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Comment réfléchir sur l'inceste et la pédophilie?

par François Brooks

L'un des sujets les plus controversés de notre société occidentale me pose un défi que je vais tenter de relever. Comment réfléchir sur l'inceste et la pédophilie? Mon ami Réal, psychanalyste pour enfants, n'a pas été long sur la question. Je n'ai pas compris tout de suite sa réponse laconique quand je lui ai demandé s'il pouvait me référer certains auteurs : « Si tu as des relations sexuelles avec un enfant, on va te mettre en prison. Alors, il vaut mieux s'abstenir. » Mais je n'aime pas arrêter ma réflexion sur une menace. J'aime comprendre. Je pense que je suis assez intelligent pour penser par moi-même et assumer mes propres choix sans avoir besoin de la police. Ce faisant, il m'a suggéré d'aller voir Freud dans Totem et tabou. Ce fut le début d'une réflexion où j'essaie de m'y retrouver depuis longtemps.

J'ose d'abord poser une première question d'ordre éthique : La pédophilie peut-elle être considérée comme une activité sexuelle morale? Et quels sont les arguments qui peuvent fonder notre position? Deux discours s'affrontent, l'un tonitruant, l'autre ténu. Et c'est bien là le problème. Comme tout le monde est pour la vertu, pourquoi le discours antipédophile a-t-il besoin d'être si bruyant alors que l'on n'entend rarement quelqu'un plaider en sa faveur? Il y a anguille sous roche. Essayons d'y voir plus clair...

L'argument antipédophile le plus répandu prétend que l'enfant ayant eu un contact sexuel avec l'adulte voit sa vie complètement détruite. Pas de coups ni blessure mais c'est la psyché qui est atteinte. Dans ce cas, le vocabulaire légal ne fait pas de distinction entre le sexe et la violence. Après le meurtre c'est, paraît-il, la pire violence qu'il puisse subir, même si l'enfant est consentant, parce que, en bas de 18 ans on n'a pas le doit légal de consentir. Et si vous demandez des éclaircissements, comme par exemple : pourquoi la loi refuse-t-elle qu'un enfant puisse consentir?, le ton monte et la colère enflamme bientôt le bien-pensant qui finira par vous accuser d'en être un. Sinon, votre interlocuteur adoptera un sourire mielleux exhibant une indulgence convenue vous invitant à des confidences, mais il s'abstiendra bien-entendu de se mouiller vous laissant indécis à savoir s'il vous tend un piège ou s'il cherche un complice de ses pensées inavouables. Dans certains cas, seulement penser la pédophilie peut vous mettre dans de beaux draps. Mais comment sortir du pattern juge ou voyeur? Comment guider une personne de bonne volonté dans un choix éclairé avec des arguments d'autorité? Et puis, je veux bien me rallier au discours le plus bruyant mais n'y a-t-il pas moyen de le rendre intelligent?

Quand il s'agit de meurtre, de coups et blessures, de viol ou de vol, il n'y a pas long à expliquer pour comprendre que mieux vaut s'abstenir. Comme personne ne veut subir de tels sévices, la seule idée de réciprocité nous fait vite comprendre. Mais considérons un moment l'argument du pédophile qui, si ténu soit-il, semble pourtant difficile à contourner : La sexualité non violente est une activité agréable dont personne ne peut me priver sans usurper mon droit le plus fondamental à jouir de la vie. Même les psychologues admettent – du bout des lèvres – que certains cas de pédophilie et d'inceste vont se résorber d'eux-mêmes sans laisser de traces regrettables [1]. Alors, n'est-on pas en droit de se demander ce qui causera le plus de tort à l'enfant de l'activité sexuelle illicite ou du regard que la société portera sur lui le considérant comme pestiféré? [2]

