Spéculations philosophiques 

 

François Brooks

2005-06-26

Essais personnels

 

Le Retour du Dr Knock

 

Les gens bien portants sont des malades qui s'ignorent.

Jules Romains, Knock ou Le Triomphe de la Médecine, 1924.

Personne ne sortira d'ici vivant ! C'est bien connu. Mais en attendant de mourir, allons-nous occuper notre temps à multiplier les angoisses en consultant mille médecins pour détecter les prémices de la moindre pathologie ? Quelle est la valeur d'une vie qui occupe la majeure partie de son temps à dépister des maladies latentes ?

Le Dr Nicolas Postel-Vinay et le Pr Pierre Corvol s'inquiètent du retour du Dr Knock. Ce livre propose une réflexion sur l'exercice actuel de la médecine à propos du risque cardiovasculaire. D'un côté les maladies cardiovasculaires sont la première cause de décès dans les pays développés. Les traitements existants (diagnostic, médication et suivi) sont d'une efficacité remarquable. Mais d'un autre côté, ce sont des maladies silencieuses si bien que le dépistage en est tellement invasif qu'on est en droit de se demander, avec les auteurs : vaut-il mieux être un malade qui s'ignore ou un anxieux en bonne santé ? Les auteurs partent en effet de ce paradoxe unique : c'est en effet parce qu'on disposait, par hasard, d'un instrument, le tensiomètre, qu'on a identifié les maladies cardiovasculaires dont personne ne se plaignait jusqu'alors. Le traitement des maladies cardiovasculaires marque le triomphe de la médecine totalement instrumentalisée et donc efficace, mais aussi totalement déshumanisée. Les auteurs nous donnent tous les éléments de réflexion sur ce dilemme auquel sont confrontés malades et médecins.[1]

Je vois dans ce type de médecine une application de la Théorie des complots : puisque notre corps va mourir un jour ou l'autre d'une dégradation quelconque, il est donc le siège d'une forme de conspiration mortelle que nous portons en nous. Il faut donc rester constamment à l'affût du moindre signe qui pourrait témoigner de ce que le corps trame contre lui-même. La médecine possède les instruments pour débusquer ce complot à condition de consentir à toutes ses prescriptions. Cette médecine tient la vie comme valeur ultime et refuse de reconnaître la mort dans le déroulement naturel de l'existence ; le vieux rêve de l'immortalité ressurgit sous l'égide technologique. « Philosopher, c'est apprendre à mourir », disait Socrate. Peut-être avons-nous besoin d'un philosophe là où nous pensons que c'est au médecin d'intervenir.

 

[1] Le texte reproduit ici en italique est un commentaire publié sur le défunt site http://www.alapage.com.

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