LES VRAIS PENSEURS 

Guy Sorman

Fayard © 1989

René Thom

1923 — 2002

Mathématicien français
 

2. Science — Catastrophes

Doctorat en mathématiques en 1951, médaille Fields en 1958 pour ses travaux sur le « cobordisme », il s'oppose par la suite à cette conception formaliste des mathématiques. Au cours des années soixante, élabore la « théorie des catastrophes » (au sens de différence). Il s'agit là, selon ses termes, d'une théorie herméneutique qui s'efforce, face à n'importe quelle donnée expérimentale, de construire l'objet mathématique le plus simple qui puisse l'engendrer. Il s'élève vigoureusement contre l'importance grandissante donnée au hasard dans l'étude des phénomènes et la recherche des causalités.

La théorie des catastrophes : tout est prévisible, même les catastrophes

La science est en panne depuis vingt-cinq ans. Chaque savant travaille dans un camp qu'il a choisi en fonction de l'idée qu'il se fait, a priori, du monde et de lui-même. Prétendre que la matière ou la vie sont les produits du hasard, c'est se glorifier de son incompréhension, accepter que le monde ne soit pas intelligible. Il existe certainement des causes déterministes, mais nous ne les connaissons pas encore. L'attitude défaitiste des partisans du chaos coïncide avec une certaine stagnation du progrès scientifique ; les bénéfices du progrès s'épuisent. Ils ont cessé d'être significatifs, du moins à l'échelle de l'individu. Les biologistes sont fascinés comme des enfants par leurs instruments d'observation : « Ils se sont arrêtés de penser ». Là où il n'y a pas de réflexion théorique, la science n'est plus qu'une collection d'archives, un « cimetière de faits », rebelle à toute synthèse. Dans l'histoire des sciences, c'est l'invention préalable des concepts qui a permis de formuler les lois physiques. Depuis le XVIIe siècle, la science moderne n'a été rendue possible que dans la mesure où le progrès théorique a précédé l'expérimentation. La science moderne s'essouffle parce que les savants appellent vérité ce qui n'est que succès techniques.

Thom ajoute que l'enseignement des mathématiques devrait être arrêté vers les quinze ans. À ce stade, les enfants se séparent entre le cinq à dix pour cent qui peut comprendre les mathématiques complexes et les 90 % qui n'y parviendront jamais. Vouloir à tout prix inculquer les mathématiques modernes à des esprits qui y sont fermés est totalement inutile.

Pour faire démarrer le progrès, nous devons essayer d'approcher l'avant et l'après-Galilée, Galilée et Aristote, le quantitatif et le qualitatif, le sensible et l'intelligible, la science et la conscience. Tel est l'enjeu de la « Théorie » des catastrophes. Une catastrophe est la frontière, spatiale ou temporelle, qui sépare un état d'un autre : frontière entre l'extérieur et l'intérieur d'un objet, entre deux nations ennemies, en psychologie, entre la colère et le rire, etc. Cette théorie décrit, dans un catalogue aussi complet que possible, des situations où l'on passe de ce qui est instable à ce qui est stable. Sept modèles décrivent sept types de catastrophes élémentaires, et s'expriment par un théorème mathématique dit « théorème du déploiement universel ». La Théorie des catastrophes rend compte de situations qualitatives que les équations ne parviennent pas à décrire.

Philo5
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