Avec Serge André, une théorie commence à éclairer le sujet [3]. En gros, trois types de souffrances distinctes peuvent accabler le pédophile : La névrose, la psychose et la perversion. Le pédophile névrosé souffrira selon qu'il passe à l'acte ou non soit d'inhibition, soit de réprobation. Cette souffrance est la matrice même de l'organisation sociale. La Loi pose les barrières mais elle a aussi des avantages. C'est le prix à payer pour vivre en société et bénéficier de ses bienfaits. Le pédophile psychotique pour sa part souffre d'une perception altérée de la réalité. C'est le cas par exemple du père souffrant de la maladie d'Alzheimer et qui fait des avances à sa fille pensant momentanément qu'elle est étrangère, et qui va, après coup, se culpabiliser amèrement d'une telle méprise. Le pédophile pervers quant-à-lui est décrit comme le plus « dangereux » puisqu'il fait partie en quelque sorte d'un club sélect des fans d'une fixation sublimée. Celui-ci souffre de la privation d'une expression légitime de sa sexualité. Il articule généralement un discours très cohérent qui tient en échec psychiatres et légistes. Cette théorie psychanalytique en trois temps pose le pédophile essentiellement comme un malade à traiter.

Jusqu'ici, il peut donc entrer sous trois catégories distinctes : il est soit criminel, soit malade, soit (comme nous verrons plus loin) honnête citoyen luttant pour l'exercice légitime de ses droits à la jouissance. Pour Serge André, ce dernier entre dans le groupe des « pervers » . Mais que signifie la perversion en psychiatrie? Il n'y a pas si longtemps, cette science ne considérait-elle pas l'homosexualité comme une perversion? [4] En terme de sexualité, les quarante-cinq dernières années ont vu notre société occidentale opérer de telles mutations comment savoir si la pédophilie est une véritable maladie ou non? Notre psychanalyste nous répond que chez le pervers [comme chez Sade] la liberté de consentement est accessoire puisque l'orgasme de sa victime l'affranchit du consentement, annulant ainsi la légitimité de l'accusation pour viol. Quand un pervers vous viole, pour lui, ce n'est plus un viol dès que vous jouissez [5]. Serge André nous fait voir ici à raison que le pervers violeur bafoue la liberté du sujet. Mais que penser du « pervers » qui respecte le refus de ses propositions et ne transforme pas l'Autre en objet de son seul plaisir? Et puis, est-on libre de consentir ou non à ce qu'on ne connaît pas?

De nos jours, celui ou celle qui a eu des échanges sexuels avec un adulte pendant son enfance est confronté à un choix difficile. Ou bien il en parle ou il se tait à jamais. S'il en parle, il va être soumis au maelstrom moral, légal et médiatique ; s'il se tait il devra occulter une partie de sa vie. Ce devoir d'occultation le laissera tranquille mais il sera socialement amputé d'une partie de lui-même. S'il parle, pour peu que son souvenir ait laissé des traces pénibles, cette mémoire ravivée le fera souffrir à nouveau, mais, disent les psy et ceux qui sont friands de nouvelles à sensations, il sera soulagé d'avoir dénoncé son agresseur et permettra de renforcer le lobby dénonciateur qui prévient par la crainte les déviants en herbe.  De l'œuf ou de la poule quel traumatisme cause l'autre, et quel est le pire, parler ou se taire? Je me demande ce qu'en pense maintenant Nathalie Simard?

Hubert Van Gijseghem [6], psychologue expert consultant souvent sollicité par les autorités légales, s'est mis dans l'eau chaude en affirmant que la justice doit protéger les enfants mais doit aussi protéger les accusés tant que la démonstration de la culpabilité n'est pas faite. Il est le premier à avoir osé soulever l'éventualité de possibles fausses accusations basées sur des témoignages douteux extirpés aux enfants. En effet, pour diverses raisons, la mémoire de ceux-ci pourrait fabuler. À l'instar de la False Memory Syndrome Foundation, on est appelé à se demander ici qu'est-ce qui détruit l'individu et les familles? Est-ce le syndrome de mémoire fictive ou bien la pédophilie, l'inceste, le déni et le mensonge? [7] On a parfois la triste impression d'assister à une nouvelle chasse aux sorcières.

Mais, fait curieux, on entend souvent dire que les dénonciations ne sont que la pointe de l'iceberg. Les cas qui choisissent de se taire seraient légion. Se peut-il que ceux qui ont vécu de telles expériences sans en souffrir, par les temps qui courent, soient plus enclins à se taire? Et dans ce cas la thèse de la vie détruite à jamais ne risque-t-elle pas de s'effondrer? Plus encore, pourrions-nous en conclure que la plupart des adultes qui ont des souvenirs d'enfance où ils ont vécu des expériences incestueuses ou pédophiles sans problèmes subséquents représenteraient la majorité des cas? Peut-être, mais ce serait oublier que les blessés ont aussi avantage à se taire. Une blessure psychologique ressassée sans cesse reste toujours vive ; la paix exige parfois le silence mais le silence peut aussi être insupportable. Comment sortir de cette boucle infernale? On ne peut donc rien conclure à partir de la proportion de ceux qui choisissent de se taire. D'ailleurs, comme le sujet est tabou, nous ne disposons évidemment d'aucune statistique représentative.

