MÉCANISME 

Sir Isaac Newton

 

Texte fondateur

1687 - 1692 - 1704

Gravitation universelle

SOMMAIRE

Gravité

Préface aux Principes mathématiques de la philosophie

Définitions : force, temps, espace, mouvement

Système du monde

Lois du mouvement

Optique

Définitions

Axiomes

Propositions fondamentales

Part. 1 - Première proposition

Part. 1 - Seconde proposition

Part. 1 - Quatrième proposition

Part. 2 - Seconde Proposition

Volonté divine et mouvement des planètes (Lettre à Richard Bentley)

Gravité [1]

transcription

traduction

To show how gravity works on Earth and in the skies, Newton designed a thought experiment. He imagined firing a cannon from the top of an extremely tall mountain. From his first law of motion, he knew the cannon ball would travel in a straight line at a constant speed forever. But gravity pulls the ball downward. If its speed is low, the cannon ball hits the Earth near the mountain. The higher the speed, the farther away the ball lands.

If you throw it faster, it goes farther away. Even faster, farther away. Even faster, it may go a thousand miles. Even faster, it may actually go almost halfway around the Earth, and there it hits the Earth.

Newton imagined that if its speed was high enough, the cannon ball would travel all the way around the Earth and settle into orbit.

The orbit of the cannon ball around the Earth was a balancing act between the cannon ball's tendency to fly off in a straight line and its being yanked back toward the center of the Earth continuously by the force of gravity. So, in Newton's picture of the world, there were two things : 1. the natural tendency of an object to travel in a straight line, which was true on Earth or in space or anywhere ; and 2. there was the attraction of gravity, which was true on the surface of the Earth and it was true up in space.

Newton's breakthrough was to see that the moon's orbit around the Earth, and the cannon ball's motion on Earth were governed by the same law of gravity.

Pour montrer comment s'exerce la gravité sur la Terre et dans l'espace, Newton conçut une expérience de pensée. Il imagina le tir d'un canon du haut d'une montagne extrêmement haute. De sa première loi du mouvement, il savait que le boulet de canon se dirigerait en ligne droite à une vitesse constante indéfiniment. Mais la gravité tire la balle vers le sol. Si sa vitesse est faible, le boulet de canon frappe la terre près de la montagne. Plus la vitesse augmente, plus loin le boulet atterrira.

Si vous projetez avec davantage de vitesse, il va plus loin. Encore davantage, plus loin encore. Toujours davantage, il peut aller jusqu'à mille milles. Encore plus, et il peut effectivement aller presque à mi-chemin autour de la Terre avant de toucher le sol.

Newton imagine que si sa vitesse était assez élevée, le boulet de canon ferait le tour de la Terre et s'installerait en orbite.

L'orbite du boulet de canon autour de la Terre est un exercice d'équilibre entre la tendance du boulet à poursuivre sa course en ligne droite et l'attraction permanente vers le centre de la Terre par la force de gravité. Ainsi, dans sa vision du monde, Newton distinguait deux choses : 1. la tendance naturelle d'un objet à voyager en ligne droite, ce qui est vrai sur Terre ou dans l'espace ou n'importe où  ; et 2. l'attraction gravitationnelle, ce qui est vrai à la surface de la Terre et aussi dans l'espace.

La percée de Newton fut de voir que l'orbite de la Lune autour de la Terre, et le mouvement du boulet de canon sur Terre sont régis par la même loi de la gravité.

Préface aux Principes mathématiques de la philosophie [2]

Comme les arts manuels s'appliquent principalement à mouvoir les corps, on en est venu à rapporter communément la géométrie à la grandeur, la mécanique au mouvement. C'est en ce sens que la mécanique rationnelle sera la science, et des mouvements qui résultent de forces quelconques, et des forces qui sont requises pour des mouvements quelconques. Cette science sera [ici] établie et démontrée rigoureusement.

Les Anciens ont cultivé cette partie de la mécanique en se référant aux cinq puissances relatives aux arts manuels, et ne considérèrent guère autrement la pesanteur que dans les poids que ces puissances ont à mouvoir, bien que la pesanteur ne soit pas une puissance manuelle. Mais nous, qui nous occupons non d'arts, mais de philosophie, et qui traitons non de forces manuelles, mais de celles de la nature, nous exposerons essentiellement ce qui a trait à la pesanteur, la légèreté, la force élastique, la résistance des fluides et aux forces de ce type, qu'elles soient attractives ou répulsives : et c'est pourquoi nous présentons ce que nous avons fait comme les principes mathématiques de la philosophie.

En effet, toute la difficulté de la philosophie semble consister à rechercher les forces de la nature à partir des phénomènes des mouvements qu'elles produisent et à démontrer ensuite d'autres phénomènes à partir de ces forces. C'est ce à quoi se rapportent ces propositions générales que nous avons élaborées dans les premier et second livres. Quant au troisième livre, nous y avons proposé un exemple de cette théorie, en expliquant le système du monde.

Définitions : force, temps, espace, mouvement [3]

1. Matière : densité et volume

La quantité de matière est la mesure que l'on tire à la fois de sa densité et de son volume.

2. Mouvement : vitesse et quantité de matière

La quantité d'un mouvement est la mesure que l'on tire à la fois de sa vitesse et de sa quantité de matière.

3. Persistance : force d'inertie

La « vis insita » [force innée] d'une matière est la force de résistance par laquelle tout corps, autant qu'il le peut, persévère en son état de repos ou de mouvement rectiligne uniforme.

4. Transmission : force d'accélération

La « vis impressa » [force d'accélération] est l'action qui s'exerce sur un corps pour en changer l'état de repos ou de mouvement rectiligne uniforme.

5. Force centripète : gravité

La force centripète est la force qui attire les corps de toutes parts, les pousse ou leur confère quelque tendance que ce soit, vers un point, comme vers un centre.

6. Quantité absolue de force centripète

La quantité absolue de la force centripète est la mesure de cette force qui est plus ou moins grande selon l'efficacité de la cause qui propage la force, du centre à travers les espaces à l'entour.

7. Quantité accélératrice de force centripète

La quantité accélératrice de la force centripète est la mesure de cette force qui est proportionnelle à la vitesse, générée par elle en un temps donné.

8. Quantité motrice de force centripète

La quantité motrice de la force centripète est la mesure de cette force qui est proportionnelle à la quantité de mouvement produite dans un moment donné.

SCHOLIE
Temps, espace, lieu, mouvement - Absolu et relatif

J'ai cru bon, jusqu'à présent, d'expliquer des termes assez peu connus, et de montrer en quel sens on doit les prendre. Or, le temps, l'espace, le lieu et le mouvement sont très connus de tous. Pourtant, il faut remarquer que l'on ne conçoit, communément, ces quantités qu'en relation à des choses sensibles. Il vient de cette façon de penser certains préjugés, pour la suppression desquels il convient de distinguer ces quantités en absolues et relatives, vraies et apparentes, mathématiques et vulgaires.

