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CONSULTATION PHILOSOPHIQUE - APERÇU

Comment structurer ma réflexion sur le féminisme ?

Consultation philosophique au bénéfice de Bertrand Clair, France

18 avril 2011

Objet : J'ai grand peine à structurer mon travail de réflexion sur le féminisme, mais plus encore, à obtenir des informations fiables.

Monsieur Brooks.

J'habite en France et depuis plusieurs mois je me suis sensibilisé à la condition masculine via le site que vous connaissez peut être La cause des hommes. J'ai découvert votre site par hasard via l'article Anatomie d'une illusion.

J'ai fait un énorme travail de réflexion philosophique sur l'être masculin mais sous un angle occidental et j'ai grand peine à le structurer mais plus encore à obtenir des informations fiables. Je suis tout autant perdu par les différents modèles que je peux voir dans l'espace publique que par la sursexualisation du corps des femmes (mode que j'ai vu en Suède en 2009 et qui est importé en France depuis fin 2010).

Pour vous donner un exemple, des féministes (Françoise Héritier par exemple) nous parle d'un patriarcat antédiluvien alors qu'un anthropologue me parle de matriarcat/matriarcat sur plus de 100 000 ans et que le patriarcat (5 500 ans) est un accident de l'histoire. J'ai bien l'impression que pour beaucoup de personnes, le monde commence il y a 2000 ans ou chez les grecs mais que se passe t-il avant ?

Quelle était la place du masculin dans les structures matriarcale ? Pourriez vous m'indiquer des références afin que je puisse travailler et creuser le sujet ?

Le site Sisyphe.org est québécois. Quel est votre sentiment à son sujet ?

En ce moment, je m'intéresse aux études de genre de Judith Butler. Bien que critiqué par beaucoup de féministes (qui oublient de préciser que c'est une théorie faite par des femmes pour des femmes), je pense que c'est une philosophie dont celles qui la développent n'ont pas conscience de la puissance de l'outil conceptuel parce trop obtus. Je remarque aussi une levée de bouclier des féministes contre les études de genre et l'ouverture de groupe comme ANFE et Fémina Europa pour défendre la femme et la famille. Je remarque à nouveau que l'homme en tant qu'individu et être n'est pas mentionné. Est ce volontaire ou non ? J'ai bien l'impression que les femmes s'adressent à elles-mêmes excluant à nouveau les hommes sans chercher à acter ni à reconnaitre les dégâts qu'une certaine idéologie féministe à imposer à la société.

Je vous remercie pour vos textes qui sont très intéressant.

Je vous remercie par avance pour vos réponses.

Bien à vous

Bertrand

12 mai 2011

Bonjour Monsieur Clair.

Par les points essentiels que vous touchez, je constate le travail de réflexion qui précède votre demande. Françoise Héritier, Judith Butler et l'Alliance pour un Nouveau Féminisme Européen (ANFE) sont, avec Élisabeth Badinter, ce que l'on peut appeler la fine fleur de la pensée féministe actuelle. Je partage vos impressions en conclusion de votre courriel et je vais essayer, par mes modestes moyens, d'éclairer chacune de vos interrogations en proposant quelques perspectives susceptibles de démêler l'écheveau féministe-masculiste.

