040515

Les jobs du futur [1]

par Éric Grenier et Martine Rioux

Jobboom © 2004

Courtier en pollution

Décodeur interculturel 

Euthanalogue

Amnésiste

Réparateur d'implants

Protecteur de données personnelles

Éthicien en entreprise

* * *

Courtier en pollution

Selon Jim Dator, directeur du Centre d'études sur le futur de l'Université d'Hawaii, les grands problèmes environnementaux qui affligent la planète, comme le dérèglement du climat, ne pourront être longtemps passés en seconde priorité. Ils nous forceront à revoir notre mode de vie et, par conséquent, auront un impact majeur sur le travail. « Nous arrêterons de penser qu'il faut toujours plus de production, toujours plus de consommation pour nous épanouir, dit-il. Nous préoccuper des menaces environnementales qui nous guettent implique que nous devrons revoir fondamentalement la manière dont s'organisent les activités humaines. »

Nous sommes loin de cette révolution, mais les préoccupations environnementales commencent déjà à laisser leur trace dans le marché du travail. Ainsi apparaît timidement, depuis moins de deux ans, une variante du métier de courtier : le courtier en pollution. À la demande de ses clients – des entreprises, des organismes gouvernementaux, des sociétés d'État –, il achète ou vend des quotas de rejets de matières polluantes dans l'environnement fixés par les gouvernements.

En janvier 2005, une « Bourse de la pollution » verra le jour en Europe. Chacun des 22 pays membres de l'Union européenne déterminera la quantité maximale de CO2 rejetable dans l'atmosphère annuellement. Les entreprises industrielles de ces pays auront à leur tour des quotas de CO2 à respecter. Si elles n'y parviennent pas, elles pourront acheter, à travers un système d'échanges identique à celui de la Bourse, des quotas ou des parties de quotas à d'autres entreprises qui ne les auront pas tous utilisés.

À beaucoup plus petite échelle, une Bourse verte existe déjà en Grande-Bretagne depuis 2002. Plus près de nous, le Chicago Climate Exchange, à l'étape expérimentale depuis décembre dernier, se veut la première Bourse mondiale d'échanges de gaz à effet de serre. Des entreprises du Canada, des États-Unis et du Mexique se sont volontairement inscrites à ce programme. Elles se sont engagées à réduire leurs émissions de CO2 et, selon leur capacité à atteindre leurs objectifs, elles peuvent s'échanger des tonnes de gaz à effet de serre par l'entremise de courtiers « verts ».

Décodeur interculturel

La libre circulation des travailleurs spécialisés s'accentue à travers le monde. Selon le rapport annuel de l'Organisation de coopération et de développement économiques sur les migrations internationales de 2003, les États-Unis ont accueilli en 2002 trois millions de travailleurs étrangers temporaires. Dix ans plus tôt, il y en avait moins de un million. La demande est telle que l'Organisation mondiale du commerce a ouvert en mars dernier une ronde de négociations pour la « libéralisation des échanges de main-d'œuvre » afin qu'un plus grand nombre de travailleurs spécialisés puissent œuvrer partout où il y a des besoins de talents.

Or, gérer des équipes de travail de plus en plus multiculturelles et multiethniques constitue une lourde tâche pour un directeur des ressources humaines. « Nous voyons venir depuis longtemps, au sein des entreprises, de nouveaux postes exigeant des compétences interculturelles », explique Lucie Houle, présidente et directrice du développement de Archétypes-Inter, une entreprise de consultants en développement des compétences humanistes et interculturelles.

Le rôle de ces médiateurs ou « décodeurs interculturels » en entreprise consisterait à comprendre les composantes des différentes cultures du personnel en vue de favoriser des relations plus harmonieuses entre les membres des équipes. Ils assisteraient aussi les employés en poste à l'étranger pour leur assurer un niveau approprié de connaissance des cultures qu'ils auront à côtoyer.

Euthanalogue

Depuis avril 2002, certaines nations comme les Pays-Bas encadrent la pratique de l'euthanasie. Ailleurs, comme au Canada, l'idée de permettre à un malade incurable de mettre fin à ses jours avec l'aide de spécialistes médicaux fait son chemin. Dans l'affaire Sue Rodriguez, qui avait demandé à la Cour suprême le droit au suicide assisté au début des années 90, quatre des neuf juges, y compris le juge en chef, avaient reconnu la légitimité de l'euthanasie.

Le débat dont l'euthanasie fait l'objet ressemble étrangement à celui entourant l'avortement il y a 30 ans. Est-ce à dire que l'euthanasie connaîtra le même sort? Si c'est le cas, une nouvelle pratique médicale se développera vraisemblablement autour de cet acte médical.