1. Le temps absolu

Le temps absolu, vrai et mathématique, qui est sans relation à quoi que ce soit d'extérieur, en lui-même et de par sa nature coule uniformément ; on l'appelle aussi « durée ». Le temps relatif, apparent et vulgaire est toute mesure sensible et externe — qui est précise ou non — de la durée et dont on se sert couramment à la place du temps vrai. Tels sont l'heure, le jour, le mois, l'année.

2. L'espace absolu

L'espace absolu, qui est sans relation à quoi que ce soit d'extérieur, de par sa nature demeure toujours semblable et immobile. L'espace relatif est toute mesure ou dimension mobile de cet espace, qui est définie d'une manière sensible par sa situation à l'égard des corps et que l'on prend couramment pour l'espace immobile : telle, par exemple, la dimension de l'espace souterrain, aérien ou céleste, définie par sa situation à l'égard de la Terre. L'espace absolu et l'espace relatif ont toujours même « species » [espèce] et même grandeur, mais ne sont pas toujours en nombre égal. Car, si par exemple la Terre se meut, l'espace de notre air qui demeure toujours le même relativement à la Terre, sera tantôt une partie de l'espace absolu où l'air circule, tantôt une autre ; et ainsi, absolument parlant, il changera sans cesse de lieu absolu.

3. Le lieu relatif ou absolu

Le lieu est une partie de l'espace que le corps occupe et il est relatif ou absolu, comme l'espace. « Partie » de l'espace, dis-je, et non « situation » ou « superficie » qui entoure le corps. Car, les lieux de solides égaux sont toujours égaux. Au contraire, les superficies sont des plus inégales en raison de la dissimilitude des figures de ces corps. Quant aux situations, on ne peut leur appliquer de quantité, à proprement parler, car ce sont moins des lieux que des affections de lieux. En effet, la quantité de mouvement d'un tout est la somme des quantités de mouvements qui la composent, ce qui revient à dire que le transfert d'un tout loin de son lieu est la somme des transferts de ses parties loin de leurs lieux ; et ainsi, le lieu qu'occupe un tout est égal à la somme des lieux qu'occupe chacune de ses parties ; et il est, pour cette raison, à l'intérieur du corps et du corps tout entier.

4. Le mouvement absolu

Le mouvement absolu est le transfert d'un corps d'un lieu absolu à un lieu absolu, et le mouvement relatif, d'un lieu relatif à un lieu relatif. Ainsi, dans un bateau poussé par le vent, le lieu relatif d'un corps est cet endroit du bateau où se trouve le corps, soit la partie de la coque qu'il occupe et qui se meut avec le bateau ; et son repos relatif est sa persistance en ce même endroit du bateau ou partie de sa coque. Quant à son repos vrai, il est sa persistance en ce même endroit qui est aussi une partie de l'espace immobile, où le bateau se meut avec sa coque et tout ce qu'il contient. C'est pourquoi, si la Terre est en repos véritable, le corps qui est en repos relatif dans le bateau se mouvra vraiment et absolument à la vitesse du bateau sur la Terre. Mais si la Terre se meut véritablement elle aussi, le mouvement vrai et absolu du corps viendra en partie du mouvement vrai de la Terre dans l'espace immobile et en partie du mouvement relatif du bateau sur la Terre. Si de plus, le corps se meut relativement au bateau, son mouvement vrai viendra en partie du mouvement vrai de la Terre dans l'espace immobile et en partie des mouvements relatifs du bateau par rapport à la Terre et du corps en celui-ci : de ces deux mouvements relatifs résultera le mouvement relatif du corps sur la Terre.

Supposons que cette partie de la Terre où se trouve le bateau se meuve véritablement vers l'Orient, à une vitesse de mille dix parties ; que le bateau soit emporté par le vent vers l'Occident avec dix parties de vitesse, et que, d'autre part, un marin se promène sur le bateau vers l'Orient, à une vitesse d'une partie : ce marin aura un mouvement vrai et absolu dans l'espace immobile, en direction de l'Orient, à une vitesse de mille et une parties, et un mouvement relatif sur la Terre, en direction de l'Occident, à une vitesse de neuf parties.

[...]

Système du monde [4]

Que la matière du Ciel est fluide

Dans les premiers âges de la philosophie, plusieurs pensaient que les Étoiles se tenaient immobiles dans les parties les plus élevées du monde ; que sous les Étoiles fixes les Planètes se trimballaient autour du Soleil ; que la Terre, comme l'une des Planètes, décrivait une course annuelle autour du Soleil, tandis que par un mouvement diurne elle tournait autour de son axe ; et que le Soleil, feu commun servant à chauffer le tout, était fixé au centre de l'Univers (Archimède, In Arenario. Aristote, Livre 2, De Coelo. Plutarque, Livre 3, De placitis Philos. in Numa.).

Telle était la philosophie enseignée autrefois par Philolaos de Crotone, Aristarque de Samos et Platon dans ses années les plus glorieuses, et dans toute la secte des Pythagoriciens. C'était l'opinion d'Anaximandre, plus ancien que tous, et de ce sage roi des Romains, Numa Pompilius, qui, pour symboliser la figure du Monde avec le Soleil au centre, érigea un temple en l'honneur de Vesta, de forme ronde, et ordonna que le feu perpétuel soit entretenu au milieu de celui-ci.

Les Égyptiens ont été les premiers observateurs du ciel. Et c'est probablement à partir d'eux que cette philosophie s'est répandue parmi les autres nations. En effet, c'est d'eux, et des nations qui les entouraient, que les Grecs, peuple lui-même plus porté sur l'étude de la philologie que sur celle de la nature, tirèrent leurs premières et plus solides notions de philosophie. Et dans les cérémonies vestales, nous pouvons encore retrouver l'esprit antique des Égyptiens. Car c'était leur manière de livrer leurs mystères, c'est-à-dire leur philosophie des choses au-dessus de la pensée vulgaire, sous le voile des rites religieux et des symboles hiéroglyphiques.

On ne peut nier qu'Anaxagore, Démocrite et d'autres se soient levés de temps en temps pour dire que la Terre était le centre du monde et que les étoiles de toutes sortes tournaient vers l'ouest, autour de la Terre qui se trouvait au centre, les unes plus vite, les autres plus lentement.

Cependant, il était convenu de part et d'autre que les mouvements des corps célestes s'effectuaient dans des espaces entièrement libres, et sans résistance. La fantaisie des orbes solides fut introduite plus tard par Eudoxe de Cnide, Callippe de Cyzique et Aristote, lorsque la philosophie antique commença à décliner et à céder la place aux nouvelles fictions des Grecs.