  1. Le brouillage médiatique privé / public

  2. Les tentatives abusives d'enracinement historique du féminisme

  3. Vous me demandez des références

  4. Les femmes souffrent véritablement mais l'origine de leur problème est ailleurs

  5. Sisyphe.org, un site borgne et unidimensionnel

  6. À propos de la théorie du genre indéterminé de Judith Butler

  7. L'Association pour un Nouveau Féminisme Européen

  8. En terminant

* * *

1. Le brouillage médiatique privé / public

L'immense confusion dans ce que j'appelle le féminisme-masculisme provient à mon sens du fait d'un brouillage médiatique constant entre le privé et le public. Ces deux domaines, pourtant distincts, se chevauchent sans cesse et ne cessent de vouloir, pour ainsi dire, « bouffer l'autre » pour occuper tout le territoire. D'autres perspectives sont possibles mais il me semble que celle qui prend bien soin de distinguer le public du privé permet d'éclaircir avantageusement l'embrouillamini. Freud nous aide à comprendre quand il pose les trois entités de l'être : le moi (privé) le ça (privé mais toujours agissant sur le public) et le surmoi (public). Ces trois entités composent la psyché de l'individu qui est un champ de bataille permanent entre ses pulsions (le ça) et les interdits sociaux (le surmoi). D'où névrose, problème caractéristique de l'être sexué qui doit passer par le social (public) pour ses besoins érotiques et se reproduire. L'organisme unicellulaire (privé) n'a pas ce problème ; il n'a pas besoin d'un pôle complémentaire extérieur (public) auquel il doit s'associer pour engendrer ; il se reproduit par simple division (scissiparité).

Chacun s'entend aujourd'hui pour séparer le religieux (privé) de la politique (public). Mais qu'en est-il de la famille ? De privée qu'elle était auparavant, elle est passée dans le domaine public et de là naît toute la confusion.

L'adage disait autrefois qu'on doit laver son linge sale en famille. Avec la spectacularisation (voir La société du spectacle de Guy Debord) croissante de la famille (téléromans, films, lignes ouvertes, cour de la famille, etc.) chacun croit maintenant avoir des comptes publics à régler sur ses inconforts matrimoniaux alors qu'il n'y a rien de plus banal et personnel que les frictions familiales et la douleur des amours en allés. Chacun met de l'avant les « injustices » qu'il a subies mais, comme le dit si bien Amélie Nothomb : « L'un des vices de l'histoire est que l'on situe les débuts où l'on veut. Ainsi, pour justifier une guerre, on pourra toujours dire que c'est l'autre qui a commencé. » (Citation 027) Dans les drames familiaux, le public est toujours mal placé pour juger puisque le téléjournal commence toujours l'histoire au moment où le sensationnalisme est le plus rentable, médiatiquement parlant. Donc, comme l'histoire qu'on nous présente nous incite à juger sans porter à notre connaissance tous les faits qui la constituent, nous posons toujours des jugements hâtifs et invalides. Bref, la médiatisation des affaires privées fout la pagaille et, comme nous en sommes friands, les commanditaires font fortune. 

Votre confusion est compréhensible. Comment savoir ce que nous devons faire en privé (côté sexe) si nous sommes sans cesse ballottés par des modèles publics contradictoires (sursexualisation/répression) ? Si bien qu'on en arrive à des manifestations publiques où quelques danseurs nus évoluent dans une salle de réception où un public féminin utilise le sexe des Apollon à leur guise en toute sérénité (voir Dancing Bear) alors que d'un autre côté, l'aile droite du féminisme dénonce la prostitution féminine comme un outrage à la femme. Pareillement, on voit des jeunes filles souriantes à peine nubiles accorder leurs faveurs à des garçons brutaux qui leur font mille outrages (ai-je besoin de fournir un lien en exemple ?) alors que d'un autre côté, des pères indignés les voient monnayer désinvoltement ce qu'ils ont honorablement protégé leur enfance durant. L'immoralité publique a ici raison de la morale privée, et, au téléjournal, la morale publique s'inverse pour dénoncer la situation. Quand la frontière entre le privé et le public est rompue les codes moraux traditionnels ne jouent plus. Comment savoir ce qui est moral ? La moralité est essentiellement déterminée par la société. L'individu sauvage n'a pas plus de moralité que l'animal ; il copule selon un cycle biologique naturel, sans plus. Pour devenir moral, on doit lui enseigner le code qu'il va intégrer. Mais que faire quand la société enseigne deux codes contradictoires ? En fait l'érotisme est justement basé sur cette contradiction du permis et du défendu. Sade a très bien montré que la transgression est le plus puissant moteur de l'excitation sexuelle. Devenue Parisienne, Marjane Satrapi a avoué qu'elle ne s'était jamais autant envoyée en l'air que sous le régime Iranien. Bref, quand la morale nous impose l'abstinence, elle injecte en nous le désir érotique. Peu de gens aujourd'hui s'exciteraient sur des objets religieux comme Sade le faisait à l'époque. Mais c'est toujours l'interdit qui émoustille. À ce titre, le féminisme n'a rien inventé. Il n'est que le nouveau chien de garde qui conditionne l'émancipation sexuelle ; il pose les interdits qui excitent la population. Et comme les femmes ont acquis un pouvoir d'achat considérable, il s'agit tout simplement de marchandiser leur appétit sexuel. Ainsi se conjugue l'idéologie puritaine et libertaire du féminisme sans jamais parvenir au consensus.