Examinons un instant l'argument du pédophile. Celui-ci trouve son lieu d'élection aux Pays-Bas. Reconnu pour sa tolérance envers les consommateurs de drogue et les zoophiles, il existe en ce pays un parti favorable à la pédophilie, le PNVD, fondé par Ad Van den Berg [8]. Ce parti lutte, entre autre, pour l'abaissement de la majorité sexuelle à 12 ans et la légalisation de l'usage privé de la pédopornographie [9]. Ce parti n'est pas élu, et il est loin de remporter l'assentiment national, mais il récuse les théories psychanalytiques et légales qui font de la pédophilie une pratique sexuelle destructive. Il appelle les pédophiles à exprimer fièrement leurs tendances et prétend que la sexualité entre enfant et adulte n'a pas à être réglementée puisque le libre consentement vaut aussi bien que pour les adultes. Il distingue la pédophilie (l'amour des enfants) de la pédoagression (pédovioleur et pédomeurtrier) [10]. Le pédophile considère que l'enfant doit disposer comme l'adulte de la libre jouissance sexuelle et que sa pratique doit être éduquée plutôt que laissée à elle-même.

Maintenant, comment penser l'inceste et la pédophilie à partir de ces arguments? Jusqu'ici, il semble qu'on affronte deux forces inconciliables : d'un côté la police, de l'autre la jouissance ; c'est Apollon contre Dionysos, nous dirait Nietzsche. Essayons d'étayer un peu la position légale à partir de la psychanalyse.

La lecture de Totem et tabou de Freud constitue la première étape de cette réflexion. Il pose d'abord le fondement « infondé » des tabous : Les prohibitions tabou ne se fondent sur aucune raison ; leur origine est inconnue ; incompréhensibles pour nous, elles paraissent naturelles à ceux qui vivent sous leur empire [11]. Il s'agit d'une névrose : « La prohibition principale, centrale de la névrose est, comme dans le tabou, celle du contact, d'où son nom, "phobie de toucher". La prohibition ne porte pas seulement sur l'attouchement direct du corps, mais s'étend à toutes les actions que nous définissons par l'expression figurée : se mettre en contact, venir en contact. Tout ce qui oriente les idées vers ce qui est prohibé, c'est-à-dire tout ce qui provoque un contact purement abstrait ou mental, est prohibé au même titre que le contact matériel lui même ; on retrouve la même extension du sens dans le tabou. [12] » Prohibition dont nous serions obsédés : « ... le maintien du tabou a eu pour effet que le désir primitif de faire ce qui est tabou a persisté chez ces peuples. Ceux-ci ont donc adopté à l'égard de leurs prohibitions tabou une attitude ambivalente ; leur inconscient serait heureux d'enfreindre ces prohibitions, mais ils craignent de le faire ; et ils le craignent, parce qu'ils voudraient le faire, et la crainte est plus forte que le désir. Mais chez chaque individu faisant partie du peuple, le désir est aussi inconscient que chez le névrosé.
         
