, qui devraient être justes, ne pourraient jamais s'allier avec les injustices essentielles aux lois de la nature ; qu'il devrait constamment vouloir le bien, et que la nature ne doit le désirer qu'en compensation du mal qui sert à ses lois ; qu'il faudrait qu'il agît toujours, et que la nature, dont cette action perpétuelle est une des lois, ne pourrait se trouver en concurrence et en opposition perpétuelle avec lui. Mais, dira-t-on à cela, Dieu et la nature sont la même chose. Ne serait-ce pas une absurdité ? La chose créée ne peut être égale à l'être créant : est-il possible que la montre soit l'horloger ? Eh bien, continuera-t-on, la nature n'est rien, c'est Dieu qui est tout. Autre bêtise ! Il y a nécessairement deux choses dans l'univers : l'agent créateur et l'individu créé. Or quel est cet agent créateur ? Voilà la seule difficulté qu'il faut résoudre ; c'est la seule question à laquelle il faille répondre.

Si la matière agit, se meut, par des combinaisons qui nous sont inconnues, si le mouvement est inhérent à la matière, si elle seule enfin peut, en raison de son énergie, créer, produire, conserver, maintenir, balancer dans les plaines immenses de l'espace tous les globes dont la vue nous surprend et dont la marche uniforme, invariable, nous remplit de respect et d'admiration, que sera le besoin de chercher alors un agent étranger à tout cela, puisque cette faculté active se trouve essentiellement dans la nature elle-même, qui n'est autre chose que la matière en action ? Votre chimère déifique éclaircira-t-elle quelque chose ? Je défie qu'on puisse me le prouver. À supposer que je me trompe sur les facultés internes de la matière, je n'ai du moins devant moi qu'une difficulté. Que faites-vous en m'offrant votre Dieu ? Vous m'en donnez une de plus. Et comment voulez-vous que j'admette, pour cause que je ne comprends pas, quelque chose que je comprends encore moins ? Sera-ce au moyen de dogmes de la religion chrétienne que j'examinerai... que je me représenterai votre effroyable Dieu ? Voyons un peu comme elle me le peint...

Que vois-je dans le Dieu de ce culte infâme, si ce n'est pas un être inconséquent et barbare, créant aujourd'hui un monde, de la construction duquel il s'en repent demain ? Qu'y vois-je, qu'un être faible qui ne peut jamais faire prendre à l'homme le pli qu'il voudrait ? Cette créature, quoique émanée de lui, le domine ; elle peut l'offenser et mériter par là des supplices éternels ! Quel être faible que ce Dieu-là ! Comment ! il a pu créer tout ce que nous voyons, et il lui est impossible de former un homme à sa guise ? Mais, me répondrez-vous à cela, s'il l'eût créé tel, l'homme n'eût pas eu de mérite. Quelle platitude ! Et quelle nécessité y a-t-il que l'homme mérite de son Dieu ? En le formant tout à fait bon, il n'aurait jamais pu faire le mal, et de ce moment seul l'ouvrage était digne d'un Dieu. C'est tenter l'homme que de lui laisser un choix. Or Dieu, par sa prescience infinie, savait bien ce qui en résulterait. De ce moment, c'est donc à plaisir qu'il perd la créature que lui-même a formée. Quel horrible Dieu que ce Dieu-là ! Quel monstre ! Quel scélérat plus digne de notre haine et notre implacable vengeance ! Cependant, peu content d'une aussi sublime besogne, il noie l'homme pour le convertir ; il le brûle, il le maudit. Rien de tout cela ne le change. Un être plus puissant que ce vilain Dieu, le Diable, conservant toujours son empire, pouvant toujours braver son auteur, parvient sans cesse, par ses séductions, à débaucher le troupeau que s'était réservé l'Éternel. Rien ne peut vaincre l'énergie de ce démon sur nous. Qu'imagine alors, selon vous, l'horrible Dieu que vous prêchez ? Il n'a qu'un fils, un fils unique, qu'il possède de je ne sais quel commerce ; car, comme l'homme fout, il a voulu que son Dieu foutît également ; il détache du ciel cette respectable portion de lui-même. On s'imagine peut-être que c'est sur des rayons célestes, au milieu du cortège des anges, à la vue de l'univers entier, que cette sublime créature va paraître... Pas un mot ; c'est dans le sein d'une putain juive, c'est au milieu d'une étable à cochons, que s'annonce le Dieu qui vient sauver la terre ! Voilà la digne extraction qu'on lui prête ! Mais son honorable mission nous dédommagera-t-elle ? Suivons un instant le personnage. Que dit-il ? Que fait-il ? Quelle sublime mission recevons-nous de lui ? Quel mystère va-t-il révéler ? Quel dogme va-t-il nous prescrire ? Dans quels actes enfin sa grandeur va-t-elle éclater ?

Je vois d'abord une enfance ignorée, quelques services, très libertins sans doute, rendus par ce polisson aux prêtres du temple de Jérusalem ; ensuite une disparition de quinze ans, pendant laquelle le fripon va s'empoisonner de toutes les rêveries de l'école égyptienne qu'il rapporte enfin en Judée. À peine y reparaît-il, que sa démence débute par lui faire dire qu'il est le fils de Dieu, égal à son père ; il associe à cette alliance un autre fantôme qu'il appelle l'Esprit-Saint, et ces trois personnes assure-t-il, ne doivent en faire qu'une ! Plus ce ridicule mystère étonne la raison, plus le faquin assure qu'il y a du mérite à l'adopter... de dangers à l'anéantir. C'est pour nous sauver tous, assure l'imbécile, qu'il a pris chair, quoique dieu, dans le sein d'une enfant des hommes ; et les miracles éclatants qu'on va lui voir opérer, en convaincront bientôt l'univers ! Dans un souper d'ivrognes, en effet, le fourbe change, à ce qu'on dit, l'eau en vin ; dans un désert, il nourrit quelques scélérats avec des provisions cachées que ses sectateurs préparèrent ; un de ses camarades fait le mort, notre imposteur le ressuscite ; il se transporte sur une montagne, et là, seulement devant deux ou trois de ses amis, il fait un tour de passe-passe dont rougirait le plus mauvais bateleur de nos jours.