 Voyez ce lien où Howard Stern décrit et commente la jouissance d'une femme qui s'exécute sexuellement en public comme s'il s'agissait d'une joute sportive. Ce qui est troublant dans la scène — comme pour le Dancing Bear — n'est pas le sexe, (les filles font des choses considérées aujourd'hui comme banales) c'est la rupture de la frontière entre le privé et le public, principal fonds de commerce médiatique.  Déjà Manet avait montré en peinture dans le Déjeuner sur l'herbe (1863) le vrai sens de l'érotisme : la fracture entre le privé et le public pose la genèse essentielle de l'érotisme.

Un modèle d'analyse ne permet pas de régler un problème mais simplement de le comprendre. C'est à vous de décider de votre propre moralité, de choisir les gens que vous allez côtoyer et de doser la part de public dont vous avez besoin dans votre vie privée pour vous érotiser. Au total, le message devient : Faites ce que vous voulez, mais, de plein consentement, en respectant les lois — entendu que l'âge minimum du consentement est 18 ans.

Les exemples évoqués ici sont des extrêmes qui me permettent d'illustrer clairement le propos qui vous intéresse. Mais l'invasion de l'espace privée par les médias a une portée considérablement plus vaste. Pour ma part, lassé de subir sans cesse l'assaut sur ma vie privée, je me garde bien maintenant d'ouvrir la télévision ou la radio. Le contenu érotique de ma vie, c'est moi qui en décide, pas le téléproducteur. Depuis l'avènement de la TV, quelque chose n'a pas encore été compris. Par exemple, dans les touts débuts, une personne était gênée de se balader nue devant l'annonceur des nouvelles. Cette présence, même si on savait qu'il ne pouvait pas nous voir, était inconfortable ; on sentait l'intrus dans la maison. Peu à peu, nous nous sommes habitués et désinhibés. Ceci avait attiré notre attention, mais le véritable problème était ailleurs. Sauf Guy Debord, nous n'avions pas vu que la télévision est un personnage qui entre dans notre vie privée et l'influence malgré le fait qu'on pense y échapper. Le regard de l'autre nous crée. Sartre l'a bien montré dans L'angoisse de la mauvaise foi. De telle sorte que la présence télévisuelle influence profondément à notre insu notre conception des rapports publics et privés.

 Curieusement, le féminisme est né en même temps que la télévision et l'effritement de la vie privée.

2. Les tentatives abusives d'enracinement historique du féminisme

Ceux qui se servent du levier de l'Histoire pour appuyer leurs thèses, comme Françoise Héritier, en prétendant enraciner leur savoir dans des millénaires dont ils n'ont aucune autre connaissance que par le biais de leurs lectures me font penser à ceux qui lisent la bible en lui donnant une interprétation contemporaine sans rien savoir des conditions technologiques, sociales (public), psychologiques (privé), géographiques, domiciliaires, sanitaires, alimentaires, médicales, scolaires, religieuses, atmosphériques, etc., etc., qui prévalaient à l'époque. Juger les hommes de la Grèce antique à l'aulne des théories féministes contemporaines c'est comme leur reprocher de ne pas voyager en avion. La connaissance est tout autre chose que la théorisation. Héritier est une théoricienne intéressante en ceci qu'elle propose une vision de l'humanité apparaissant comme utopie à réaliser. Mais l'intérêt scientifique s'émousse quand on réalise qu'elle répond à un agenda : le désir d'une réingénierie sociale apparemment profitable aux femmes. Bref, elle ne fait rien de plus qu'un évangélisateur avec une posture prétendument scientifique. Elle sort du champ de la science pour entrer dans la politique. Claude Lévi-Strauss n'a pas fait ça ; et s'il l'a fait, il avait chaque fois la prudence d'annoncer qu'il était conscient de l'écart qu'il se permettait. Ainsi donc, quand une sociologue, anthropologue ou psychologue se pose en féministe on est en droit de se demander si on n'a pas affaire à une politique ou une prédicatrice.