Mais avant tout, le phénomène des comètes ne peut en aucun cas consister en la notion d'orbes solides. Les Chaldéens, astronomes les plus savants de leur époque, considéraient les comètes (qui, dans les temps anciens, avaient déjà été comptées parmi les corps célestes) comme une sorte particulière de planètes qui, décrivant des orbites très excentriques, ne se présentaient à notre vue qu'à tour de rôle, c'est-à-dire une fois par révolution, lorsqu'elles descendaient dans les parties inférieures de leurs orbites.

Et comme l'hypothèse des orbes solides avait pour conséquence inévitable, tant qu'elle prévalait, de faire descendre les comètes au-dessous de la Lune, à peine les observations tardives des astronomes eurent-elles rendu aux comètes leur ancienne place dans les cieux supérieurs, que ces espaces célestes furent aussitôt débarrassés de l'encombrement des orbes solides, qui, par ces observations, furent discrédités et rejetés définitivement.

Le principe du mouvement circulaire dans les espaces libres

Comment se fait-il que les planètes aient été retenues dans ces espaces libres à l'intérieur de certaines limites, et qu'elles aient été détournées des trajectoires rectilignes qu'elles auraient dû suivre seules, pour effectuer des révolutions régulières sur des orbites curvilignes ? Nous ne savons pas comment les anciens l'ont expliqué. Et c'est probablement pour essayer de résoudre cette difficulté que les orbes solides ont été introduits.

Les philosophes postérieurs prétendent en rendre compte, soit par l'action de certains tourbillons, comme Kepler et Descartes ; soit par quelque autre principe d'impulsion ou d'attraction, comme Borelli, Hook, et autres compatriotes. Car, d'après les lois du mouvement, il est certain que ces effets doivent provenir de l'action d'une force ou d'une autre.

Mais notre but est seulement de déterminer la quantité et les propriétés de cette force à partir des phénomènes, et d'appliquer ce que nous découvrons dans certains cas simples, comme des principes, par lesquels, d'une manière mathématique, nous pouvons estimer les effets de cette force dans des cas plus complexes. Car il serait interminable et impossible de soumettre chaque particule à une observation directe et immédiate.

Nous avons dit, d'une manière mathématique, pour éviter toute question sur la nature ou la qualité de cette force. Nous ne serions pas compris en la déterminant par une hypothèse quelconque ; nous l'appellerons par conséquent du nom général de force centripète, puisque c'est une force qui est dirigée vers un certain centre. Et comme elle concerne plus particulièrement un corps dans son centre, nous l'appelons circo-solaire, circo-terrestre, circo-jupitérien, et de même à l'égard des autres corps centraux.

Les effets des forces centripètes

Que les planètes puissent être maintenues sur certaines orbites grâce aux forces centripètes, nous le comprenons aisément si nous considérons le mouvement des projectiles. En effet, une pierre projetée est forcée, par la pression de son propre poids, à sortir de la trajectoire rectiligne qu'elle aurait dû suivre par la seule projection, et à décrire une ligne courbe dans l'air ; et par cette trajectoire courbée, elle est finalement ramenée au sol. Et plus la vitesse à laquelle elle est projetée est grande, plus elle va loin avant de tomber au sol. Nous pouvons donc supposer que, en augmentant la vitesse, elle décrit un arc de 1, 2, 5, 10, 100, 1000 milles avant de toucher la Terre, jusqu'à ce qu'elle dépasse les limites terrestres et passe tout près sans y toucher.

Posons AFB pour représenter la surface de la Terre ; C son centre ; VD, VE et VF, les lignes des trajectoires qu'un corps décrirait s'il était projeté dans une direction horizontale depuis le sommet d'une haute montagne, successivement, avec une vitesse de plus en plus grande. Et, parce que les mouvements célestes sont à peine retardés par le peu ou l'absence de résistance des espaces dans lesquels ils se déploient ; pour maintenir l'équivalence des cas, supposons qu'il n'y ait pas d'air autour de la Terre, ou du moins qu'il soit doté d'un pouvoir de résistance faible ou nul. Pour la même raison que le corps projeté avec une vitesse moindre, décrit le plus petit arc VD, et avec une vitesse plus grande, le plus grand arc VE, et en augmentant la vitesse il va de plus en plus loin vers F et G ; si la vitesse était encore augmentée, il complèterait enfin la circonférence de la Terre, et retournerait à la montagne d'où il a été projeté.

Comme les aires couvertes par ce mouvement, d'un rayon tracé jusqu'au centre de la Terre, sont proportionnelles aux temps dans lesquels elles sont décrites, (par la Prop. 1, Livre 1, Princip. Math.) sa vitesse, lorsqu'il retournera à la montagne, ne sera pas moindre que celle qu'il avait au départ ; et conservant la même vitesse, il décrira sans cesse la même courbe [orbite], par la même loi.

Mais si nous imaginons maintenant que des corps sont projetés dans la direction des lignes parallèles à l'horizon à partir de hauteurs plus grandes, comme 5, 10, 100, 1000 milles ou plus, ou plutôt comme autant de demi-diamètres de la Terre, ces corps, selon leur vitesse différente, et la force de gravité différente à différentes hauteurs, décriront des arcs soit concordants avec la Terre, soit plus ou moins excentriques, et continueront à tourner à travers les cieux dans ces trajectoires, tout comme les planètes le font dans leurs orbites.

La certitude de l'argument

De même que lorsqu'une pierre est projetée obliquement, c'est-à-dire de n'importe quelle autre manière que dans la direction perpendiculaire, sa déviation perpétuelle vers la Terre à partir de la ligne droite dans laquelle elle a été projetée, est une preuve de sa gravitation vers la Terre, non moins certaine que sa descente directe lorsqu'on la laisse tomber librement du repos ; de même la déviation des corps, se déplaçant dans des espaces libres, à partir de trajectoires rectilignes, et leur déviation perpétuelle vers n'importe quel endroit, est une indication sûre de l'existence de quelque force, qui de toutes parts pousse ces corps vers cet endroit.

Selon l'existence présumée de la pesanteur, il s'ensuit nécessairement que tous les corps autour de la Terre doivent exercer une pression vers le bas, et par conséquent doivent ou bien descendre directement vers la Terre — si on les laisse tomber — ou bien dévier indéfiniment de la direction projetée s'ils sont lancés vers l'horizon. De même, de l'existence supposée d'une force dirigée vers un centre quelconque, il s'ensuivra par la même nécessité que tous les corps sur lesquels cette force agit, ou bien descendent directement vers ce centre, ou bien au moins dévient perpétuellement vers lui à partir de la direction projetée, quoique autrement ils auraient dû se déplacer en ligne droite vers l'horizon.

Les deux premiers livres de nos Principes de philosophie montrent comment, à partir des mouvements donnés, nous pouvons déduire les forces, ou à partir des forces données, nous pouvons déterminer les mouvements.

Lois du mouvement [5]

Loi 1 — Inertie

Tout corps persévère en son état de repos ou de mouvement rectiligne uniforme, sauf si des forces « imprimées » le contraignent d'en changer.