Les deux tabous principaux sont l'animal-symbole (chez le primitif, Dieu plus tard, et pour nous aujourd'hui la Science) et l'inceste : Les prohibitions tabou les plus anciennes et les plus importantes sont représentées par les deux lois fondamentales du totémisme : on ne doit pas tuer l'animal totem et on doit éviter les rapports sexuels avec des individus du sexe opposé appartenant au même totem.
          Cet interdit engendre un puissant désir inconscient de l'enfreindre :
[...] le tabou est un acte prohibé, vers lequel l'inconscient est poussé par une tendance très forte. [13] [...]
          Celui qui le transgresse devient lui-même tabou : L'homme qui a enfreint un tabou devient tabou lui-même, car il possède la faculté dangereuse d'inciter les autres à suivre son exemple. Il éveille la jalousie et l'envie : pourquoi ce qui est défendu aux autres serait-il permis à lui? Il est donc réellement contagieux, pour autant que son exemple pousse à l'imitation, et c'est pourquoi il doit lui-même être évité. [14] »
          La peur de l'inceste n'est pourtant pas universelle : Mais en attribuant les restrictions sexuelles exogamiques à des intentions législatrices, on n'explique, pas pour quelles raisons ces institutions ont été créées. D'où vient, en dernière analyse, la phobie de l'inceste qui doit être considérée comme la racine même de l'exogamie? Il ne suffit évidemment pas d'expliquer la phobie de l'inceste par une aversion instinctive pour les rapports sexuels entre très proches parents, ce qui équivaut à invoquer le fait même de la phobie de l'inceste, alors que l'expérience nous montre que, malgré cet instinct, l'inceste est loin d'être un phénomène rare, même dans nos sociétés modernes, et alors que l'expérience historique nous enseigne que les mariages incestueux étaient obligatoires pour certaines personnes privilégiées. 
[15] »

Boris Cyrulnik nous amène plus loin. Dans La naissance du sens, il explique avec le regard de l'éthologue pourquoi l'inceste apparaît maintenant plus souvent dans nos sociétés d'enfants-rois et de familles divorcées. Distinguant les relations incestueuses consenties des incestes éthyliques et violents, il constate d'abord que les membres d'une famille partageant leur vie quotidienne n'ont généralement pas d'attirances sexuelles mutuelles. Les incestes « réussis » proviennent le plus souvent des membres d'une famille qui ont vécu suffisamment éloignés pour se considérer comme sexuellement désirables. Des observations analogues sur les mœurs des animaux vivant en milieu naturel appuient sa thèse. Il constate que « l'attachement engourdit le désir [...] lorsque des apparentés n'ont pas pu tisser l'attachement, rien n'empêche la réalisation de leurs désirs sexuels, pas même l'interdit de l'inceste [16] ». Par contre, il reconnaît plus loin qu' « il est vital d'interdire l'inceste si nous voulons coexister et produire la culture qui nous permet de vivre ensemble dans un monde partageable. [...] à cause de l'intensité émotionnelle de la sexualité et de son pouvoir organisateur de la vie des individus et des groupes, nous avons absolument besoin de structures, donc d'interdits ». L'interdit de la sexualité se distingue des autres parce que « ce sentiment authentiquement éprouvé ne dépend que du discours du groupe auquel on appartient [17] ». Bref, l'observation de l'interdit fonde l'appartenance au groupe, et c'est le groupe qui valide nos sentiments sexuels. Si nous rejetons le tabou, notre groupe va nous bannir – et du coup nous priver de toute sexualité – pour préserver son fondement. Le groupe est donc en quelque sorte une machine sexuelle qu'il faut utiliser correctement sous peine d'en être privé. Comme dans la Genèse, où il est permis de manger de tous les fruits sauf celui de l'arbre au centre de l'Éden, l'interdit constitue le fondement social. Et chaque société se distingue par ses tabous.

Serge André rejoint ce point de vue en écrivant « Le psychanalyste que je suis ne considère pas comme injustes les lois qui sanctionnent la pédophilie. Je ne les prends pas non plus comme l'expression d'une justice absolue et universelle. Ces lois ne sont que l'une des constructions grâce auxquelles notre société tente de se maintenir en tant que symptôme parmi d'autres. [18] » Ainsi, il ne s'agit pas de trancher dans une rationalité où la mesure est personnelle, mais dans une logique où c'est le fondement même de notre société qui pose l'interdit. Mon ami Réal avait donc raison. On pourrait alors reformuler son commentaire du début ainsi : « Le pédophile qui refuse de se conformer à l'interdit se fera expulser de notre communauté parce que c'est l'interdit qui crée l'ordre ; autrement on tombe dans le n'importe quoi. » Comme pour les fruits de l'Éden, si nous pouvons pratiquer une telle variété de rapports sexuels c'est qu'on s'entend pour en interdire quelques uns. Mais se peut-il que notre tolérance sexuelle ait aussi été trop loin?