L'euthanasie est un geste grave, irréparable, où des abus seraient tragiques. Aux Pays-Bas, les médecins qui ont obtenu le droit d'euthanasier doivent se soumettre à un protocole d'intervention complexe, qui fait appel à des connaissances en psychologie, en counseling, en gestion d'informations et en lecture de diagnostics. Et même en droit : ils doivent interpréter la loi et se demander si le patient a simplement une « fatigue de vivre » - l'euthanasie serait illégale dans ce cas - ou s'il veut mourir en toute connaissance de cause. D'où l'importance de « professionnaliser » la pratique.

Amnésiste

Des découvertes scientifiques permettront un jour de créer un traitement qui effacera en partie ou en totalité la mémoire. C'est ce que croit notamment le DaVinci Institute, un groupe américain de réflexion sur le futur qui compte parmi ses clients les entreprises Ford, IBM et Hewlett-Packard. Cette découverte pourrait mener, à terme, à la création d'un nouveau spécialiste médical : l'amnésiste.

« La thérapie par l'amnésie sera un jour largement répandue afin d'effacer certains éléments de la mémoire, pour traiter certains traumatismes mentaux, par exemple », soutient Thomas Frey, directeur de l'institut. Plus encore, l'amnésiste pourrait remplacer le bourreau dans les cas de peines de mort. Une sentence qui se révèlerait beaucoup moins barbare que l'électrocution ou l'injection mortelle. Thomas Frey juge que la question mérite d'être posée : « Si vous étiez membre d'un jury qui aurait à décider du sort d'un meurtrier, et que vous ayez à choisir entre l'envoyer à la chaise électrique ou le condamner à l'amnésie totale, quelle serait votre décision? »

Réparateur d'implants

Pour Jim Dator, directeur du Centre d'études sur le futur de l'Université d'Hawaii, il ne fait aucun doute que les nanotechnologies deviendront un grand stimulateur de changement dans nos vies. Le gouvernement américain consacrera 2,5 milliards de dollars à la recherche en nanotechnologie d'ici à 2005 pour créer des machines aussi petites que des cellules humaines. Comme des puces sous-cutanées qui amélioreraient les performances physiques de l'humain ou encore des implants hyperintelligents qui s'attaqueraient à différents maux du corps. Or, comme les lecteurs de DVD ou les motoneiges, ces implants cellulaires ne seront pas exempts de ratés. Selon une étude réalisée en 2003 à l'École des Sciences de la vie de l'Université de Londres, ces technologies seront si complexes que seuls des ultraspécialistes dans le domaine des nanotechnologies pourront en assurer l'entretien.

Protecteur de données personnelles

Il y a tellement d'informations personnelles qui circulent dans les réseaux informatiques et dans Internet qu'un protecteur de données sera sûrement utile dans quelques décennies. Il surveillera tout ce qui circule vous concernant et vous avertira (comme un système d'alarme!) de toute intrusion dans vos données personnelles et d'une utilisation non autorisée de votre identité. Ces informations circulant à une vitesse folle peuvent, en moins de temps qu'il ne le faut pour appuyer sur DELETE, détruire à tort - ou à raison - n'importe quelle réputation. Aussi Thomas Frey, du DaVinci Institute, croit-il que des « réparateurs de réputation » en ligne seront aussi nécessaires pour protéger et refaire, au besoin, l'image d'un client ternie à travers le Web.

Éthicien en entreprise

Le fondateur de Sun Microsystems, Bill Joy, qui se targue de toujours prêter une oreille à sa conscience éthique dans le cours de ses affaires, croit fermement que les innovations technologiques du prochain siècle menacent rien de moins que l'humanité. Dans un texte célèbre publié par le magazine Wired en août 2000, Joy estime que les entreprises qui commercialiseront leurs découvertes, en matière d'intelligence artificielle par exemple, auront de sérieuses questions éthiques à se poser avant de rendre accessibles certaines technologies. Peut-on, au nom de l'argent, mettre sur le marché une machine à contrôler la pensée d'autrui, se demande-t-il en substance au sujet de l'intelligence artificielle. Si oui, comment, où et quand?

Les questions quant à la responsabilité d'une entreprise en environnement, en politique ou en développement social appartiendront à l'éthicien au service de la compagnie, au même titre que les questions comptables relèvent du comptable et les questions juridiques, de l'avocat.

« Entre inventer des choses et les légitimer, il y a une marge, croit Thomas Frey, du DaVinci Institute. Les questions éthiques ont pris une grande place dans notre manière de concevoir l'avenir. Encore plus depuis que la possibilité de cloner l'être humain est apparue. Tous ceux qui ont à développer les nouvelles technologies devront en tenir compte. Nous ne sommes plus dans les années 50, les gens sont beaucoup mieux informés et posent plus de questions. Ils ne se laisseront pas imposer des innovations qui pourraient leur apparaître immorales. »


[1] Article publié dans le magazine JobBoom vol.5 no.5 du 15 mai 2004.
Extrait de : http://www.jobboom.com/magazine/26-06-texte.html (page consultée le 13 janvier 2010).


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