Pratiques philosophiques 

par François Brooks

27 avril 2025

4 conditions pour profiter de la consultation philosophique

SOMMAIRE

1. D'abord vider sa tasse de thé

2. Ni tyrannie ni polémique ni bavardage, mais compréhension

3. Ni contrainte ni spectacle, mais engagement libre et actif

4. Pourquoi la consultation ne peut-elle être gratuite ?

1. D'abord vider sa tasse de thé

Scott connaît l'art de la poterie qu'il pratique aux États-Unis. Il est venu étudier les méthodes d'un maître-potier japonais d'expérience, mais son intention en cachait une autre : montrer la supériorité de sa méthode sur la technique du vieux maître. Était-il disposé à apprendre ?[1]

Pour apprendre, il faut d'abord se mettre à la disposition du maître en mettant de côté nos propres connaissances pour accueillir les siennes. Il ne s'agit pas de les renier ni les oublier, mais simplement les mettre en veilleuse le temps de comprendre et d'intégrer l'enseignement. Le bouddhisme zen l'illustre avec la métaphore de la tasse de thé trop pleine qu'il faut d'abord vider. [2]

La consultation n'est pas un entassement de savoir, c'est au contraire travailler à mettre en valeur le meilleur de soi-même. Comment ajouter la qualité sans se défaire du superflu encombrant ?

2. Ni tyrannie ni polémique ni bavardage,
mais compréhension

La consultation juridique, architecturale, médicale ou philosophique est profitable dans la mesure où l'on reconnaît l'autorité du professionnel. On peut bien sûr la remettre en question ; le philosophe Alain le recommande : « Penser, c'est dire non ! » ; mais il est inutile de focaliser sur la résistance. La philosophie n'est pas une arme polémique, mais un outil de compréhension.

Il est difficile de suspendre nos opinions, mais la consultation doit échapper au discours dogmatique, à la polémique et au bavardage. Freud affirme que : « L'analyse ne se laisse pas employer comme une arme de polémique ; elle suppose le consentement de la personne dont on veut faire l'analyse et, entre l'analyste et l'analysé, des rapports de supérieur à subordonné.[3] »

Mais la supériorité consentie n'est pas l'adhésion aveugle ; elle engage la responsabilité envers le client. Quand on s'adresse au juge en cour en l'appelant « Votre Honneur », c'est avant tout pour le conjurer à mériter le titre. Le philopraticien propose une approche compréhensive en multipliant les perspectives sans les imposer.

3. Ni contrainte ni spectacle,
mais engagement libre et actif

La consultation philosophique est une forme de coaching privé qui s'apparente à l'enseignement. Le conseiller offre des outils philosophiques qui permettent au client de s'ouvrir à des perspectives étonnantes sur lui-même et sur le monde. Elle n'est pas un spectacle, mais un travail de conquête de soi. Le spectacle est le contraire de l'action ; il impose la soumission passive qui sature le champ de la perception (Debord).

L'idée d'un apprentissage obligatoire, qu'il s'agisse du programme de l'Éducation nationale ou du désir de se conformer à une mode, comporte un frein intrinsèque. La motivation atteint son maximum lorsque l'apprentissage est librement consenti et provient du désir du client. John Dewey nous dit que l'élève doit passer du statut d'objet de l'acte d'enseigner à celui de sujet de l'acte d'apprendre. Un esprit contraint n'est qu'à demi disponible. Une partie de l'énergie psychique s'engage à combattre la tyrannie qui l'oppresse. La consultation implique l'engagement actif librement consenti sans contrainte. Elle demande des lectures, des auditions, des visionnements et des expériences pratiques qui passent par la réflexion et la sculpture de soi (Michel Onfray).

4. Pourquoi la consultation ne peut-elle être gratuite ?

La contrainte financière est au coeur du processus consultatif. Gurdjieff dit pourquoi : « ... j'ai vraiment trop peu de temps pour le sacrifier aux autres, sans même être sûr que cela leur fera du bien. J'apprécie beaucoup mon temps, parce que j'en ai besoin pour mon propre travail, parce que je ne peux pas, et, comme je l'ai déjà dit, parce que je ne veux pas le dépenser en vain. Et il y a une dernière raison : il faut qu'une chose coûte pour qu'elle soit estimée.[4] » Il explique plus loin que l'attitude envers l'argent est très révélatrice de ce que les gens sont. Le comportement qu'ils adoptent par rapport aux honoraires indique immédiatement s'ils sont en mesure de bénéficier des services : « Rien ne montre mieux les gens que leur attitude envers l'argent. Ils sont prêts à gaspiller tant et plus pour leurs fantaisies personnelles, mais ils n'ont aucune appréciation du travail d'un autre.[5] »

[1] Extrait du film de Claude Gagnon, Kamataki, Filmoption International © 2006.

[2] La mise en scène est inspirée de la célèbre fable suivante :

Nan-in, un maître japonais vivant à l'ère Meiji (1868-1912) recevait un professeur d'université venu s'informer sur le Zen. Nan-in servait le thé. Il remplit la tasse de son visiteur, et continuait néanmoins à verser. Le professeur regardait sa tasse déborder, et ne put se contenir plus longtemps : « Elle est pleine, et ne peut en contenir davantage ! » Alors Nan-in dit : « Comme cette tasse, vous êtes plein de vos propres opinions et spéculations. Comment puis-je vous montrer ce qu'est le Zen si vous ne videz pas d'abord votre tasse ? »
Paul Reps, Le Zen en chair et en os, Albin Michel © 1993.

[3] Freud, Contribution à l'histoire du mouvement psychanalytique in Cinq leçons sur la psychanalyse (1909), Petite Bibliothèque Payot # 84 © 2015, p. 130.

[4] Ouspensky, Fragment d'un enseignement inconnu, Éditions Stock © 1949, p. 30.

[5] Ibid., p. 240.

Philo5
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