Spéculations philosophiques 

 

François Brooks

2005-11-30

Essais personnels

 

La Science cherche Dieu [1]

 

La propension à voir le monde comme habité par le divin (la « religiosité ») dépend effectivement du taux de sérotonine. [...] Ainsi donc, un taux élevé de sérotonine dans le cerveau accroîtrait le degré de religiosité ! [...] Et la dimension troublante du résultat obtenu par les chercheurs suédois apparaît dès lors pleinement lorsqu'on apprend que, parmi les 25 aspects de la personnalité des volontaires évalués par le TCI [(Temperament and Character Inventory) Inventaire du tempérament et du caractère], la religiosité se révéla être... le seul et unique paramètre corrélé avec la densité des récepteurs 5HT1A ! La conséquence de cette découverte peut sembler sacrilège. Car pour Jacqueline Borg, une conclusion s'impose désormais : « Le système de production de la sérotonine pourrait bien être vu comme l'une des phases biologiques de la croyance religieuse, même si le résultat de l'étude doit encore être précisé avec des travaux menés sur un panel de volontaires plus large ».

Nicolas Revoy, Notre cerveau est programmé pour croire , Science & Vie, août 2005, p. 50-51.

Bref, Dieu est une fonction cérébrale qui disparaît lorsque le récepteur 5HT1A est fortement activé. L'Être suprême peut donc s'exprimer sous forme statistique. On croit plus ou moins en Dieu de par le taux de sérotonine sécrété.

Plus loin dans l'article, on apprend que notre cerveau serait programmé pour croire. La stimulation électromagnétique des lobes temporaux [...] déclencherait la sensation d'avoir à ses côtés une présence invisible.(p. 52) Ici, on pratique l'approche du cerveau où chaque partie serait comme les composantes d'un appareil électronique. À l'aide d'une technique d'imagerie appelée tomographie à émission de positons (TEP), on a localisé une zone moins irriguée dans la partie du cerveau que l'on peut observer pendant qu'un sujet volontaire (moine bouddhiste) médite. Cette zone est reconnue comme permettant à l'individu de distinguer son corps de l'environnement. Aurait-on découvert le module « Dieu » ? Je ne sais pas vous, mais moi j'ai l'impression de voir un bricoleur qui pense localiser l'origine du temps en examinant minutieusement les rouages d'une horloge.

Dans la troisième partie de l'article, on fait appel à la psychologie cognitive. C'est parce que le surnaturel heurte notre intuition que nous sommes conduits à y adhérer. Comme notre perception intuitive du réel est innée, sa transgression par les croyances religieuses provoque une réaction émotionnelle forte. Autrement dit, le seul fait de les évoquer contredit à ce point notre entendement que nous sommes conduits à leur attribuer un pouvoir explicatif supérieur. Au final, c'est tout naturellement que nous sommes donc enclins à croire en Dieu.(p. 53) Dieu serait-il le programme de l'ordinateur neuronique qui nous sert de cerveau ?

Le deuxième article démontre, comme tout le monde le sait depuis Abraham, que la foi est un remède miracle contre l'anxiété. Comme la peur de la mort existera toujours, Dieu ne peut donc pas disparaître(p. 56). Mais l'essence de Dieu ne tient-elle que par la peur de la mort ? Peut-on ne pas craindre la mort et toujours croire en Dieu ? Si la crainte de la mort s'éclipse avec la foi en Dieu, l'Être suprême ne s'évanouit-il pas en même temps que la crainte qui le génère ? Il y a dans ce raisonnement quelque chose de l'ouroboros ou du paradoxe du barbier de Bertrand Russell. Pourquoi la nécessaire équation entre mort et Dieu ?

Le troisième article se veut historique. Il dépeint l'ascension de l'idée de Dieu depuis l'origine des temps connus. On projette sur quelques artefacts archéologiques une interprétation religieuse et l'on dresse un bref tableau de l'explosion des religions. On y apprend que 85 % des humains pratiqueraient une religion. Le christianisme serait en tête avec 35 % suivi de l'Islam avec 20 %, de l'hindouisme avec 14 % et du bouddhisme avec 6 %.

Le dernier article semble une extension de la troisième partie du premier article. On appuie sur la démonstration que la religion serait séduisante cognitivement parce qu'elle bouscule notre perception du monde. L'humain étant un être principalement émotif, il aime être impressionné. Il se retrouve donc plus facilement excité dans un environnement « incroyable ». Au bout du compte, l'émotion est plus forte et plus convaincante que la logique et la raison.(p. 66) Ceci me rappelle Oscar Wilde qui écrivait : « Je peux croire n'importe quoi, pourvu que ce soit absolument incroyable. »

En conclusion, le Dieu des scientifiques possède les attributs suivants : Il est moléculaire, modulaire, psychologique, historique et émotionnel. Il a la faculté de guérir (anxiolytique), il est nécessaire et excitant. Fascinant jeu que celui de la foi et de la science qui se renvoient la balle depuis Platon et Aristote. Avec ce numéro de Science & Vie, la croyance aura-t-elle gagné des points ? N'est-ce pas étonnant d'observer ces scientifiques qui, avec leurs moyens actuels, se sont livrés aux mêmes investigations que Saint Augustin voilà 1600 ans : la recherche de Dieu ? Mais il me reste une question. Pourquoi la science qui a toujours voulu se passer de Dieu, se met-elle soudain à sa recherche ? Dieu serait-il en train de redevenir nécessaire ? Et pourquoi la science ne voit-elle pas qu'elle repose elle-même sur des dogmes de suprématie où elle s'entête à sublimer la matière comme les croyants réduisent tout à la spiritualité ?

[1] Sujet traité au « 67e Philo sans fumée ».

Philo5
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