Pratiques philosophiques 

par François Brooks

juillet 2016

 

 

Exposition transdisciplinaire
(Manger)
L'Expérience Makwanda

L'avenir des arts et des sciences sera nécessairement transdisciplinaire ; ils seront liés comme ils le furent jadis par une foi religieuse désormais laïque. (...) Nietzsche a dit que Dieu est mort et on l'a cru parce que c'est un concept séduisant : il est profondément vrai et extrêmement faux.

(Makwanda, Transdisciplinarité et sculpture de soi, 2016.)

À l'époque de Jankélévitch, la philosophie ne servait à rien. Rien d'autre que d'être enseignée. Mariant art et philosophie, Makwanda ose se jucher sur les épaules des colosses pour ériger son oeuvre naissante. Déjà, sa dernière exposition nous avait étonnés. Le personnage sorti de la photo nous permettait de réaliser un vieux rêve : toucher le modèle en chair et en os. Celle-ci — (Manger) déploie l'art transdisciplinaire tel qu'aucun artiste ne l'avait encore jamais envisagé.
 Exposition d'art visuel : 33 tableaux
 Médiation culturelle en continu
 Banquet philosophique
 Shooting live Digère ton narcissisme
 Soirée performances et art vidéo
 Projection du film La grande bouffe
 Performance kinbaku (bondage japonais)
 Conférence d'universitaires
 Rencontre avec Basarab Nicolescu

Vernissage, banquet, atelier, exposition, performances, projection, rien n'a été épargné pour produire l'expérience esthétique telle que Basarab Nicolescu le propose à partir du concept de transdisciplinarité. Makwanda ouvre une ère nouvelle : il est la preuve vivante de l'utilité pratique de la philosophie. Une expérience sur deux semaines qui a ouvert l'essai artistique au-delà de la simple exposition. L'ère du spectacle est révolue ; désormais l'art doit se vivre.

Dès l'accueil, un ange bleu d'une extraordinaire beauté nous accueille. Elle nous offre la gerbe de fleurs. Bleues. Elle enchantera toute la soirée. L'ange ne parle pas ; elle est simplement là, voltige dans la pièce, présente, d'une présence exorbitante, nous enjoignant silencieusement à être présents aussi. Je plonge dans son regard tendre comme l'ablution nécessaire en entrant dans la maison. Son âme lave mon esprit ; la soirée naît.

On mange, on boit, on touche, on regarde, on bouge, on écoute, on réfléchit ; aucun sens n'est oublié. Réalité, fiction, beauté, comestibilité ; la pièce est remplie de personnages qui se présentent les uns aux autres comme si nous allions jouer un théâtre d'improvisation, libres de tout texte appris, mais bien conscients que rien de ce qu'on va dire n'ait pourtant été appris que de la culture qui nous habite. Soeur, collaboratrices, amis, père et mère, les personnages se présentent et ouvrent la conversation sur l'oeuvre de l'artiste qui a regroupé ses photos d'art sous les thèmes mythiques, philosophiques, psychologiques et alimentaires.

Makwanda n'a pas peur des couleurs ; aucune grisaille. Les photos sont d'une netteté surréaliste. Chaque objet est identifié sans hésitation, mais on sent bien pourtant que l'on aura le devoir de composer le sens nous même. L'artiste, c'est nous ; le travail commence. Ustensiles, mains, verres, sexe, fleurs, fruits, plats, miel, visages, piano et miroirs, quel sens donner ? Jamais images si claires n'ont voilé tant de sens comme des trésors à inventer. Comme en exergue, sous chaque tableau, des citations nous inspirent. « Crois-tu qu'en te faisant philosophe tu peux manger et boire de la même manière ? », questionne Épictète. « Il n'y a pas de faits, mais seulement des interprétations. », affirme Nietzsche. Diogène, Aristippe, Épicure, Freud ou Einstein nous interpellent aussi comme des semences pour l'esprit.

En vitrine, le masseur bande les yeux de son sujet qui triture un bloc de glaise en même temps que les mains se répandent sur son corps. Un bonze philosophe déambule sa présence. C'était Socrate. Je ne l'avais pas reconnu avant qu'il n'ouvre la bouche pour questionner. Un autre jour le performeur nu s'installera en vitrine comme nous aurions tous voulu le faire si nous avions ses qualités callipyges. Une autre fois, les croustilles et le lait répandus sur le sol comme pour semer la terre ; une autre fois on découvre le kinbaku sous l'angle de la tendresse. Les caméras se promènent ; c'est rassurant de savoir que ces merveilleux moments seront éternels.

Les semaines passent et se confirme le fait que nous avons vécu des moments inoubliables. Makwanda s'est fait une place dans notre mémoire qui n'a pas fini de nous inspirer.

Philo5
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