Les projectiles persévèrent en leurs mouvements, à moins d'être retardés par la résistance de l'air et poussés vers la Terre par la force de la gravité. Une toupie dont la rotation empêche les parties d'effectuer des mouvements rectilignes, de par leur cohérence mutuelle, ne cesse de tourner que si l'air en retarde le mouvement. Les planètes et comètes qui ont une plus grande masse conservent plus longtemps encore leurs mouvements progressifs et circulaires qui s'effectuent en des espaces moins résistants.

Loi 2 — Accélération

Le changement de mouvement est proportionnel à la force motrice imprimée et s'effectue suivant la droite par laquelle cette force est imprimée.

Si une force quelconque génère un certain mouvement, elle en générera deux fois plus si sa grandeur double et trois fois plus si elle triple ; et ce, qu'on l'ait imprimée en une seule fois ou par degrés successifs. Et (puisque ce mouvement a toujours sa « détermination » dans la même région que la force qui le génère) il s'ajoute au mouvement précédent du corps, si ce mouvement existe et quand il conspire avec lui ; ou s'en retranche quand ce mouvement lui est contraire ; ou s'y adjoint obliquement quand ce mouvement est oblique par rapport à lui, et il est composé avec celui-ci selon la « détermination » propre à l'un et l'autre.

Loi 3 — Action - Réaction

La réaction est toujours contraire et égale à l'action : ou encore les actions que deux corps exercent l'un sur l'autre sont toujours égales et dirigées en sens contraire.

Tout corps qui exerce une pression ou une traction sur un autre corps subit tout autant de pression ou de traction de la part de celui-ci. Si l'on exerce du doigt une pression sur une pierre, le doigt subit une pression de la pierre. Si un cheval tire une pierre attachée par une corde, il sera lui aussi, pour ainsi dire, tout autant tiré par la pierre : car la corde qui est tendue des deux côtés par le même effort de résistance à la traction subie poussera le cheval vers la pierre et la pierre vers le cheval ; et elle gênera autant la progression de l'un qu'elle favorisera celle de l'autre.

Si un corps qui en choque un autre en change le mouvement par sa propre force d'une manière quelconque, il subira en retour également un changement identique de son propre mouvement, du côté opposé à celui de la première force (de par l'égalité des pressions mutuelles). Ces actions rendent égales non pas les variations de vitesse, mais celles de quantité de mouvement ; ceci évidemment, dans les corps qui ne sont pas gênés par un obstacle extérieur. En effet, les variations de vitesse qui se font aussi bien d'un côté que de l'autre, puisque les quantités de mouvement varient d'une quantité égale, sont réciproquement proportionnelles aux masses des corps. Cette loi vaut aussi pour les attractions, comme on le prouvera dans le scholie qui suit.

Optique [6]

Définitions

p. 2

I. Je nomme Rayons les moindres parties de la lumière, tant celles qui sont successives dans les mêmes lignes, que celles qui sont simultanées dans des lignes différentes.

Il est évident que la lumière est composée de parties successives et de parties simultanées : puisqu'à chaque instant on peut arrêter celles qui tombent sur un même endroit, et laisser passer celles qui y tombent l'instant d'après ; comme on peut, au même instant, les arrêter dans un endroit, et les laisser passer dans un autre. Or il est impossible que les parties interceptées et les parties transmises soient les mêmes. Ainsi, toute partie de lumière qui peut être arrêtée ou propagée seule, comme toute partie de lumière qui peut agir ou être affectée indépendamment des autres, est ce que j'appelle un Rayon.

II. La réfrangibilité des rayons de lumière est leur disposition à être détournés de leurs directions, en passant d'un milieu dans un autre ; et leur plus ou moins grande réfrangibilité est leur disposition à être plus ou moins détournés de leurs directions, à égales incidences sur le même milieu.

Les Géomètres supposent ordinairement que les rayons de lumière sont des lignes qui s'étendent du corps lumineux au corps illuminé, et que la réfraction de ces rayons est la rupture de ces lignes à leur passage d'un milieu dans un autre. On peut trèsbien considérer les rayons et leurs réfractions sous ce point de vue, supposé que la lumière se propage instantanément : mais comme il paraît, par les équations des temps où les éclipses des Satellites de Jupiter arrivent, que la lumière emploie environ sept minutes dans son trajet du Soleil à la Terre ; je me suis attaché à donner des définitions si générales des rayons et de leurs réfractions, qu'elles peuvent également convenir dans ces deux cas.

III. La réflexibilité des rayons est leur disposition à être renvoyés du milieu sur lequel ils tombent dans le milieu d'où ils sont partis ; et les rayons sont plus ou moins réflexibles suivant qu'ils sont renvoyés avec plus ou moins de facilité.

Ainsi, en passant du verre dans l'air, si la lumière devient plus inclinée à la surface commune de ces milieux, elle commence à en être totalement réfléchie : or ces rayons sont les plus réflexibles, qui, à égales incidences, sont réfléchis en plus grande quantité ; ou qui, à une moindre inclinaison, commencent plus tôt à être réfléchis.

IV. L'angle d'incidence est l'angle que forment, au point d'incidence, la ligne décrite par le rayon incident et la perpendiculaire à la surface réfléchissante ou réfringente.

V. L'angle de réflexion ou de réfraction est l'angle que forment, au point d'incidence, la ligne décrite par le rayon réfléchi ou réfracté et la perpendiculaire à la surface réfléchissante ou réfringente.

VI. Les sinus d'incidence de réflexion, et de réfraction, sont les sinus des angles d'incidence, de réflexion, et de réfraction.

VII. Je nomme lumière simple, homogène, ou similaire, celle dont les rayons sont également réfrangibles ; lumière composée, hétérogène, ou dissimilaire, celle dont les rayons sont plus réfrangibles les uns que les autres.

Ce n'est pas que je prétende que la première soit homogène à tous égards : mais les rayons qui ne diffèrent pas en réfrangibilité ne diffèrent non plus en aucune de leurs autres propriétés ; propriétés qui feront l'objet de mon examen dans cet ouvrage.

VIII. J'appelle simples et primitives, les couleurs des rayons homogènes ; et je nomme composées, les couleurs des rayons hétérogènes.

Axiomes

p. 5

I. Les angles d'incidence, de réflexion, et de réfraction sont dans un seul et même plan.

II. L'angle de réflexion est égal à l'angle d'incidence.

III. Si un rayon rompu est renvoyé directement au point d'incidence, il sera rompu dans la ligne décrite par le rayon incident.

IV. Quand un rayon passe dans un milieu plus dense, il se réfracte en s'approchant de la perpendiculaire ; de sorte que l'angle de réfraction est plus petit que l'angle d'incidence.

V. Le sinus d'incidence est au sinus de réfraction en raison donnée, exactement ou à très peu près.

[...]