Maudissant d'ailleurs avec enthousiasme tous ceux qui ne croient pas en lui, le coquin promet les cieux à tous les sots qui l'écouteront. Il n'écrit rien, vu son ignorance ; parle fort peu, vu sa bêtise ; fait encore moins, vu sa faiblesse, et, lassant à la fin les magistrats, impatientés de ses discours séditieux, quoique fort rares, le charlatan se fait mettre en croix, après avoir assuré les gredins qui le suivent que, chaque fois qu'ils l'invoqueront, il descendra vers eux pour s'en faire manger. On le supplicie, il se laisse faire. Monsieur son papa, de Dieu sublime, dont il ose dire qu'il descend, ne lui donne pas le moindre secours, et voilà le coquin traité comme le dernier des scélérats, dont il était si digne d'être le chef.

Ses satellites s'assemblent : « Nous voilà perdus, disent-ils, et toutes nos espérances évanouies, si nous ne nous sauvons par un coup d'éclat. Enivrons la garde qui entoure Jésus ; dérobons son corps, publions qu'il est ressuscité : le moyen est sûr ; si nous parvenons à faire croire cette friponnerie, notre nouvelle religion s'étaie, se propage ; elle séduit le monde entier... Travaillons ! » Le coup s'entreprend, il réussit. À combien de fripons la hardiesse n'a-t-elle pas tenu lieu de mérite ! Le corps est enlevé ; les sots, les femmes, les enfants crient, tant qu'ils le peuvent, au miracle, et cependant, dans cette ville où de si grandes merveilles viennent de s'opérer, dans cette ville teinte du sang d'un Dieu, personne ne veut croire à ce Dieu ; pas une conversion ne s'y opère. Il y a mieux : le fait est si peu digne d'être transmis, qu'aucun historien n'en parle. Les seuls disciples de cet imposteur pensent tirer parti de la fraude, mais non pas dans le moment.

Cette considération est encore bien essentielle, ils laissent écouler plusieurs années avant de faire usage de leur fourberie ; ils érigent enfin sur elle l'édifice chancelant de leur dégoûtante doctrine. Tout changement plaît aux hommes. Las du despotisme des empereurs, une révolution devenait nécessaire. On écoute ces fourbes, leur progrès devient très rapide : c'est l'histoire de toutes les erreurs. Bientôt les autels de Vénus et de Mars sont changés en ceux de Jésus et de Marie ; on publie la vie de l'imposteur ; ce plat roman trouve des dupes ; on lui fait dire cent choses auxquelles il n'a jamais pensé ; quelques-uns de ses propos saugrenus deviennent aussitôt la base de sa morale, et comme cette nouveauté se prêchait à des pauvres, la charité en devient la première vertu. Des rites bizarres s'instituent sous le nom de sacrements, dont le plus indigne et le plus abominable de tous est celui par lequel un prêtre, couvert de crimes, a néanmoins, par la vertu de quelques paroles magiques, le pouvoir de faire arriver Dieu dans un morceau de pain.

N'en doutons pas ; dès sa naissance même, ce culte indigne eût été détruit sans ressource, si l'on n'eût employé contre lui que les armes du mépris qu'il méritait ; mais on s'avisa de le persécuter : il s'accrut ; le moyen était inévitable. Qu'on essaie encore aujourd'hui de le couvrir de ridicule, il tombera. L'adroit Voltaire n'employait jamais d'autres armes, et c'est de tous les écrivains celui qui peut se flatter d'avoir fait le plus de prosélytes. En un mot, Eugénie, telle est l'histoire de Dieu et de la religion ; voyez le cas que ces fables méritent, et déterminez-vous sur leur compte.

L'histoire de Juliette[12]
[Discours contre l'amour sentimental]

p. 705

Mes frères, dit-il, j'ai promis d'entretenir aujourd'hui la société sur l'Amour, et quoique ce discours n'ait l'air de s'adresser qu'aux hommes, les femmes, j'ose vous l'assurer, y trouveront de même tout ce qui leur est nécessaire pour se préserver d'un sentiment aussi dangereux. Puis, s'étant couvert, et l'assemblée l'écoutant avec le plus grand silence, voici comme il s'exprima :