Le féminisme que nous connaissons n'est pas plus vieux que nous. Il s'enracine dans la mémoire collective de l'après Deuxième Guerre mondiale où les femmes ont vécu une situation sociale qu'aucune autre époque n'a connue. Nos technologies les ont libérées de toutes les tâches astreignantes et consacrées reines du foyer avec la possibilité de jouir sexuellement à loisir, sans devoir enfanter, par la distribution de moyens de contraception de masse abordables. Si les femmes ont envahi le marché du travail, ce n'est pas tant parce qu'elles étaient des esclaves serviles voulant se libérer des hommes qu'à cause de l'ennui mortel qu'elles éprouvaient dans une économie de désir saturé. Peut-on comparer cette situation à toute autre époque où les impératifs sexuels de l'enfantement et une économie de besoins régissaient l'ensemble des rapports sociaux ? Comment Françoise Héritier peut-elle comparer des époques si antinomiques ? Comment peut-elle gloser sur les réalités sociales d'un matriarcat ou d'un patriarcat s'étendant sur des millénaires du haut de ses 77 ans ? Elle a succédé à Lévi-Strauss mais je constate qu'elle dérive dans un féminisme qui trahit son maître, un homme de terrain qui théorisait à partir du vécu concret avec les tribus dans lesquelles il s'intégrait avant de se permettre d'en parler. Lévi-Strauss n'a eu de cesse de montrer l'égalité de la valeur humaine indépendamment des cultures étudiées. Il reconnaissant la valeur de chacune d'elles et de son organisation, qu'elle soit matriarcale ou patriarcale. Son œuvre ne portait aucun jugement de valeur en faveur de l'une ou l'autre ; son point de vue n'était pas teinté de masculisme. Il observait et témoignait. (Écouter son témoignage sur le comportement de Simone de Beauvoir [3])

Le monde de Françoise Héritier commence avec elle et le féminisme qu'elle avance. Pas avant. Penser le monde en terme de féminisme sur une terre hostile dangereuse et où la force de l'homme garantissait la survie de sa femme et de sa famille est d'un ridicule consommé qui ne montre que l'ignorance d'une « scientifique » née de la dernière pluie idéologique. Le féminisme ne peut parler que des femmes. Et c'est là tout son problème. Comment voulez-vous tenir un discours universel en ne parlant que des gens de votre propre sexe ? Les féministes militantes n'ont pas compris qu'elles s'aveuglent avec une idéologie borgne. Les grands esprits féminins comme Thérèse d'Avila ou Hannah Arendt n'ont pas de sexe. Leur réflexion est valide pour l'humanité entière. Le féminisme ne peut se les accaparer.

3. Vous me demandez des références

Voyez de toute urgence le film Fiddler on the Roof (Un violon sur le toit). Bien que ce soit une fiction, l'auteur a mis en relief une évidence que nous ne pouvons plus apercevoir aujourd'hui. Après s'être rendu compte que ses filles veulent désormais se marier par amour, le père intrigué cherche à comprendre ; il demande à sa femme si elle l'aime. Je vous laisse la surprise de découvrir sa réponse. L'ensemble du film est un condensé des mutations matrimoniales vécues à l'aube du XXe siècle où l'exigence de liberté romantique va s'accroître sans cesse. D'abord accouplée par la marieuse, chacune des filles poussera un peu plus loin l'exigence de liberté matrimoniale. Choisissant ensuite un mari par amour, la dernière poussera la transgression jusqu'à marier à un Russe alors qu'elle est Juive.

Le féminisme a foisonné dans tous les sens. Les théories sont aussi contradictoires que le libéralisme et le communisme. Si ce n'est déjà fait, lisez la troisième partie du livre Femmes et fières de l'être de Sabine Bosio-Valichi et Michelle Zancarini-Fournel. Ces deux féministes sont d'une honnêteté intellectuelle remarquable. Elles ont le courage de montrer les paradoxes inextricables du mouvement qu'elles défendent. Vous comprendrez mieux pourquoi vos recherches mènent à la confusion. Le féminisme est tellement contradictoire en lui-même que je me demande pourquoi on ne parle pas toujours de ce mouvement au pluriel. (Voir Les 5 pôles du féminisme.)