Propositions fondamentales

Part. 1 - Première proposition

p. 20

Théorème I

Les rayons qui diffèrent en couleur diffèrent aussi en réfrangibilité. Proposition dont la vérité est fondée sur plusieurs expériences.

I — Expérience

(Fig. 11) Ayant pris un papier DGE, noir, épais, oblong, et terminé par des côtés parallèles, je le distinguai en deux parties égales au moyen d'une perpendiculaire FG. De ces parties je peignis l'une GE en rouge, l'autre DG en bleu, avec des couleurs foncées, afin que les phénomènes fussent plus sensibles. Puis je regardai ce papier à travers un prisme aB, ou plutôt à travers l'un des angles (que je nommerai angle réfringent), dont les deux côtés AB et BC, plans et bien polis, étaient inclinés entre eux d'environ 60 degrés.

Le papier se trouvait devant une croisée MN (la ligne transversale était perpendiculaire au plan de la croisée) parallèlement au prisme et à l'horizon de sorte que la lumière qu'il recevait de la croisée et la lumière qu'il réfléchissait à l'oeil faisaient des angles égaux. Au-delà du prisme le dessous de la croisée était tendu de drap noir, et ce drap était entièrement dans l'obscurité, pour empêcher qu'il n'en vînt aucune lumière qui pût se mêler à celle que le papier réfléchissait et obscurcir les phénomènes. Les choses étant ainsi disposées, j'observai que, si l'angle réfringent Aa était tourné en haut de sorte que l'image fût élevée par la réfraction, la moitié bleue paraissait plus haute que la moitié rouge : mais si l'angle réfringent était tourné en bas de sorte que l'image fût abaissée par la réfraction, la moitié bleue paraissait plus basse que la moitié rouge. Dans ces deux cas, la lumière bleue transmise à l'oeil à travers le prisme, souffrant une plus grande réfraction que la lumière rouge, est donc nécessairement plus réfrangible.
(J'ai fondu l'explication des Figures 11 et 12 dans la description des deux premières expériences, comme l'Auteur lui-même a eu soin de le faire dans la plupart de ses autres expériences. Note du Traducteur.)

Part. 1 - Seconde proposition

p. 24

Théorème II

La lumière du soleil est composée de rayons différemment réfrangibles. (A). Proposition dont la vérité est fondée sur plusieurs expériences.

III — Expérience

Ayant introduit un faisceau de rayons solaires dans une chambre fort obscure, par un trou rond de quatre lignes [6mm] fait au volet de croisée, je le fis passer à travers un prisme de verre pur, de manière que la réfraction les projette sur le mur au fond de la chambre, où ils traçaient une image colorée du soleil.

En tournant de part et d'autre, mais lentement, le prisme sur son axe (l'axe est la ligne qui traverse le milieu du prisme d'un bout à l'autre, et parallèlement à ses côtés), qui était perpendiculaire aux rayons, je voyais l'image monter et descendre. Lorsqu'elle parut stationnaire, entre ces deux mouvements opposés, je fixai le prisme ; car alors les réfractions des rayons aux deux côtés de l'angle réfringent (c'est à dire, à leur entrée et à leur sortie), étaient égales entre elles (C'est à ce point que le prisme fut toujours fixé, lorsque je voulais que les réfractions aux deux côtés de l'angle fussent égales. Et c'est à ce point que tous les prismes furent fixés dans les expériences qui suivent, à moins que je n'indique quelque autre position.) : ensuite je reçus cette image sur une feuille de papier blanc, perpendiculaire aux rayons ; puis j'observai ses dimensions et sa figure. Oblongue, sans être ovale, elle était terminée assez nettement par deux côtés rectilignes et parallèles, mais confusément par deux bouts semi-circulaires, où la lumière, s'affaiblissant peu à peu, s'évanouissait enfin tout à fait. La largeur de l'image colorée répondait à celle du disque solaire [...]

p. 30

IV — Expérience

Ayant reçu le trait solaire introduit dans la chambre obscure, sur un prisme placé à quelques pieds du volet, de manière que l'axe fût perpendiculaire aux rayons incidents ; je regardai à travers le prisme, le tournant de part et d'autre sur son axe, pour faire monter et descendre l'image du trou. Lorsqu'elle me parut stationnaire, je fixai le prisme, afin que les réfractions aux deux côtés de l'angle réfringent fussent égales. Puis examinant l'image réfractée du trou, j'observai que sa longueur surpassait de beaucoup sa largeur, et que la partie la plus réfractée paraissait violette, que la moins réfractée paraissait rouge, et que les parties intermédiaires paraissaient bleue, verte, jaune.

Les mêmes phénomènes reparurent, lorsqu'ayant porté le prisme à l'oeil, je regardai le trou éclairé par la lumière du ciel. Or si les rayons se réfractaient régulièrement, suivant certain rapport entre les sinus d'incidence et de réfraction, comme on le suppose communément, l'image réfractée serait ronde.

Il est donc prouvé par ces deux expériences, qu'à incidences égales, les rayons se réfractent très inégalement. Mais d'où vient cette inégalité de réfraction ? De ce que les rayons incidents sont (constamment ou fortuitement) plus réfractés les uns que les autres, ou de ce que le même rayon est fendu, dissipé, et éparpillé en plusieurs rayons divergents, comme le suppose Grimaldi. Quelle est la vraie de ces deux causes ? C'est ce qui paraîtra par les expériences qui suivent.

p. 32

V — Expérience

Si (dans la IIIe Expérience) l'image réfractée du soleil avait pris une forme oblongue par la dilatation de chaque rayon, ou par quelque autre cause accidentelle ; cette image, étant de nouveau réfractée latéralement, s'étendrait en largeur dans la même proportion. Voulant savoir à quoi m'en tenir là-dessus, je plaçai deux prismes immédiatement l'un après l'autre, de manière que leurs axes se coupassent à angles droits. Ainsi, le trait solaire était réfracté de bas en haut par le premier, de côté par le second : cependant la largeur de l'image n'augmenta point ; mais dans les deux prismes, les rayons de sa partie violette paraissaient souffrir de plus grandes réfractions que les rayons de sa partie rouge.

(Fig. 14) Pour le démontrer, je suppose que S soit le Soleil ; F, le trou fait au volet ; ABC, le premier prisme ; DH, le second prisme ; Y, l'image ronde du soleil, produite par le trait direct ; PT, l'image oblongue du soleil, produite par ce trait transmis à travers le premier prisme ; et pt, l'image oblongue du soleil, produite par ce trait transmis à travers le second prisme. Cela posé, si les rayons qui tendent vers les différents points de l'image ronde Y, une fois réfractés par le premier prisme, cessaient de tendre vers les mêmes points, et se fendaient, s'éparpillaient, se changeaient chacun en une file de rayons divergents, formant un même plan avec les angles d'incidence et de réfraction, de manière qu'ils se répandissent sur autant de lignes de ces plans menées presque d'un bout à l'autre de l'image PT ; il est évident que ces rayons réfractés latéralement par le second prisme ne seraient pas moins dilatés et éparpillés de côté ; d'où résulterait une image carrée [].