« On appelle Amour, ce sentiment intérieur qui nous entraîne, pour ainsi dire, comme malgré nous, vers un objet quelconque ; qui nous fait vivement désirer de nous unir à lui... de nous en rapprocher sans cesse... qui nous flatte... qui nous enivre, quand nous réussissons à cette union, et qui nous désespère... qui nous déchire quand quelques motifs étrangers viennent nous contraindre à briser cette union, si cette extravagance ne nous entraînait jamais qu'à la jouissance prise avec cette ardeur, cet enivrement, elle ne serait qu'un ridicule ; mais comme elle nous conduit à une certaine métaphysique qui, nous transformant en l'objet aimé, nous rend ses actions, ses besoins, ses désirs aussi chers que les nôtres propres, par cela seul elle devient excessivement dangereuse, en nous détachant trop de nous-même, et en nous faisant négliger nos intérêts pour ceux de l'objet aimé ; en nous identifiant, pour ainsi dire, avec cet objet, elle nous fait adopter ses malheurs, ses chagrins, et ajoute, par conséquent, ainsi, à la somme des nôtres. D'ailleurs, la crainte ou de perdre cet objet, ou de le voir se refroidir, nous tracasse sans cesse ; et de l'état le plus tranquille de la vie, nous passons insensiblement, en adoptant cette chaîne, au plus cruel, sans doute, qui se puisse imaginer dans le monde. Si la récompense ou le dédommagement de tant de peines était autre chose qu'une jouissance ordinaire, peut-être conseillerais-je de le risquer ; mais tous les soucis, tous les tourments, toutes les épines de l'amour ne conduisent jamais qu'à ce qu'on peut aisément obtenir sans lui ; où donc est la nécessité de ses fers ? Lorsqu'une belle femme s'offre à moi, et que j'en deviens amoureux, je n'ai pas avec elle un but différent que celui qui la voit et qui la désire sans former aucune espèce d'amour ; tous deux nous voulons coucher avec elle ; lui, ce n'est que son corps qu'il désire ; et moi, par une métaphysique fausse et toujours dangereuse, m'aveuglant sur le véritable motif, qui, néanmoins, n'est autre que celui de mon concurrent, je me persuade que ce n'est que le coeur que je veux, que toute idée de jouissance est exclue, et je me le persuade si bien, que je ferais volontiers avec cette femme l'arrangement de ne l'aimer que pour elle-même, et d'acheter son coeur aux prix du sacrifice de tous mes désirs physiques. Voilà la cause cruelle de mon erreur ; voilà ce qui va m'entraîner dans ce gouffre affreux de chagrins, voilà ce qui va flétrir ma vie ; tout va changer pour moi dans cet instant : les soupçons, les jalousies, les inquiétudes, vont devenir les aliments cruels de ma malheureuse existence ; et plus j'approcherai de mon bonheur, plus il se constatera, plus la fatale crainte de le perdre empoisonnera mes jours. En renonçant aux épines de ce sentiment dangereux, n'imaginez pas que je me prive de ses roses ; je les cueillerai alors sans danger ; je ne prendrai que le suc de la fleur, j'en éloignerai toutes les matières hétérogènes ; j'aurai de même la possession du corps que je désire, et n'aurai pas celle de l'âme qui ne m'est utile à rien. Si l'homme s'éclairait mieux sur ses vrais intérêts dans la jouissance, il épargnerait à son coeur cette fièvre cruelle qui le brûle et qui le dessèche : s'il pouvait se convaincre qu'il n'est nullement besoin d'être aimé pour bien jouir, et que l'amour nuit plutôt aux transports de la jouissance qu'il n'y sert, il renoncerait à cette métaphysique du sentiment qui l'aveugle, se bornerait à la simple jouissance des corps, connaîtrait le véritable bonheur, et s'épargnerait pour toujours le chagrin inséparable de sa dangereuse délicatesse.

C'est un être de raison... une sensation tout à fait chimérique que cette délicatesse que nous plaçons dans le désir de la jouissance : elle peut être de quelque prix dans la métaphysique de l'amour ; c'est l'histoire de toutes les illusions, elles s'embellissent mutuellement ; mais elle est inutile, nuisible même dans ce qui ne tient qu'à la satisfaction des sens ; de ce moment, vous le voyez, l'amour devient parfaitement inutile, et l'homme raisonnable ne doit plus voir, dans l'objet de sa jouissance, qu'un objet pour lequel le fluide nerval s'enflamme, qu'une créature fort indifférente par elle-même, qui doit se prêter à la satisfaction purement physique des désirs allumés par l'embrasement qu'elle a causé sur ce fluide, et qui, cette satisfaction donnée et reçue, rentre aux yeux de l'homme raisonnable, dans la classe où elle était auparavant. Elle n'est pas unique dans son espèce, il peut en retrouver d'aussi bonne, d'aussi complaisante ; il vivait bien autrefois, avant que de l'avoir connue ; pourquoi ne vivra-t-il pas tout de même après ? Comment l'infidélité de cette femme pourrait-elle le troubler en quoique ce puisse être ? En prodiguant ses faveurs à un autre, enlève-t-elle quelque chose à son amant ? il a eu son tour, de quoi se plaint-il ? pourquoi un autre ne l'aurait-il pas de même ; et que perdra-t-il en cette créature qu'il ne puisse aussitôt retrouver dans un autre ? Si elle le trompe d'ailleurs pour un rival, elle peut de même tromper ce rival pour lui ; ce second amant ne sera donc pas plus aimé que le premier ; pourquoi, d'après cela, sera-t-il jaloux, puisqu'ils ne sont pas mieux traités l'un que l'autre ? Ces regrets seraient tout au plus pardonnables, si cette femme chérie était unique dans le monde ; ils sont extravagants, dès que cette perte est réparable. Me mettant un instant ici à la place de ce premier amant ; qu'a-t-elle donc cette créature, je vous prie, pour occasionner ainsi mes douleurs ? un peu d'attention sur moi-même, quelques retours sur mes sentiments ; l'illusion seule leur prêtait de la force, c'est le désir de posséder cette femme ; c'est la curiosité qui l'embellissait à mes yeux, et si la jouissance ne me les dessille pas, c'est, ou parce que je n'ai pas encore assez joui, ou par un reste de mes premières erreurs ; c'est le voile que j'étais accoutumé de porter avant que de jouir, qui retombe encore malgré moi sur mes yeux : et je ne l'arrache pas ! c'est de la faiblesse... de la pusillanimité ; détaillons-la bien après la jouissance, cette déesse qui m'aveuglait avant... Saisissons le moment du calme et de l'épuisement pour la considérer de sang-froid ; passons un instant, comme dit Lucrèce, dans les arrières-scènes de la vie ; eh bien ! nous le verrons, cet objet divin qui nous faisait tourner la tête, nous le verrons doué des mêmes désirs, des mêmes besoins, des mêmes formes de corps, des mêmes appétits... affligé des mêmes infirmités que toutes les autres créatures de son sexe ; et nous dépouillant à cet examen de sang froid, du ridicule enthousiasme qui nous entraînait vers cet objet, entièrement semblable à tous les autres du même genre, nous verrons qu'en ne l'ayant plus, nous ne perdons que ce que nous pouvons aisément réparer. Ne faisons entrer pour rien ici les agréments du caractère, ces vertus entièrement du ressort de l'amitié ne doivent être appréciées que par elle ; mais en amour, je me trompe, si j'ai cru que c'était là ce qui m'avait décidé ; c'est le corps seul que j'aime, et c'est le corps seul que je plains, quoique je puisse le retrouver à tout moment : à quel point dès-lors sont donc extravagants mes regrets ?

