LES VRAIS PENSEURS 

Guy Sorman

Fayard © 1989

Edward O. Wilson

1929 — 2021

Biologiste et entomologiste américain
 

3. Origine de l'homme — Biogéocomportement

Fondateur de la sociobiologie en 1975. Il s'agit de « l'étude systématique des fondements biologiques du comportement ». Cette intrusion de la biologie dans les sciences sociales, allait relancer des débats souvent peu scientifiques sur le racisme, l'inné et l'acquis. Wilson précisera que, selon lui, le comportement est dû pour dix pour cent à la génétique, pour quatre-vingt-dix pour cent à l'environnement.

Diplômé en zoologie à Harvard, spécialisé dans les fourmis, expert en taxinomie, il organise des expéditions dans le Pacifique et au Mexique. Dans les années cinquante, Wilson découvre la phéromone, substance chimique utilisée par les fourmis pour communiquer. Puis, observant la répartition des espèces sur les archipels, il formule une théorie de la biogéographie : la survie des espèces est mieux assurée par de larges groupes interconnectés que par de petits groupes isolés.

Il obtiendra le prix Pulitzer.

Depuis 1973, il est curateur au musée de zoologie de Harvard.

La sociologie, c'est l'étude systématique des fondements biologiques du comportement

Tout comportement est génétique — ou presque — chez l'animal. Il l'est aussi « en partie chez l'homme ». Les animaux sont des robots. Plus ils sont « sociaux », comme les fourmis ou les termites, plus ils sont robotisés. Les fourmis n'apprennent pratiquement rien de leur vivant. Elles sont programmées à la naissance. L'évolution darwinienne a sélectionné chez ces fourmis les comportements sociaux complexes les plus favorables à leur multiplication. Ces comportements sont tous hérités et transmis par les gènes. Tout, chez eux, est inné et naturel.

Chez l'humain, le comportement est dû pour 10 % à la génétique, et pour 90 % à l'environnement. Ce que nous imaginons devoir à notre culture acquise est, en fait, inscrit dans notre patrimoine génétique. Wilson donne deux exemples considérés comme typiques des civilisations humaines : la prohibition de l'inceste et l'altruisme. L'inceste a été bloqué par l'évolution, et sa prohibition a été inscrite dans nos gènes ; ce n'est pas un choix de civilisation, mais un produit darwinien. La sélection naturelle aurait éliminé le gène de l'inceste parce que, selon Wilson, les espèces, y compris l'homme, ne sont rien d'autre que des machines à porter et à transmettre les gènes. Or, l'inceste conduit à la dégénérescence, à l'appauvrissement du patrimoine génétique. Quant à l'altruisme, explique Wilson, si l'on admet que chaque espèce porte les gènes d'un patrimoine collectif, le sacrifice de soi devient alors logique, il permet la prolifération de l'espèce.

« Il me paraît contradictoire, dit Wilson, d'admettre que le cerveau soit le produit de l'évolution et d'expliquer que ce cerveau a ensuite échappé à toute contrainte biologique. »

Il est vrai, reconnaît-il, que le cerveau humain est un organe sans équivalent dans les autres espèces, et qu'il nous a donné une certaine liberté de choix. Mais cette liberté peut aussi bien aboutir à des désastres. L'homme est en effet la seule espèce vivante qui a créé les moyens de se détruire. L'intelligence et l'individualisme non programmés, chez l'homme, menacent l'espèce même. « Heureusement, ajoute Wilson, notre héritage génétique a également sélectionné des comportements qui limitent ce risque d'autodestruction. » Elles canalisent l'individualisme destructeur en empêchant l'éclatement de la société humaine qui pourrait aboutir à l'extinction de l'espèce.

Dans l'analyse de Wilson, la question n'est donc pas de savoir si les religions sont vraies ou fausses : elles sont absolument nécessaires à la survie de l'homme, et l'aspiration religieuse est génétiquement programmée. C'est également dans nos gènes qu'il faudrait, selon lui, trouver les sources du Bien et du Mal : deux notions programmées qui canalisent nos instincts vers la procréation plutôt que vers l'extinction.

Notre liberté existe, mais ce que nous désirons s'inscrit dans un champ délimité par nos gènes.

Tous les hommes ne sont pas « égaux », mais ces différences n'impliquent aucune supériorité.

Comme pour toute théorie scientifique, la validité de la sociobiologie, me dit Wilson, sera mesurée par sa capacité de prévoir des phénomènes observables.

(Commentaire de Guy Sorman :) Wilson, il est vrai, ne sera jamais populaire. La gauche le hait parce qu'il doute de l'égalité naturelle entre les hommes. La droite aimerait le récupérer, mais ne peut accepter son athéisme.

Philo5
                Quelle source alimente votre esprit ?