Pour rendre la démonstration plus complète encore, je distingue l'image PT en cinq parties égales, PQK, KQRL, LRSM, MSVN, NVT ; et je fais ce raisonnement : si les rayons étaient fendus par la réfraction, ils se disperseraient chacun sur un espace triangulaire, en divergeant du point où ils se réfractent ; ainsi, leurs réfractions aux surfaces du second prisme les disperseraient d'un côté, autant que leurs réfractions aux surfaces du premier prisme les auraient dispersés de l'autre ; l'image totale ne serait donc pas moins étendue en largeur qu'en longueur. Or la même cause, en vertu de laquelle les rayons de l'image orbiculaire Y, dilatés par le premier prisme, viendraient à former l'image oblongue PT, ferait que les rayons de sa partie PQK, qui occupe un espace égal en longueur et en largeur à l'image orbiculaire, étant dilatés par le second prisme, viendraient aussi à former l'image oblongue qkp ; tandis que les rayons de la partie KQRL formeraient l'image oblongue kqrl, et que les rayons des parties LRSM, MSVN, NVT, formeraient autant d'autres images oblongues lrsm, msvn, nvt : ainsi, toutes ces images oblongues, rangées latéralement, composeraient l'image quarrée []. Mais au lieu d'être élargie par le second prisme, l'image PT devient seulement oblique, comme pt ; l'extrémité supérieure ou violette P, étant transportée par la réfraction à une plus grande distance que l'extrémité inférieure ou rouge T. Donc, à incidences égales, les rayons violets, étant plus réfractés que les rayons rouges et par le second prisme et par le premier, sont nécessairement plus réfrangibles.

Ayant mis un troisième prisme après le second, et un quatrième après le troisième, pour que l'image pût être plusieurs fois réfractée latéralement ; les mêmes phénomènes eurent lieu. C'est donc à juste titre que ces rayons, constants à être plus réfractés que les autres, sont réputés plus réfrangibles.

[...]

p. 41

VI — Expérience

Ayant introduit dans ma chambre obscure un gros faisceau de rayons solaires, par un trou fait au volet, je le fis tomber sur un prisme peu distant ABC, (Fig. 18) de manière à projeter le spectre au fond de la chambre. Proche de ce prisme j'élevai verticalement une planche mince DE, percée en G d'un trou rond de quatre lignes [6mm], afin de transmettre une partie de la lumière réfractée. Ensuite, environ à 11 pieds de cette planche, j'en élevai une autre de percée en g d'un pareil trou, afin de ne donner passage qu'à une partie de la lumière incidente. Immédiatement après le dernier trou, je fixai un second prisme abc pour réfracter les rayons transmis. Alors je revins promptement au premier [prisme] : et le tournant peu à peu sur son axe, je fis monter et descendre l'image projetée sur la seconde planche [de] ; en sorte que les rayons de toutes ses parties pouvaient passer successivement par le trou de cette planche, et tomber sur le prisme qui était derrière : en même temps je marquai sur le mur opposé les endroits MN où tombait chaque espèce de rayons, après avoir été réfractés par le second prisme [abc] ; et tandis que le premier tournait sur son axe, je remarquai que ces endroits placés au-dessus l'un de l'autre changeaient sans cesse. Par leurs hauteurs respectives, je trouvai constamment que les rayons violets, qui avaient souffert la plus grande réfraction dans le premier prisme, souffraient aussi la plus grande réfraction dans le second prisme ; et ainsi des autres espèces. Cela se passait de la sorte, soit que les axes des deux prismes fussent parallèles, soit qu'ils fussent inclinés l'un à l'autre et à l'horizon, à angles donnés quelconques. Puis donc que les planches et le second prisme étaient immobiles, l'incidence des rayons hétérogènes était égale dans tous ces cas. Cependant les rayons étaient plus réfractés les uns que les autres : or ceux qui étaient le plus réfractés par le second prisme, étaient aussi le plus réfractés par le premier ; ils peuvent donc, à juste titre, être réputés plus réfrangibles. Ce qui prouve la première Proposition aussi bien que la seconde.

Part. 1 - Quatrième proposition

Problème I

p. 59

Séparer les uns des autres les rayons hétérogènes d'une lumière composée.

Ces rayons sont en quelque sorte séparés par le prisme dans la IIIe Expérience ; et dans la Ve, leur séparation devient parfaite aux côtés rectilignes de l'image colorée, lorsqu'on supprime la pénombre. Il est vrai que, dans tout l'espace compris entre ces côtés, les cercles innombrables formés chacun par des rayons (C) homogènes, rentrant les uns dans les autres, rendent par leur mélange la lumière assez composée. Mais si on diminue le diamètre de ces cercles, en conservant leurs distances et leurs positions respectives, ils s'entremêleront beaucoup moins : ce qui diminuera d'autant le mélange des rayons hétérogènes.

(Fig. 23) Pour le prouver, soient AG, BH, CI, DK, EL, FM, les cercles d'autant d'espèces de rayons venus du disque solaire, lesquels conjointement avec une infinité d'autres cercles intermédiaires composent l'image colorée du soleil. Et soient ag, bh, ci, dk, el, fm, autant de cercles plus petits, formés de rayons correspondants, superposés dans le même ordre entre deux parallèles af, gm, et ayant leurs centres à égales distances.

Or, dans la figure PT composée des grands cercles, trois de ces cercles AG, BH, CI, sont si engagés l'un dans l'autre, que les trois espèces de rayons (et une infinité d'autres espèces intermédiaires) qui les illuminent, se trouvent mêlées en QR, au milieu du cercle BH ; mélange qui a lieu aussi dans presque toute la longueur de la figure PT. Mais dans la figure pt composée des petits cercles, les trois cercles ag, bh, ci, qui correspondent aux trois grands, ne s'engagent point l'un dans l'autre ; et même deux des trois espèces de rayons qui les illuminent ne s'y trouvent mêlées nulle part. D'où il parait que le mélange des rayons hétérogènes diminue dans le rapport du diamètre des cercles, les centres restant à égales distances. Si les diamètres sont trois fois plus petits, le mélange fera trois fois moindre ; et il le sera dix fois, s'ils sont dix fois plus petits. Ainsi, le mélange des rayons dans la grande figure PT sera à leur mélange dans la petite figure pt, comme la largeur de la première est à la largeur de la dernière ; puisque ces largeurs sont égales aux diamètres des cercles. Le mélange des rayons dans l'image réfractée pt est donc au mélange des rayons dans la lumière directe du soleil, comme la largeur de cette image est à la différence qui se trouve entre sa longueur et sa largeur.

[...]