Osons le dire, dans aucun cas, la femme n'est faite pour le bonheur exclusif de l'homme ; envisagée du côté de la jouissance, assurément elle ne la rend pas complète, puisque l'homme en trouve une, beaucoup plus vive avec ses semblables ; si c'est comme amie, sa fausseté et sa soumission, ou plutôt sa bassesse, s'opposent à la perfection du sentiment de l'amitié ; il faut dans l'amitié de la franchise et de l'égalité ; si l'un des deux amis domine l'autre, l'amitié se détruit ; or, cette autorité de l'un des deux sexes sur l'autre, fatale à l'amitié, existe nécessairement entre deux amis de sexe différent ; donc la femme n'est bonne ni pour maîtresse, ni pour amie ; elle n'est réellement placée que dans l'esclavage où les Orientaux la tiennent ; elle n'est bonne que pour la jouissance, au-delà de laquelle, comme le disait le bon roi Chilpéric, il faut s'en défaire le plus tôt possible.

S'il est aisé de démontrer que l'amour n'est qu'un préjugé national ; que les trois-quarts des peuples de l'univers dont la coutume est d'enfermer leurs femmes, n'ont jamais connu ce délire de l'imagination ; en remontant alors à l'origine de ce préjugé, il nous sera facile et de nous assurer qu'il n'est que cela, et d'arriver au moyen sûr de sa guérison : or, il est certain que notre esprit de galanterie chevaleresque qui offre ridiculement à notre hommage l'objet qui n'est fait que pour nos besoins, il est certain, dis-je, que cet esprit vient de l'ancien respect que nos ancêtres avaient autrefois pour les femmes, en raison du métier de prophètes qu'elles exerçaient dans les villes et dans les campagnes ; on passa par frayeur du respect au culte, et la galanterie naquit au sein de la superstition ; mais ce respect ne fut jamais dans la nature, on perdrait son temps à l'y rechercher ; l'infériorité de ce sexe sur le nôtre est trop bien établie pour qu'il puisse jamais exciter en nous aucun motif solide de le respecter ; et l'amour, qui naquit de ce respect aveugle, n'est qu'un préjugé comme lui : le respect pour les femmes augmente en raison de ce que l'esprit du gouvernement s'éloigne des principes de la nature ; tant que les hommes n'obéissent qu'à ces premières lois, ils doivent souverainement mépriser les femmes ; elles deviennent des Dieux quand ils s'avilissent, parce que l'homme s'affaiblit alors, et qu'il faut nécessairement que le plus faible commande quand le plus fort se dégrade : aussi le gouvernement est-il toujours débile, quand les femmes règnent : ne me citez point la Turquie ; si son gouvernement est faible, ce n'est que depuis l'époque où les intrigues du sérail ont réglé ses démarches : les Turcs ont détruit l'empire de Constantinople, quand ils traînaient ce sexe enchaîné, et quand, en face de son armée, Mahomet second tranchait la tête d'Irène, à laquelle on soupçonnait trop d'empire sur lui. Il y a de la bassesse et de la dépravation à rendre le plus léger culte aux femmes : ce culte est impossible même au moment de l'ivresse : comment peut-on le soupçonner après ? Si de ce qu'une chose sert, devient un motif pour l'adorer, il faut donc de même adorer son boeuf, son âne, sa chaise-percée, etc.

Ce qui s'appelle amour, en un mot, n'est autre chose que le désir de jouir, tant qu'il existe, le culte est inutile ; dès qu'il est satisfait, il est impossible : ce qui prouve que ce ne fut certainement point du culte que naquit le respect, mais du respect que naquit le culte. Jetez les yeux sur les exemples d'avilissement où ce sexe fut autrefois, où il est encore chez une grande partie des peuples de la terre, et vous achèverez de vous convaincre que la passion métaphysique de l'amour n'est nullement innée dans l'homme, mais qu'elle est le fruit de ses préjugés et de ses usages, et que l'objet qui fit naître cette passion généralement méprisée partout, n'aurait jamais dû l'aveugler.

Ce mépris est tel chez les Croates, plus particulièrement connus des géographes sous le nom d'Uscoques et de Morlaques[13], que quand ils veulent parler de leurs femmes, ils emploient cette même expression vulgaire dont se sert le peuple au sujet d'un animal vil[14]. Jamais ils ne les souffrent dans leur lit, elles couchent à terre, sont obligées d'obéir au moindre signe, et déchirées à coups de nerfs de boeufs à la plus légère désobéissance ; leur soumission, leur régime, leurs fatigues journalières, ne s'interrompent jamais, même dans leur grossesse : on les voit souvent accoucher en pleine campagne, ramasser leurs enfants, les laver au premier ruisseau, les rapporter chez elles, et recontinuer leurs occupations : on a remarqué que, dans ce pays, les enfants étaient beaucoup plus sains, beaucoup plus robustes et les femmes beaucoup plus fidèles ; il semble que la nature ne veut pas perdre les droits que notre luxe et notre fausse délicatesse cherchent à lui ravir, en nos climats, sans en recueillir d'autres fruits, que d'abaisser notre sexe, en lui assimilant celui qu'elle n'a créé que pour en être l'esclave.

Chez les Cosaques Zaporariens, les femmes sont absolument exclues des peuplades ; celles qui servent à la propagation, sont reléguées dans des îles séparées, et ils vont s'en servir là quand ils en ont besoin, mais sans choix, sans distinction ; le besoin seul agit ; l'âge, la figure, ni le sang, n'établissent aucune différence, en sorte que le père a des enfants de sa fille ; le frère, de sa soeur ; et point d'autres lois chez ces peuples, que celles qu'établit le besoin.

Il y a des pays où, quand les femmes ont leurs règles, elles sont traitées comme des bêtes ; on les enferme étroitement, et on leur jette à manger de loin, comme à des tigres ou à des ours : croyez-vous que ces peuples-là soient bien amoureux de leurs femmes ?

Au royaume de Louango, en Afrique, les femmes enceintes sont encore plus maltraitées ; une fois dans cet état, elles n'en paraissent que plus impures, que plus difformes et plus dégoûtantes ; et qu'y a-t-il, en effet, de plus affreux qu'une femme grosse ? pour se bien pénétrer de toute l'horreur qu'inspire ce sexe, il me semble que ce devrait être toujours à nu, et dans cet état, qu'il faudrait l'offrir à ses sectateurs. Les nègres de Barré n'ont de commerce avec elles, que quatre ans après qu'elles sont accouchées.