Ici, au Québec, Mme Francine Descarries est la chantre de la pensée féministe nationale. Elle est professeure de sociologie à l'UQÀM, université d'État ouvertement féministe. Elle a développé un cours d'études féministes dont vous trouverez ici le libellé s'intitulant Émergence et développement des études féministes au Québec. Elle a publié aussi sa propre Chronologie de l'histoire des femmes au Québec. Prétendant défendre l'égalitarisme, elle se tape les bretelles du fait que la majorité des diplômés universitaires sont femmes. Théoricienne militante de grande influence, sa carrière illustre montre comment une institution « scientifique » va se mettre au service d'une idéologie politique. Avec l'élan de la « discrimination positive » imposée par l'idéologie féministe, Mme Descarries a mis de l'avant une véritable réingénierie sociale où la représentation féminine doit dominer partout et où l'homme sert principalement de support à la féminisation sociale. Elle présente un féminisme à la Benoîte Groult où la femme doit prendre sa revanche sur une époque où elle aurait été opprimée par l'homme et réécrit l'histoire des femmes du Québec dans cette optique. Ses jeunes émules, n'ayant rien connu de l'époque sur laquelle leur gourou fabule, sont séduites par le programme de revanche millénaire à prendre dans une compétition hommes-femmes où elles se voient attribuer le noble rôle des Jeanne D'Arc du genre féminin. Sans jamais le mentionner, elle s'inspire directement de l'idéologie de Mao Tsé-toung dans son chapitre XXXI - sur Les femmes.

4. Les femmes souffrent véritablement mais l'origine de leur problème est ailleurs

Le hic c'est que, comme ces femmes ne sont pas pour autant libérées de la conception des enfants, et que la démographie québécoise est aux antipodes de celle de la chine du XXe siècle, elles se retrouvent à supporter une surcharge cumulant tâches professionnelles et familiales. Si bien qu'elles portent la société à bout de bras pendant que le Québec, ayant l'un des plus bas taux de natalité en Occident, voit s'effriter sa culture traditionnelle à un rythme inquiétant, obligés que nous sommes d'ouvrir grandes nos portes à l'immigration afin de maintenir une population suffisante de travailleurs servant à payer une dette nationale sans cesse croissante. Le pire c'est que les femmes hypnotisées par le discours militant n'arrivent pas à voir qu'elles sont les artisanes de leur propre malheur. En rupture d'identité historique, familiale et nationale, elles se raccrochent à un idéal qui les a flouées paradoxalement en leur faisant croire en une nouvelle identité exaltante de travailleuses serviles dans un système économique qui courre à la ruine. Pire, elles se renfrognent toujours davantage contre l'homme, désigné d'office comme la source principale de tous leurs problèmes, et, complémentairement, on a vu surgir un mouvement symétrique de masculisme revendicateur emboîtant le pas dans la même voie. Henri Laborit a montré dans le film Mon oncle d'Amérique la dynamique opérationnelle de cette lutte inefficace qui maintient pourtant l'équilibre dans une situation de stress où deux rats sont mis en cage sans pouvoir échapper à l'environnement hostile. Le Pouvoir en place qui exploite outrageusement la force de travail du couple a su manœuvrer habilement les femmes des classes moyennes et inférieures pour que les énergies négatives suscitées par leur asservissement à la société de consommation bouclent dans le couple et reste ainsi dans la sphère privée. Au bout du compte, les couples sont stressés par l'environnement psychosocial et on leur fait croire que c'est le conjoint qui en est responsable. Ainsi donc, plutôt que se révolter contre le Système qui les exploite, les conjoints luttent l'un contre l'autre alors que la classe dominante s'enrichit à leurs dépens. Avez-vous remarqué que plus on s'élève dans la hiérarchie sociale, moins le féminisme est présent dans le discours féminin ? Ce n'est pas la belle femme séduisante dont l'apparence seule fait tomber les dollars qui s'inquiète de l'infériorité de son sexe mais la pauvre ouvrière de la classe moyenne qui doit vendre sa force de travail parce qu'elle ne dispose pas du capital beauté qui pourrait lui garantir une vie facile ? Même Simone de Beauvoir, bourgeoise accomplie, avoue n'avoir jamais souffert d'être femme et n'a rien à reprocher personnellement au genre masculin.

