PENSER PAR SOI-MÊME 

 

La connaissance : oppositions et analogies
[1]

 

Si donc on veut comprendre un certain philosophe, il est absurde de commencer par le refuser. Pour le comprendre, il faut d'abord consentir à penser avec lui, en lui « prêtant » [notre] propre liberté.

Jeanne Hersch, L'étonnement philosophique, p. 440

La connaissance par les contrastes et l'analogie

Oppositions dans la philosophie occidentale

Recherche d'unité

Philosophie chinoise

La connaissance par les contrastes et l'analogie [2]

Aucune métaphore n'illustre mieux l'intérêt de la philosophie que l'échiquier d'Adelson. Regardez-le attentivement. Maintenant, dites-moi si le gris de la case A est véritablement plus foncé que celui de la case B ? Ne sommes-nous pas prêts à jurer que la case B est plus claire ? Il faudra découper soigneusement les deux carrés et les juxtaposer hors du contexte original pour se convaincre qu'ils ont la même teinte.

De manière analogue, les philosophes s'exercent à éclairer des contrastes inattendus. S'il nous est facile de voir que la vie s'oppose à la mort, comment comprendre par exemple que Camus y voit une opposition entre la révolte et l'absurde ? Il n'est pas besoin d'être philosophe pour bâtir sa vie autour de notions complémentaires. Nous le faisons tous. L'intérêt du jeu est d'essayer de comprendre comment le philosophe arrive à voir des contrastes là où nous n'y voyons que dalle.

Mais plus encore, au-delà du contraste, des analogies étonnantes apparaissent. Si nous opposons passé à futur et corps à esprit ; nous pouvons apercevoir aussi une analogie entre passé et corps ou futur et esprit. De même, une analogie éclairante apparaît entre tous les termes de la colonne de gauche, et une autre entre ceux de la droite.

L'exercice n'est pas banal puisqu'il est au coeur même de la connaissance ; rien ne peut être connu sans l'opposition et l'analogie ; la pensée fonctionne essentiellement par dissociation et regroupements. Les philosophes veulent nous intéresser à des combinaisons novatrices. Explorons des perspectives inhabituelles...

Philosophie occidentale

Oppositions

Philosophe

changement
(transformation)    

permanence
    (l'Être, le Logos)

Heraclite - Parménide

réalité
(réel)    
(réalisme)    

idéal
    (désirable)
    (idéalisme)

Platon

mortel

immortel

Platon

apparence

essence (substance)

Aristote

matière

forme

Aristote

passé

futur

Augustin

corps
(coeur) (objet matériel)    

esprit
    (âme) (concept spirituel) (raison)

Platon - Augustin

Nominalisme
(cheval)    

Essentialisme
    (« chevalité », essence=définition)

les Universaux
Roscelin - Champeaux - Abélard

homme

Dieu

Thomas d'Aquin

finalité

causalité

Thomas d'Aquin

être

essence (principe - définition)

Thomas d'Aquin

intuition
(se représenter 3, 4 objets)    

concept
    (se représenter 1000 objets)

Descartes

l'étendue
(nature)    

la pensée
    (métaphysique)

Descartes

sensualisme
empirisme
réalisme

rationalisme           - 1. genèse
intellectualisme  - 2. méthode
idéalisme            - 3. fondement

Hobbes - Descartes

sens
(sensibilité)    

entendement
    (réflexion)

Locke

matérialisme

spiritualisme

Berkeley

objet

sujet

Kant

a posteriori

a priori

Kant

la science
(connaissance)    

la foi
    (spéculation)

Kant

phénomène

noumène (chose en soi)

Kant

déterminisme
(pulsion - fatalité)    

volontarisme
    (liberté - engagement)

Freud - Sartre

assujettissement

devoir

Kant

les résultats

la loi

Kant

thèse

antithèse

Hegel

positif

spéculatif

Comte

nécessité

hasard

Darwin

pratique

théorie

Marx

mémoire

volonté

Nietzsche

dionysiaque
(instinct, euphorie, démesure, foison) 

apollinien
    (ordre, beauté, mesure, équilibre)

Nietzsche

intelligence
(extérieur)    
quantité

instinct
    (intérieur)
qualité

Bergson

science
(extérieur)    

existence
    (intérieur)

Jaspers

immanence
(Dasein) être-là

transcendance
exister

Jaspers

existence
(en-soi)    
l'être

essence
    (pour-soi)
le néant

Sartre

la révolte
(la vie)    

l'absurde
    (la mort)

Camus

cynisme

romantisme

Marcel

(le bien / le mal) l'éthique

l'amour

Ieschoua

raison
(rationnel)    

sentiment
    (émotionnel)

Voltaire - Rousseau

Recherche d'unité

À la mise en évidence des contrastes s'oppose les courants unificateurs. L'Ordre cosmique unifié apparaît dans l'Antiquité. Il se précise chez les stoïciens qui conçoivent le bonheur (eudaimonia) comme la faculté de l'humain à se fondre dans l'harmonie universelle. Ce principe d'idéal unitaire jalonne l'histoire de la philosophie.

 

Thème unificateur

Philosophe

 

 

un seul Dieu

Xénophane

 

 

Universalisme

Ammonius Saccas

 

 

Hénologie

Plotin

 

 

le présent

Augustin

 

 

Universaux

Abélard

 

 

mathématiques

Newton

 

 

immatérialisme

Berkeley

 

 

Identité

Schelling

 

 

synthèse (Histoire)

Hegel

 

 

existence

Kierkegaard

 

 

logique

Russell

 

 

jeu de langage

Wittgenstein

 

Philosophie chinoise

La philosophie chinoise de Lao-tseu (Laozi) enseignait déjà, vers le VIe siècle av. J.-C., un ordre du monde formé de l'union des contraires. Les oppositions retrouvaient leur unité dans la philosophie du Tao (la Voie).

 

Tao

 

 

yin

yang

 

 

Principe femelle

Principe mâle

 

 

réceptivité

émissivité

 

 

terre

ciel

 

 

vacuité

plénitude

 

 

effet

cause

 

 

négatif

positif

 

[1] Inspiré de Jeanne Hersch, L'étonnement philosophique, Gallimard © 1981, Folio Essais #216, © 1993, page 212.

[2] Voir le Vocabulaire d'oppositions philosophiques : carrefour de sens.

Philo5
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