Les femmes de Maduré ne parlent de leurs maris, qu'avec des circonlocutions qui expriment le profond respect qu'elles ont pour eux.

Les Romains et les Celtes avaient sur leurs femmes, le droit de vie et de mort, et ils en usaient souvent ; ce droit nous est assuré par la nature ; nous lui désobéissons, et nous dégradons ses lois, en ne l'exerçant pas.

Leur esclavage est affreux dans presque toute l'Afrique ; elles se trouvent bien heureuses en ce pays, quand le mari daigne accepter leurs soins.

Elles sont si maltraitées, si malheureuses dans le royaume de Juida, que celles que l'on recrute pour compléter le sérail du souverain, aiment mieux, quand elles le peuvent, se tuer que de se laisser conduire ; ce prince ne jouissant jamais de ses femmes, qu'en leur imposant, dit-on, d'exécrables supplices.

Jetterons-nous les yeux sur ces magnifiques retraites de l'Asie : nous y verrons d'orgueilleux despotes, faisant prendre leurs désirs pour des ordres, assouplir la beauté la plus pure aux sales caprices de leur imagination, et réduire à l'avilissement le plus extrême, ces fières divinités que notre bassesse encense.

Les Chinois méprisent souverainement les femmes ; ils disent qu'il faut se presser de les rejeter, aussitôt qu'on s'en est servi.

Lorsque l'empereur de Golconde veut se promener, douze des plus grandes et des plus vigoureuses filles de son sérail, forment, en s'arrangeant les unes sur les autres, une espace de dromadaire, dont les quatre plus grandes composent les jambes ; on huche sa majesté sur les reins de ces filles, et elles partent ; je vous laisse à soupçonner les moeurs de ce monarque, dans l'intérieur de son harem, et dans quel étonnement il serait, si l'on venait lui dire que les créatures dont il se sert pour ses besoins, sont des objets de culte en Europe.

Les Moscovites ne veulent rien manger de ce qui a été tué par une femme : ah ! croyez-le, mes frères, ce n'est pas pour nous avilir, par un sentiment aussi bas que celui de l'amour, que la nature a mis la force de notre côté ; c'est, au contraire, pour commander à ce sexe faible et trompeur, pour le contraindre à servir nos désirs ; et nous oublions totalement ses vues, quand nous laissons quelqu'empire aux êtres qu'elle nous a soumis.

Nous imaginons trouver le bonheur dans la tendresse que nous supposons aux femmes pour nous : mais ce sentiment n'est jamais que joué, que mesuré sur le besoin qu'elles croient avoir de nous, ou l'espèce de passion que nous flattons en elles ; que l'âge vienne, ou que la fortune change, ne pouvant plus servir à leurs plaisirs ou à leur orgueil, elles nous abandonnent à l'instant, et deviennent souvent nos plus mortelles ennemies. Dans tous les cas, nous n'en avons point de plus cruels que les femmes, qui même nous adorent sincèrement ; si nous en jouissons, elles nous tyrannisent ; si nous les méprisons, elles se vengent, et finissent toujours par nous nuire ; d'où il résulte que de toutes les passions de l'homme, l'amour est la plus dangereuse, et celle dont il doit se garantir avec le plus de soin.

Mais, faut-il autre chose que son aveuglement, pour en faire juger la folie ? faut-il autre chose que cette illusion fatale qui lui fait prêter tant de charmes à l'objet qu'il encense ? Il n'est pas un tort qui ne devienne une vertu ; pas un défaut qui ne soit une beauté ; pas un ridicule qui ne soit une grâce ; eh ! quand l'ivresse est dissipée, et qu'éclairé sur le méprisable objet de son culte, l'homme peut le considérer de sang-froid, ne devrait-il pas au moins, en rougissant de son indigne erreur, prendre de fermes résolutions, pour ne plus s'aveugler à l'avenir ?

L'inconstance et le libertinage, voilà, mes frères, les deux contrepoisons de l'amour ; tous deux, en nous accoutumant au commerce de ces fausses divinités, font insensiblement tomber l'illusion ; on n'adore plus ce qu'on voit tous les jours : par l'habitude de l'inconstance et du libertinage, le coeur perd insensiblement de cette mollesse dangereuse, qui le rend susceptible des impressions de l'amour ; il se blase, il s'endurcit, et la guérison suit de près. Eh ! comment irai-je me morfondre près des rigueurs de cette créature qui me brave, lorsqu'avec un peu de réflexion, je vois qu'un couple de louis peut me procurer, sans peine, la possession d'un corps aussi beau que le sien ? Ne perdons jamais de vue que la femme qui essaie de nous captiver le mieux, cache certainement des défauts qui nous dégoûteraient bientôt, si nous pouvions les connaître ; que notre imagination les voie, ces détails... qu'elle les soupçonne, qu'elle les devine ; et cette première opération faite dans le moment où l'amour naît, parviendra peut-être à l'éteindre. Est-elle fille ? certainement elle exhale quelqu'odeur malsaine, si ce n'est dans un temps, c'est dans un autre ; est-ce bien la peine de s'enthousiasmer devant un cloaque ? Est-elle femme ? les restes d'un autre peuvent, j'en conviens, exciter un moment nos désirs... Mais notre amour... et qu'idolâtrer là, d'ailleurs ? le vaste moule d'une douzaine d'enfants... Représentez-vous là quand elle accouche cette divinité de votre coeur ; voyez cette masse informe de chair, sortir gluante et empestée du centre où vous croyez trouver le bonheur. Déshabillez enfin, même dans un autre temps, cette idole de votre âme, seront-ce ces deux cuisses courtes et cagneuses, qui vous tourneront la cervelle ? ou ce gouffre impur et fétide qu'elles soutiennent... Ah ! ce sera peut-être ce tablier plissé qui, retombant en ondes flottantes sur ces mêmes cuisses, échauffera votre imagination... ou ces deux globes ammolis et pendants jusqu'au nombril ? Peut-être est-ce au revers de la médaille que votre hommage s'érige ? Et ce sont ces deux pièces de chair flasques et jaunes, renfermant en elle un trou livide, qui se réunit à l'autre ; oh, oui, ce sont assurément ces charmes-là, dont votre esprit se repaît, et c'est pour en jouir, que vous vous ravalez au-dessous de la condition des bêtes les plus stupides !... Mais, je me trompe, ce n'est rien ce tout cela qui vous attire, de bien plus belles qualités vous enchaînent ; c'est ce caractère faux et double, cet état perpétuel de mensonge et de fourberie, ce ton acariâtre, ce son de voix semblable à celui des chats, ou ce putanisme, ou cette pruderie, car jamais une femme n'est hors de ces deux extrêmes... cette calomnie... cette méchanceté... cette contradiction... cette inconséquence... Oui, oui je le vois, ce sont les attraits qui vous retiennent ; et sans doute, ils valent bien la peine de vous tourner la tête[15].