Ceci nous ramène à la révolution des années soixante. La jeunesse majoritaire, technologie contraceptive aidant, avait refusé d'observer les interdits alors en vigueur. Nous nous sommes donc engagés dans une mutation sociale d'une envergure encore jamais vue. Les fondements même de notre société ont été profondément bouleversés : la famille a éclaté, nos rapports à l'autorité se sont désagrégés, la confiance envers nos dirigeants s'est effrité, Dieu est mort plus que jamais et le père déchut. Bien que nous n'ayons pas encore mesuré tout l'impact de cette mutation, l'observation des tabous sexuels qui nous restent nous permet peut-être encore de nous maintenir en tant que société. Si nous décidions massivement de ne plus nous y conformer, peut-être devrions-nous alors subir une mutation encore plus profonde. Jusqu'où voulons-nous aller dans cet autre ordre (ou désordre) du vivre ensemble? Malgré le libéralisme apparent que notre société affiche, avons-nous véritablement mesuré tout l'impact des dernières mutations? Si nous tenons tant à maintenir les derniers tabous sexuels encore en vigueur serait-ce parce que nous pressentons avoir été trop loin?

Pensons l'impensable et envisageons un instant le cas où la pédophilie deviendrait une pratique sexuelle socialement acceptable. De nouvelles questions surgissent aussitôt et laissent entrevoir d'autres impasses. Baiser avec un enfant, oui, mais lequel? Le vôtre? Celui du voisin? Quel père accepterait de laisser sa petite fille dénudée se mettre au service de la lubricité d'un inconnu sans éprouver un vif déchirement? La jalousie ne risque-t-elle pas de surgir violemment? Ou alors quelle morale le justifierait de la garder pour lui-même? Comment penser l'inceste dans de telles conditions? De plus, quels seraient les actes acceptables? Si on convient que pour les adultes une large variété de pratiques soit permise, devrions-nous poser des limites aux enfants? Lesquelles? Comment contrôler les nouveaux abus? Qui exercera ce contrôle et de quelle manière? N'ouvrirons-nous pas une nouvelle boîte de Pandore? Les questions épineuses s'empilent et en bout de compte, pour avoir voulu s'affranchir de toute contrainte sexuelle, ne nous retrouverions-nous pas à la case départ où nous serions alors aux prises avec de nouveaux tracas pire que les limites actuelles?

On pense généralement que l'inceste et la pédophilie sont d'abord un problème chez les hommes. Pourtant, Françoise Dolto n'a jamais cessé de mettre en garde les femmes contre leur tendance pédophile naturelle qu'on ne sait plus reconnaître aujourd'hui. Cette psychanalyste appelait les hommes à bien jouer leur rôle de père. Il semble que ceux-ci soient alors devenus incestueux dans la mesure où leur jalousie naturelle de père envers sa femme et ses enfants n'a plus été reconnue comme légitime et que nos sociétés modernes aient refusé de la mettre à contribution pour assurer l'équilibre familial. Dépossédé de son rôle, le père est alors devenu un «homo-jouissans» ne trouvant plus d'intérêt à défendre sa famille qui d'ailleurs ne lui appartient plus puisqu'elle a été confisquée par l'État qui la contrôle main dans la main avec les femmes auxquelles on a donné plein pouvoir sur celle-ci comme l'ancien couple curé-mère au foyer tel que décrit par Jean-Philippe Trottier [19].

L'ordre ancien donnait au sexe une place entre romance et famille qui produisait un certain équilibre. La révolution sexuelle, telle que les baby-boomers l'ont rêvé, avait oublié que le sexe sert aussi à fonder la famille et que celle-ci a besoin d'une structure stable pour se développer harmonieusement. L'autorité parentale n'admettait jadis ni sentimentalisme ni sexualité entre parents et enfants. Avec ses bienfaits et ses heurts, l'amour s'exprimait alors comme une autorité protectrice. Le romantisme qui s'est introduit dans la famille ne voit pas pourquoi les pratiques du tutoiement mutuel, l'habitude d'appeler son père et mère par leurs prénoms et la prodigalité des caresses affectueuses s'arrêterait devant le désir de s'adonner à des stimulations sexuelles. Le discours pédophile invite à achever la révolution sexuelle entamée depuis quarante-cinq ans et nous confronte dans nos incohérences.