Le féminisme est un mouvement de diversion qui va probablement s'effondrer en même temps que le Pouvoir économique qui l'a mis en place. Déjà on voit poindre le bout du tunnel alors que l'effondrement éminent de l'économie mondiale nous ouvre les yeux sur le mécanisme d'endettement national pour lequel on avait besoin de la force de travail massive des femmes engagées à le soutenir et dont on s'est servi pour apprivoiser les hommes récalcitrants traditionnellement plus difficiles à soumettre que les femmes.

5. Sisyphe.org, un site borgne et unidimensionnel

Le site sisyphe.org est borgne. La grille de Sabine Bosio-Valichi et Michelle Zancarini-Fournel aide à voir qu'il ne propose qu'une seule facette du féminisme. C'est avant tout le site politique d'une idéologie de conquête qui, sous de pseudo-apparences d'égalité cache un désir de domination d'une moitié de la population sur l'autre. La marâtre traditionnelle n'a pas attendu ce féminisme pour prendre le contrôle dans la relation conjugale. Les idéologues de sisyphe.org ont réinventé la roue de la femme dominatrice en s'appuyant sur un mouvement à la mode qui ne cesse de propager des lieux communs ridicules, mais efficaces. Le plus troublant c'est qu'«illes» prétendent parler au nom des femmes alors que la philosophe Élisabeth Badinter leur a bien indiqué en quoi le discours victimaire faisait fausse route. Le discours du sourd est comme une prière adressée machinalement à Dieu ; on la répète sans cesse pour se convaincre soi-même et pour se protéger des autres voix qui pourraient déranger notre croyance. C'est une forme d'autisme ; une réaction de peur ; c'est le contraire de la liberté. Le propre de toute idéologie c'est qu'elle s'empare de votre liberté pour la mettre à son service. (Voir le texte Mensonge fondateur)

6. À propos de la théorie du genre indéterminé de Judith Butler

Je partage votre intérêt pour Judith Butler qui présente, me semble-t-il, la seule innovation féministe véritable après Beauvoir et Badinter. Elle pose le genre comme quelque chose d'indéterminé en opposition à la binarité homme / femme traditionnelle. À savoir que l'individu se situerait quelque part sur une droite aux extrémités de laquelle on a d'un côté le « genre homme », et de l'autre, le « genre femme ». Ce nouveau concept de genre fait disparaître les stéréotypes traditionnels et les recycle en absolus théoriques pour créer une myriade de genres possibles sur une abscisse où chacun trouverait sa place. Ce faisant elle a le mérite de faire disparaître l'homme et la femme en tant que binarité belliqueuse et peut-être de dissoudre le conflit féministe qui les oppose. L'humain devient alors une sorte d'homo-jouissans qui peut tirer son plaisir sexuel de toutes les combinaisons possibles. Du coup, la fierté gay et l'homosexualité se dissolvent en même temps que l'hétérosexualité puisque, à la limite, un transsexuel mâle peut baiser avec une transsexuelle femelle. Un tel couple est, paradoxalement, hétérosexuel et homosexuel, la théorie voulant que chacun-e ait sa part mâle et femelle en lui-elle ; il s'agirait de les réconcilier pour atteindre la sérénité. La pratique semble renvoyer dos à dos tout ce qui n'est pas du même genre.

Ce « genrisme » me donne l'impression de passer de Charybde en Scylla ; en cherchant à sortir l'humanité de sa binarité sexuelle on règle un problème en créant une myriade de conflits potentiels. Cette théorie annonce l'aube d'une humanité en recherche permanente de son identité sexuelle. Comme l'explosion des saveurs de boissons gazeuses nous laisse dans une interminable circonspection devant l'étalage, la recherche du partenaire complémentaire promet d'être une entreprise sans fin. Butler est doublement géniale puisqu'elle nous aide à sortir des ornières féministes et nous montre le terminus de sa propre idéologie. Comme nous ne sommes pas des protozoaires, l'indifférenciation sexuelle me semble davantage un souhait utopique culturel qu'une réalité biologique concrète. Ce que j'exprime ici a été mis en évidence avec humour par les Monty Python dans le film Life of Brian (cliquer ici pour voir l'extrait).