N'imaginez pas que j'outre la matière : si tous ces défauts ne sont pas réunis dans le même être, celui que vous adorez en possède assurément une partie ; si vous ne les voyez pas, c'est qu'on vous les dérobe, mais ils existent : si la toilette ou l'éducation déguise ce qui vous dégoûterait, le défaut n'en est pas moins réel ; recherchez-le avant que de vous lier, vous le reconnaîtrez infailliblement, et si vous êtes sage, n'allez pas sacrifier votre bonheur et votre tranquillité à la puissance d'un objet, qui certainement, vous fera bientôt horreur.

Ô mes frères ! jetez les yeux sur la multitude de peines où cette funeste passion entraîne les hommes... les maladies cruelles, fruits des tourments qu'elle donne, la perte des biens, du repos, de la santé, l'abandon de tous les autres plaisirs ; sentez les sacrifices énormes qu'elle coûte, et profitant de tous ces exemples, faites comme le nautonier prudent qui ne passe point auprès de l'écueil où vient d'échouer le navire, qui fendait les mers avec lui.

Eh ! la vie ne vous offre-t-elle pas bien d'autres plaisirs sans ceux-là ?... que dis-je ; elle vous présente les mêmes, et elle vous les donne sans épines. Puisque le libertinage vous assure les mêmes jouissances, et ne vous demande que de les dégager de cette métaphysique à la glace, qui n'ajoute rien aux plaisirs, jouissez sans liens de tous les objets offerts à vos sens ; et quelle nécessité y a-t-il donc d'aimer une femme pour s'en servir ? Il me semble que nous éprouvons tous ici qu'on s'en sert beaucoup mieux quand on ne l'aime point, ou qu'il est au moins très inutile de l'aimer pour en venir là. Qu'avons-nous besoin de prolonger ces plaisirs par une ivresse folle et ridicule ? Au bout de cinq à six heures n'avons-nous pas eu de cette femme tout ce qu'il nous en faut ; une autre nuit, cent autres nuits, ne nous ramèneraient que les mêmes plaisirs ; et d'autres objets vous en préparent de nouveaux. Quoi ! tandis que des millions de beautés vous attendent, vous auriez la folie de ne vous attacher qu'à une : ne ririez-vous pas de la simplicité d'un convive qui, dans un repas magnifique, ne se nourrirait que d'un seul plat, quoique plus de cent fussent offerts à son appétit ; c'est la diversité, c'est le changement qui fait le bonheur de la vie, et s'il n'est pas un seul objet sur la terre qui ne puisse vous procurer une volupté nouvelle, comment pouvez-vous porter l'extravagance au point de vous captiver à celui qui ne peut vous en présenter qu'une ?

Ce que j'ai dit des femmes, mes frères, vous pouvez le rapporter aux hommes. Nos défauts sont aussi grands que les leurs, et nous ne méritons pas mieux de les fixer ; toute espèce de chaîne est une folie, tout lien est un attentat à la liberté physique dont nous jouissons sur la surface du globe. Et tandis que je perds mon temps avec cet être quelconque, cent mille autres se flétrissent autour de moi, qui mériteraient bien mieux mon hommage.

Est-ce une maîtresse, d'ailleurs, qui peut satisfaire un homme ? est-ce alors, qu'esclave des volontés et des désirs de sa déesse, il ne travaillera qu'à la contenter, qu'il pourra s'occuper de ses voluptés personnelles : la supériorité est nécessaire dans l'acte de la jouissance ; celui des deux qui partage, ou qui obéit, est certainement exclu du plaisir ; loin de nous, cette délicatesse imbécile qui nous fait trouver des charmes... même dans nos sacrifices ; ces jouissances purement intellectuelles, peuvent-elles valoir celle de nos sens ? Il en est de l'amour des femmes, comme de celui de Dieu, ce sont des illusions qui nous nourrissent dans l'un et l'autre cas. Dans le premier, nous voulons n'aimer que l'esprit, abstraction faite du corps ; dans le second, nous prêtons un corps à l'esprit, et dans tous deux nous n'encensons que des chimères.