Les mœurs actuelles sont-elles vraiment plus désirables? Si chaque adulte faisait jadis figure parentale pour tous les enfants, que représentent-ils aujourd'hui pour ceux-ci? L'autorité parentale désormais accaparée par l'État fait de tous les membres de la famille des égaux dans une société de consommation dévolue exclusivement au plaisir. Doit-on s'étonner que l'inceste et la pédophilie soient considérés par certains comme une jouissance légitime? La révolution sexuelle nous réserve peut-être encore des surprises. Comme nous avons jeté des valeurs jadis aussi fondamentales que Dieu, la religion et l'autorité en moins d'une décennie, jetterons-nous bientôt nos tabous sexuels actuels ou choisirons-nous de les renforcer? Ce débat tabou est essentiel pour mesurer les changements que nous aurons à décider, dans un sens ou l'autre. Quand le libertin nous pose la question : « Pourquoi est-il interdit de représenter l'amour sexuel librement à la télévision alors que la représentation de la violence est non seulement permise mais s'impose comme devoir journalistique? » Qu'avons-nous de cohérent à lui répondre?

[1] Bernard Rivenq, professeur de psychologie retraité de l'UQÀM m'adressait cette observation lors d'un échange courriel du 27 juillet 2008 : « ... Autre point de vue rarement exprimé car politiquement incorrect :
Des cas d'enfants dits abusés sexuellement se révèlent par la suite sans conséquences sur l'adaptation à la vie adulte. Le dégât est autrement grave sur les parents, quand les services sociaux incitent à la séparation des parents pour punir le parent coupable et prévenir une récidive - dans les cas ou elle est improbable.
 »

Voir aussi Boris Cyrulnik, La naissance du sens, Éditions Hachette Littératures © 1995, Un tabou : les incestes réussis.

[2] André Moreau, La bible érotique, Éditions Vox Populi © 2007, p. 79-80.

[3] Serge André, La signification de la pédophilie, Conférence à Lausanne le 8 juin 1999.
(Page consultée le 14 nov. 2008 : http://www.oedipe.org/fr/actualites/pedophilie)

[4] Pierre Daco, Les prodigieuses victoires de la psychologie moderne, Marabout © 1968.
On se souviendra aussi du célèbre docteur Samuel-Auguste Tissot et de son livre L'onanisme. Dissertation sur les maladies produites par la masturbation, qui, depuis 1760 fut réédité soixante-trois fois, et fit, pendant plus de deux siècles, autorité en la matière. Celui-ci fut par la suite sinon décrié comme ayant été la source des maladies qu'il décrivait, tout au moins reconnu être à l'origine des perturbations psycho-sexuelles d'autant de générations.

[5] Voir mon texte Viol et consentement...

[6] Cf. L'entrevue de Paul Vetter dans Le Nouvelliste du 10 mars 2008 « Il y a moins d'abus sexuels qu'autrefois »
(Page consultée le 14 nov. 2008 : http://www.lenouvelliste.ch/fr/news/index.php?idIndex=864&idContent=71172.

[7] Cf. Michelle Landsberg – L'étiquette de «Mémoire fictive» est inventée par un groupe de pression, Toronto Star, 13 nov. 1993,
(Page consultée le 14 nov. 2008 : http://www.casac.ca/french/espacefemme/memoire.htm)

[8] Cf. Article pédophilie sur Wikipédia.

[9] Cf. Article PNVD sur Wikipédia (Parti néerlandais Charité, Liberté et Diversité).

[10] Cf. Armel Larochelle – La sexualité du futur.

[11] Sigmund Freud, Totem et tabou, 1923, Payot & Rivages © 2001, p. 36. (Disponible en ligne en version intégrale sur ce lien :
http://classiques.uqac.ca/classiques/freud_sigmund/totem_tabou/totem_tabou.html.)

[12] Ibid. p. 47.

[13] Ibid. p. 53.

[14] Ibid. p. 54.

[15] Ibid. p. 173.

[16] Boris Cyrulnik, La naissance du sens, Éditions Hachette Littératures © 1995, Un tabou : les incestes réussis.

[17] Ibid. Débat sur l'inceste réussi.

[18] Serge André, La signification de la pédophilie, Conférence à Lausanne le 8 juin 1999.
(Page consultée le 14 nov. 2008 : http://www.oedipe.org/fr/actualites/pedophilie)

[19] Cf. Jean-Philippe Trottier, Le grand mensonge du féminisme, Éditions Michel Brûlé © 2007.
et aussi Anatomie d'une illusion : le féminisme est l'ultime avatar d'un patriarcat en crise.

Philo5
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