7. L'Association pour un Nouveau Féminisme Européen

Pour terminer, je constate que l'ANFE, en reprenant le flambeau de la famille traditionnelle, montre bien que le féminisme sera toujours divisé (comme l'ont montré Sabine Bosio-Valichi et Michelle Zancarini-Fournel). Cette idéologie est née chez nous d'un événement politique cuisant où Mme Lise Payette, alors ministre à la condition féminine en 1980, avait prononcé un discours dévalorisant les « Yvettes », mères de famille fédéralistes conservatrices ayant choisi d'élever leurs enfants dans le cadre traditionnel. Ce discours avait contribué à la perte du premier référendum sur la souveraineté nationale. Aujourd'hui, le féminisme groultien est ici trop incrusté pour que la forme pro-famille n'ait de porte-parole officiel. Même si le féminisme s'est diversifié, les femmes ne semblent pas encore réaliser à quel point leurs opinions sont divisées, chacune se servant de l'idéologie comme un bar ouvert qui sanctionne l'idée qui lui plait pour peu qu'elle prétende favoriser le caprice de l'individualité narcissique féminine. Le discours médiatique tient lieu de chef d'orchestre les berçant dans l'illusion de l'unité. Chaque fois que le mot « femme » est prononcé, chacune pense qu'il est dit en sa faveur alors qu'elles baignent dans l'idéologie marchande qui les a poussées presque à renier leur propre nature.

8. En terminant

Les idéologies proposées n'ont pas permis de séparer efficacement la jouissance de la procréation. Elles n'offrent aucune solution au besoin de sécurité affective. L'avènement de la contraception accessible aux masses à bon marché n'a pas libéré les organes de leurs fonctions. Il faut toujours un ventre de femme pour la gestation humaine alors que certaines idéologies féministes théorisent comme s'il était possible de concevoir massivement dans des utérus artificiels. Chaque progrès technologique ouvre une boîte de Pandore. La contraception de masse à prix abordable en est une. Mais à date, je pense que sa véritable utilité n'aura été que d'empêcher la surpopulation ; les autres avantages étant annulés par le conflit des sexes qui en a résulté. Les théories féministes n'ont pu affranchir l'humanité de la réalité bisexuée qui est beaucoup plus complexe que ne l'auraient souhaité les penseures.

* * *

Voilà ! J'espère que cette consultation vous sera utile. Je vous encourage à continuer vos investigations. Trop peu d'hommes s'enhardissent à approfondir les ténors féministes et cherchent à combattre l'idéologie sans la connaître. Votre démarche mérite le plus grand respect.

Vos commentaires sont bienvenus.

Cordiales salutations.

François Brooks
Conseiller philosophique

www.philo5.com

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5 novembre 2011

Bonjour Mr Brooks,

Vous m'aviez fait une excellente consultation philosophique sur les féminismes il y a plusieurs mois de cela.

Entre temps, j'ai eu plusieurs échanges courriels puis par Skype avec Olivier Kaestlé et Jean Philippe Trottier.

J'ai ouvert un blog le premier octobre dans lequel j'y ai publié mes articles dont un a été repris par le RHQ. J'ai plusieurs sujets et tout les articles ne sont pas de moi mais des reprises.

Voici l'adresse :
http://leblogdenash.over-blog.com/

La catégorie condition masculine :
http://leblogdenash.over-blog.com/categorie-12102133.html

J'ai écrit sur la misandrie ce qui m'a valu d'être repris par la fondation ("think thank" ou réservoir de pensé) du parti socialiste français, Terra Nova :
http://leblogdenash.over-blog.com/article-le-sexisme-se-reduit-il-a-l-aversion-pour-les-femmes-85599557.html

J'ai écrit sur la différence masculinisme/hominisme (qui a été repris par le RHQ) dans lequel je vous cite :
http://leblogdenash.over-blog.com/article-les-courants-revendicatifs-de-la-condition-masculine-85600151.html

J'ai découvert la journée des hommes du 19 novembre :
http://leblogdenash.over-blog.com/article-si-si-il-y-a-bien-une-journee-pour-les-hommes-87437951.html

Bien cordialement

Bertrand CLAIR

Philo5
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