Jouissons ; telle est la loi de la nature ; et comme il est parfaitement impossible d'aimer longtemps l'objet dont on jouit, subissons le sort de tous les êtres que nous ravalons injustement au-dessous de nous, et que nous enchaînons par la force, bien plus que par la raison. Voyons-nous le chien ou le pigeon reconnaître sa compagne quand il en a joui ? Si l'amour l'enflamme un instant, cet amour n'est que le besoin, et sitôt qu'il est satisfait, l'indifférence ou le dégoût succèdent jusqu'au moment d'un nouveau désir ; mais ce ne sera plus avec la même femelle ; toutes celles qui se rencontreront deviendront, tour à tour, l'objet des voeux du mâle inconstant ; et s'il s'élève une dispute, la favorite de la veille sera sacrifiée comme le rival du jour. Ah ! ne nous éloignons pas de ces modèles plus rapprochés que nous de la nature ; ils en suivent bien mieux les lois ; et si nous avons reçu quelques sens de plus qu'eux, c'est pour raffiner leurs plaisirs. Du moment que la femelle de l'homme n'a au-dessus de l'animal, précisément que ce qui forme ses défauts, pourquoi voulons-nous adorer dans elle, cette portion qui ne l'en distingue, que pour l'humilier ? Aimons le corps, comme fait l'animal ; mais n'ayons aucun sentiment pour ce que nous croyons être distinct du corps, puisque c'est positivement là que se trouve ce qui contrebalance le reste, et ce qui devrait servir seul à nous en éloigner. Quoi ! c'est le caractère d'une femme, c'est son esprit bourru, c'est son âme perfide, qui devrait toujours me refroidir sur l'envie que j'ai de jouir de son corps, et j'oserai dire dans mon ivresse métaphysique, que ce n'est point le corps que je veux, mais le coeur ; c'est-à-dire, précisément la chose qui devrait m'éloigner de ce corps. Cette extravagance ne peut se comparer à rien ; et d'ailleurs, la beauté n'étant qu'une chose de convention, l'amour ne peut plus être qu'un sentiment arbitraire, dès que ces traits de beauté, qui font naître l'amour, ne sont pas uniformes. L'amour ne devenant plus que le goût exigé par les organes, ne peut plus être qu'un mouvement physique, où la délicatesse ne peut plus s'allier ; car, de ce moment, il est clair que j'aime une blonde, parce qu'elle a des rapports qui s'enchaînent à mes sens ; vous, une brune, par de semblables raisons ; et dans tous deux, l'objet matériel s'identifiant à ce qu'il y a de plus matériel en nous, comment adapterez-vous de la délicatesse et du désintéressement à cet unique organe du besoin et de la convenance ? Tout ce que vous y mettrez de métaphysique ne sera plus qu'illusoire, fruit de votre orgueil bien plus que de la nature, et que le plus léger examen doit dissiper comme un souffle. Ne traiteriez-vous pas de fou, l'homme qui, de sang-froid, vous assurerait qu'il n'aime d'un oeillet que l'odeur, mais que la fleur lui est indifférente ; il est impossible d'imaginer dans quelles erreurs on tombe, en s'attachant ainsi à toutes les fausses lueurs de la métaphysique.

Mais y m'objectera-t-on, peut-être, ce culte exista de tout temps ; les Grecs et les Romains firent des divinités de l'Amour et de sa mère. Je réponds à cela, que ce culte put avoir chez eux les mêmes principes que chez nous ; les femmes prédisaient aussi l'avenir chez les Grecs et chez les Romains. De-là, sans doute, sont nés le respect, et le culte du respect ainsi que je l'ai fait voir. Il faut très peu, d'ailleurs, s'en rapporter aux Grecs et aux Romains, sur les objets de culte ; et les peuples qui adoraient la merde sous le nom du Dieu Stercutius, et les égouts sous celui de la déesse Cloacine, pouvaient bien adorer les femmes si souvent rapprochées par l'odeur de ces deux antiques divinités.

Soyons donc sages à la fin, et faisons de ces ridicules idoles ce que les Japonais font des leurs, quand ils n'en obtiennent pas ce qu'ils désirent. Adorons ou faisons semblant d'adorer, si l'on veut, jusqu'à l'obtention de la chose désirée ; méprisons-le dès qu'elle est à nous ; si on nous refuse, donnons cent coups de bâton à l'idole, pour lui apprendre à dédaigner nos voeux ; où si vous l'aimez mieux, imitons les Ostiaques qui fustigent leurs Dieux à tour de bras, aussitôt qu'ils en sont mécontens ; il faut pulvériser le Dieu qui n'est bon à rien ; c'est bien assez d'avoir l'air d'y croire dans le moment de l'espérance.

L'amour est un besoin physique, gardons-nous de le considérer jamais autrement[16]. L'amour est, dit Voltaire, l'étoffe de la nature que l'imagination a brodée. Le but de l'amour, ses désirs, ses voluptés, tout est physique en lui ; fuyons pour toujours l'objet qui semblerait prétendre à quelque chose de plus ; l'absence et le changement sont les remèdes assurés de l'amour ; on ne pense bientôt plus à la personne qu'on cesse de voir, et les voluptés nouvelles absorbent le souvenir des anciennes ; les regrets de pareilles pertes sont bientôt oubliés ; ce sont les plaisirs irrétrouvables qui peuvent en donner d'amers ; mais ceux qui se remplacent aussi facilement, ceux qui renaissent à toutes les minutes... à tous les coins de rue, ne doivent pas coûter une larme.

Eh ! si l'amour était vraiment un bien, s'il était réellement fait pour notre bonheur, un quart de la vie s'écoulerait donc sans en pouvoir jouir ? Quel est l'homme qui peut se flatter d'enchaîner le coeur d'une femme, quand il a passé soixante ans ? il en a pourtant quinze encore à jouir s'il est bien constitué ; il doit donc renoncer au bonheur pendant ces quinze années-là. Gardons-nous d'admettre un pareil système ; si l'âge vient faner les roses du printemps, il n'éteint ni les désirs, ni les moyens de les satisfaire ; et les plaisirs que goûte le vieillard, toujours plus recherchés... toujours plus améliorés... toujours plus dégagés de cette froide métaphysique, véritable tombeau des voluptés ; ces plaisirs, dis-je, seront mille fois plus délicieux, cueillis au sein de la débauche, de la crapule et du libertinage, que ne pouvaient l'être ceux qu'il procurait jadis à sa belle maîtresse : alors, il ne travaillait que pour elle, c'est lui seul qui l'occupe aujourd'hui. Regardez ses raffinements ; observez comme il craint de perdre ce qu'il sait bien ne pouvoir caresser qu'une minute ; quels détails dans sa lubrique jouissance... comme tout est pour lui, et comme il veut qu'on ne s'occupe que de lui. L'apparence même du plaisir le troublerait dans l'objet qui le sert, ce n'est que la soumission qu'il veut. La blonde Hébé détourne ses regards, elle ne peut cacher ses dégoûts ; qu'importe au septuagénaire Philatre ; ce n'est pas pour elle qu'il veut jouir, c'est pour lui seul : ces mouvements d'horreur qu'il produit, tournent au profit de sa volupté même ; il est bien aise de l'inspirer ; il est obligé de contraindre ; il faut presque qu'il menace, pour obtenir qu'on dirige dans sa bouche fétide une langue douce et fraîche, que la jeune beauté qui lui est sacrifiée, craint de profaner par ce sale mystère ; et voilà tout d'un coup l'image du viol, et par conséquent, pour Philatre, un plaisir de plus. Jouissait-il de tous ces plaisirs à vingt ans ; on le prévenait, on l'accablait de caresses, à peine avait-il le loisir d'en désirer, et la jouissance éteinte dans elle-même, ne lui laissait jamais aucune pointe. Est-ce un désir, que le mouvement satisfait avant que de naître ? La résistance n'est-elle donc pas la seule âme du désir, où peut-elle en ce cas exister plus entière qu'au sein des dégoûts ? Si donc le plaisir ne s'irrite que par la résistance, et que celle-ci ne soit réelle, qu'enfantée par le dégoût, il peut donc devenir délicieux d'en causer, et toutes les fantaisies qui en donnent à une femme peuvent donc devenir plus sensuelles, et cent fois meilleures que l'amour... que l'amour... la plus absurde de toutes les folies, et dont je crois vous avoir suffisamment démontré le ridicule et tous les dangers.