Part. 2 - Seconde proposition

Théorème II

p. 119

Toute lumière homogène a sa couleur propre (Si je parle de rayons colorés, c'est pour me conformer au langage vulgaire. Car, à proprement parler, les rayons ne sont pas colorés : ils sont simplement doués de la propriété de produire, sur l'organe de la vue, la sensation de telle ou telle couleur ; de même que, dans un corps sonore, le son n'est que la propriété d'agiter l'air de manière à exciter, dans l'organe de l'ouïe, la sensation de tel et tel son.) qui correspond à son degré de réfrangibilité ; et cette couleur ne peut être changée ni par réflexion ni par réfraction (G).

Rappelons ici les Expériences de la IVe Proposition [p. 59 ]. Après avoir séparé les rayons hétérogènes les uns des autres, le spectre formé par ces rayons parut d'un bout à l'autre illuminé de différentes couleurs rangées dans cet ordre ; violet, indigo, bleu, vert, jaune, orangé, et rouge, avec toutes leurs nuances intermédiaires : de sorte qu'on apercevait autant de couleurs différentes qu'il y avait de différentes espèces de rayons.

V — Expérience

p. 120

Que ces couleurs ne puissent pas changer de nature par réfraction, c'est ce que j'ai constaté en réfractant, au moyen d'un prisme, chaque espèce des rayons hétérogènes pris en petit nombre [...]. Quelque souvent que fussent réfractés les rayons rouges, il n'en résultait ni orangé, ni vert, ni bleu, ni indigo, ni violet, et toujours ils conservaient la même couleur. Celle des bleus, des jaunes, des verts, etc., était également immuable. De même en regardant à travers un prisme des corps illuminés par une lumière homogène, jamais ils ne parurent d'une couleur différente, et toujours on les voyait aussi distinctement qu'à oeil nu ; tandis qu'illuminés par une lumière hétérogène, ils paraissaient confusément, et chacun de diverse couleur.

Les réfractions prismatiques n'altèrent donc point la couleur des rayons homogènes. Au reste c'est d'une altération sensible qu'il est ici question ; car les rayons que je nomme homogènes, ne le sont pourtant pas à la rigueur : de leur hétérogénéité doit donc résulter un léger changement de couleur. Mais cette hétérogénéité étant aussi imperceptible qu'elle l'est dans les Expériences de la IVe Proposition, ce changement de couleur doit être compté pour rien dans tous les cas où les sens sont juges.

VI — Expérience

p. 122

Si ces couleurs ne peuvent point être changées par réfraction, elles ne peuvent point l'être non plus par réflexion. Car tous corps, blanc, gris, rouge, jaune, vert, bleu, violet, tels que le papier, les cendres, le vermillon, l'orpiment, l'indigo, l'azur, l'or, l'argent, le cuivre, l'herbe, les bleuets , les violettes, les bulles de savon, les plumes de paon, la teinture du bois néphrétique, etc., étant exposés à une lumière rouge homogène, paraissent parfaitement rouges ; bleus, à une lumière bleue ; verts, à une lumière verte, etc. La seule différence qu'on observe entre eux, c'est que les uns réfléchissent plus ou moins de lumière que les autres.

Il suit de là bien évidemment que, si la lumière du soleil était un assemblage de rayons de même espèce, il n'y aurait dans la nature qu'une seule couleur ; et il serait impossible d'en produire aucune autre par réflexion ou réfraction. La diversité des couleurs vient donc nécessairement de ce que la lumière est composée de rayons de différentes espèces.

Volonté divine et mouvement des planètes [7]
Lettre à Richard Bentley

Monsieur

Quand j'ai écrit mon traité sur notre Système, j'avais l'oeil sur les Principes qui pourraient aider les hommes à considérer la vie d'une divinité, et rien ne peut me réjouir plus que de le trouver utile à cette fin. Mais si j'ai rendu service au public de cette façon, ce n'est dû qu'à l'industrie et à une pensée patiente.

Pour ce qui est de votre première question, il me semble que si la matière de notre Soleil, de nos planètes et de toute la matière de l'univers était éparpillée dans tous les cieux, si chaque particule avait une gravité innée envers toutes les autres, si l'espace dans lequel cette matière était éparpillée était fini, la matière à l'extérieur de cet espace ne serait qu'une partie de l'espace : la matière qui se trouvait à l'extérieur de cet espace tendrait par sa pesanteur vers toute la matière qui se trouvait à l'intérieur et par conséquent tomberait au milieu de tout l'espace et y composerait une grande masse sphérique. Mais si la matière était divisée par le ciel dans un espace infini, elle ne se réunirait jamais en une seule masse, mais une partie se réunirait en une masse et une autre en une autre, de manière à former un nombre infini de grandes masses dispersées à de grandes distances les unes des autres dans tout cet espace infini. Et c'est ainsi que se formeraient le Soleil et les six étoiles, en supposant que la matière soit d'une nature lucide. Mais comment la matière se diviserait-elle en deux sortes, et la partie qui est propre à composer un corps brillant tomberait en une seule masse et ferait un Soleil, et le reste qui est propre à composer un corps opaque se fondrait non pas en un grand corps comme la matière brillante, mais en plusieurs petits corps : ou si le Soleil était d'abord un corps opaque comme les planètes ou les planètes des corps lucides comme le Soleil, comment lui seul peut être changé en un corps brillant tandis que toutes les planètes continuent à être opaques ou toutes les planètes sont changées en corps opaques tandis que lui reste inchangé, je ne pense pas que cela soit explicable par de simples causes naturelles, mais je suis forcé de l'attribuer au conseil et à l'arrangement d'un Agent volontaire. La même puissance, soit naturelle, soit surnaturelle, qui a placé le Soleil au centre de l'orbe des six planètes primaires, a placé Saturne au centre de l'orbe de ses cinq planètes secondaires, Jupiter au centre de l'orbe de ses quatre planètes secondaires, et la Terre au centre de l'orbe de la Lune ; et par conséquent, si cette cause avait été aveugle, sans artifice ni dessein, le Soleil aurait été un corps du même genre que Saturne, Jupiter et la Terre, c'est-à-dire sans lumière ni chaleur. Pourquoi il y a dans notre système un corps qualifié pour donner de la lumière et de la chaleur à tous les autres, je n'en sais rien, sinon parce que l'auteur du système l'a jugé convenable, et pourquoi il n'y a qu'un seul corps de cette espèce, je n'en sais rien, sinon parce qu'un seul suffisait pour réchauffer et éclairer tous les autres. L'hypothèse cartésienne selon laquelle les Soleils perdent leur lumière et se transforment en comètes et les comètes en planètes n'a pas sa place dans mon système, et est manifestement erronée, car il est certain que les comètes, aussi souvent qu'elles nous apparaissent, descendent dans le système de nos planètes plus bas que l'orbite de Jupiter et parfois plus bas que les orbites de Vénus et de Mercure, et pourtant ne restent jamais ici mais reviennent toujours du Soleil avec les mêmes degrés de mouvement par lesquels elles l'ont approché.