[1] Sade, Dialogue entre un prêtre et un moribond, 1782, Mille et une nuits 1993.
Lecture : René Depasse, Littérature audio.com

[2] Sade, Français, encore un effort, 1795.

[3] On sait que l'infâme et scélérat Sartine composait à Louis XV des moyens de luxure, en lui faisant lire trois fois par semaine, par la Dubarry, le détail privé et enrichi par lui de tout ce qui se passait dans les mauvais lieux de Paris. Cette branche de libertinage du Néron français coûtait trois millions à l'État !

[4] Qu'on ne dise pas ici que je me contrarie, et qu'après avoir établi plus haut que nous n'avions aucun droit de lier une femme à nous, je détruis ces principes en disant maintenant que nous avons le droit de la contraindre : je répète qu'il ne s'agit ici que de la jouissance et non de la propriété ; je n'ai nul droit à la propriété de cette fontaine que je rencontre dans mon chemin, mais j'ai des droits certains à sa jouissance ; j'ai le droit de profiter de l'eau limpide qu'elle offre à ma soif ; je n'ai de même aucun droit réel à la propriété de telle ou telle femme, mais j'en ai d'incontestables à sa jouissance ; j'en ai de la contraindre à cette jouissance si elle me la refuse par tel motif que ce puisse être.

[5] Les Babyloniennes n'attendaient pas sept ans pour porter leurs prémices au temple de Vénus. Le premier mouvement de concupiscence qu'éprouve une jeune fille est l'époque que la nature lui indique pour se prostituer, et, sans aucune autre espèce de considération, elle doit céder dès que sa nature parle ; elle en outrage les lois si elle résiste.

[6] Les femmes ne savent pas à quel point leurs lascivités les embellissent. Que l'on compare deux femmes d'âge et de beauté à peu près semblables, dont l'une vit dans le célibat et l'autre dans le libertinage : on verra combien cette dernière l'emportera d'éclat et de fraîcheur ; toute violence faite à la nature use bien plus que l'abus des plaisirs ; il n'y a personne qui ne sache que les couches embellissent une femme.

[7] Oeuvres morales, Traité de l'amour.

[8] Il faut espérer que la nation réformera cette dépense, la plus inutile de toutes ; tout individu qui naît sans les qualités nécessaires pour devenir un jour utile à la république n'a nul droit à conserver la vie, et ce qu'on peut faire de mieux est de la lui ôter au moment où il la reçoit.

[9] La loi salique ne punissait le meurtre que d'une simple amende, et comme le coupable trouvait facilement les moyens de s'y soustraire, Childebert, roi d'Austrasie, décerna, par un règlement fait à Cologne, la peine de mort non contre le meurtrier, mais contre celui qui se soustrairait à l'amende décernée contre le meurtrier. La loi ripuaire n'ordonnait de même contre cette action qu'une amende, proportionnée à l'individu qu'il avait tué. Il en coûtait fort cher pour un prêtre : on faisait à l'assassin une tunique de plomb de sa taille, et il devait équivaloir en or le poids de cette tunique, à défaut de quoi le coupable et sa famille demeuraient esclaves de l'Église.

[10] Qu'on se souvienne que la guerre extérieure ne fut jamais proposée que par l'infâme Dumouriez.

[11] Sade, La philosophie dans le boudoir, 1795, Folio 1998.

[12] Sade, La nouvelle Justine ou Les malheurs de la vertu, suivie de L'histoire de Juliette, sa soeur, 1797,
(L'histoire de Juliette, Éd. Wikisource, 3e partie, p 170, (PDF, p. 705-725)).

[13] C'est ce peuple qui servait autrefois la maison d'Autriche, sous le nom de Pandours. Il habite la partie méridionale de la Croatie autrichienne. Pandour veut dire voleur de grand chemin.

[14] Sauf votre respect.

[15] Ne doutons pas qu'il n'y ait une différence aussi certaine, aussi importante, entre un homme et une femme, qu'entre l'homme et le singe des bois ; nous serions aussi fondés à refuser aux femmes de faire partie de notre espèce, que nous le sommes de refuser à cette espèce de singe d'être notre frère ; qu'on examine attentivement une femme nue à côté d'un homme de son âge et nu comme elle, on se convaincra facilement de la différence sensible qui existe (sexe à part) dans la composition de ces deux êtres, on verra bien clairement que la femme n'est qu'une dégradation de l'homme ; les différences existent également dans l'intérieur, et l'anatomie de l'une et de l'autre espèces, faite en même temps et avec la plus scrupuleuse attention, découvre ces vérités.

[16] Voyez ce qu'en dit la célèbre Ninon de l'Enclos, quoique zélatrice et femme.

Philo5
                Quelle source alimente votre esprit ?