À votre seconde question, je réponds que les mouvements, que les planètes ont maintenant, ne peuvent pas provenir d'une cause naturelle, mais qu'ils ont été imprimés par un agent intelligent. Car puisque les Comètes descendent dans la région de nos planètes et s'y meuvent de toutes sortes de manières allant tantôt dans le même sens que les planètes, tantôt dans le sens contraire et tantôt en sens croisés dans des plans inclinés sur le plan de l'Écliptique à toutes sortes d'angles : il est évident qu'il n'y a aucune cause naturelle qui puisse déterminer toutes les planètes, tant primaires que secondaires, à se mouvoir de la même manière et dans le même plan sans aucune variation considérable. Cela a dû être l'effet du Conseil. Il n'y a pas non plus de cause naturelle qui puisse donner aux planètes ces justes degrés de vélocité en proportion de leurs distances du Soleil et des autres corps centraux autour desquels elles se meuvent et de la quantité de matière contenue dans ces corps, qui étaient nécessaires pour les faire se mouvoir en orbes concentriques autour de ces corps. Si les planètes avaient été aussi rapides que les comètes en proportion de leur distance au Soleil (comme elles l'auraient été si leurs mouvements avaient été causés par leur gravité, par laquelle la matière, lors de la première formation des planètes, pouvait tomber des régions les plus éloignées vers le Soleil), elles ne se déplaceraient pas en orbes concentriques, mais en orbes excentriques comme les comètes. Si toutes les planètes étaient aussi rapides que Mercure ou aussi lentes que Saturne ou ses Satellites, ou si leurs différentes vitesses étaient autrement plus ou moins grandes qu'elles ne le sont (comme elles auraient pu l'être si elles étaient nées d'une autre cause que leur gravité), ou si leurs distances des centres autour desquels elles se meuvent étaient plus ou moins grandes qu'elles ne le sont avec les mêmes vitesses ; ou si la quantité de matière dans le Soleil ou dans Saturne, Jupiter et la Terre, et par conséquent leur pouvoir de gravitation était plus ou moins grande qu'elle ne l'est : les planètes primaires n'auraient pas pu tourner autour du Soleil, ni les secondaires autour de Saturne, Jupiter et de la Terre en cercles concentriques comme elles le font, mais se seraient déplacées en Hyperboles ou Paraboles ou en Ellipses très excentriques. Pour faire ce système avec tous ses mouvements, il fallait donc une Cause qui comprît et comparât ensemble les quantités de matière dans les divers corps du Soleil et des planètes, et les pouvoirs de gravitation qui en résultent, les diverses distances des planètes primaires du Soleil, et des secondaires de Saturne, Jupiter et de la Terre, et les vitesses avec lesquelles ces planètes pouvaient tourner à ces distances autour de ces quantités de matière dans les corps centraux. Et pour comparer et ajuster toutes ces choses ensemble dans une si grande variété de corps, cela plaide que la cause n'est pas aveugle et fortuite, mais très habile en Mécanique et Géométrie.

À votre troisième requête, je réponds qu'on peut représenter que le Soleil peut, en chauffant le plus les planètes qui sont les plus proches de lui, les faire mieux concocter et plus condenser par concoction. Mais quand je considère que notre Terre est beaucoup plus chauffée dans ses entrailles, au-dessous de la croûte supérieure, par les fermentations souterraines des corps minéraux, que par le Soleil, je ne vois pas pourquoi les parties intérieures de Jupiter et de Saturne ne seraient pas aussi chauffées, concoctées et coagulées par ces fermentations que l'est notre Terre, et par conséquent, cette densité diverse doit avoir quelque autre cause que les diverses distances des planètes au Soleil : et je suis confirmé dans cette opinion en considérant que les planètes de Jupiter et de Saturne, étant plus rares que les autres, sont beaucoup plus grandes, contiennent une quantité de matière beaucoup plus grande, et ont beaucoup de satellites autour d'elles : ces qualités ne sont sûrement pas dues au fait qu'elles sont placées à une si grande distance du Soleil, mais sont plutôt la cause pour laquelle le créateur les a placées à cette grande distance. En effet, par leur pouvoir de gravitation, elles perturbent très sensiblement les mouvements les unes des autres, comme je l'ai constaté par des observations récentes de M. Flamsteed, et si elles avaient été placées beaucoup plus près du Soleil, et les unes des autres, elles auraient, par les mêmes pouvoirs, causé une perturbation considérable dans tout le système.

À la quatrième question, je réponds que dans les hypothèses des vortex, l'inclinaison de l'axe de la Terre pourrait, à mon avis, être attribuée à la situation du vortex terrestre avant qu'il ne soit absorbé par les vortex voisins et que la Terre ne se transforme en Soleil ou en comète ; mais cette inclinaison devrait constamment diminuer en correspondance avec le mouvement du tourbillon terrestre, dont l'axe est beaucoup moins incliné vers l'Écliptique, comme le montre le mouvement de la Lune qui y est entraînée. Si le Soleil, par ses rayons, peut transporter les planètes, je ne vois pas comment il pourrait ainsi modifier leurs mouvements diurnes.

Enfin, je ne vois rien d'extraordinaire dans l'inclinaison de l'axe de la Terre pour prouver l'existence d'une divinité, à moins que vous n'insistiez sur le fait qu'il s'agit d'un artifice pour l'hiver et l'été, et pour rendre la Terre habitable vers les pôles, et que les rotations diurnes du Soleil et des planètes ne peuvent guère provenir d'une cause purement mécanique, de sorte qu'en étant déterminées de la même manière que les mouvements annuels et menstruels, elles semblent constituer cette harmonie dans le système qui (comme je l'ai expliqué plus haut) était l'effet d'un choix plutôt que du hasard.

Il y a encore un autre argument en faveur d'une Déité que je considère comme très fort, mais jusqu'à ce que les principes sur lesquels il est fondé soient mieux reçus, je pense qu'il est plus recommandable de le laisser dormir.

Je suis le très humble et dévoué serviteur à votre service.

Is. Newton.
Cambridge, le 10 décembre
1692.

[1] Extrait du documentaire Newton's Dark Secrets, Nova © 2003.

[2] Isaac Newton, Principia Mathematica, Éd. Christian Bourgois © 1985, pp. 20-21.

[3] Ibid., pp. 23-32.

[4] Isaac Newton, A Treatise of the System of the World, F. Fayram, London 1731, pp. 1-8, (Trad. F. B.).

[5] Isaac Newton, Principia Mathematica, Éd. Christian Bourgois © 1985, pp. 40-42.

[6] Isaac Newton, Optique Tome 1, Librairie Leroy 1787 (Traduction Jean-Paul Marat).

[7] Extrait de la Lettre originale d'Isaac Newton à Richard Bentley, 10 déc. 1692 (Trad. DeepL.com / F. B.).

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