Textes références

Hélène Bourassa

1983-04-01

 

Québec Science © 1983

L'autre maladie du sucre[1]

SOMMAIRE

Le cas de Marie

Maladie ou symptôme ?

Des malaises personnalisés

À cheval sur le 50

Coupable, le pancréas ?

La foire des traitements

Un mal méconnu

L'influence du corps sur l'esprit

Pour une juste reconnaissance

Or, il se trouve que le cerveau a une « dent sucrée ».

Le cas de Marie

Marie a 37 ans et elle travaille dans un milieu hospitalier. Depuis dix ans, elle fait « la montagne russe » : au cours d'une même journée, elle passe d'un état de bien-être et d'exubérance à celui de fatigue et d'irritabilité. Quand elle s'engage sur la pente descendante, elle ressent une certaine lassitude, accompagnée d'une difficulté à fixer son attention, et sa vue se brouille. Suit irrémédiablement une période d'irritabilité pendant laquelle elle subit agitation, tremblement des mains, accélération du rythme cardiaque et accroissement de la transpiration. Et cette sensation de creux dans l'estomac...

Comme cela arrive à peu près à l'heure de la pause-café, Marie court se procurer ledit café pour se « remonter » et une barre de chocolat pour combler le vide. Comme par enchantement, tous ses malaises disparaissent et elle retrouve rapidement son enthousiasme et son énergie... pour un certain temps, puisqu'inexorablement le scénario a le temps de se répéter avant l'heure du repas suivant.

Marie, bien sûr, a consulté son médecin mais, particulièrement préoccupée par cette fatigue qui l'accable, c'est de ce problème surtout qu'elle lui a parlé. Les résultats d'examens de routine étant tous normaux, il lui a prescrit des vitamines en lui disant de ne pas s'inquiéter.

Et puis, n'est ce pas, c'est un peu normal d'être fatiguée quand on travaille et qu'on a deux enfants à la maison. Et pourquoi se soucier du café et du chocolat quand ce geste est répandu et socialement accepté ? C'est ce que Marie pense. C'est également ce que pense son médecin.

Marie enfin consulte une chiropraticienne pour une autre raison. Soupçonnant le problème, cette dernière lui suggère de voir un médecin. Ses doutes sont justifiés : Marie souffre d'hypoglycémie fonctionnelle, ce problème qui, selon certains, touche 90 pour cent de la population ou, selon d'autres, seulement 10 pour cent, ce qui représente tout de même 600 000 Québécois.

Maladie ou symptôme ?

La glycémie se définit comme le taux de sucre, et plus précisément le taux de glucose, dans le sang. Le maintien de ce taux de glucose entre des limites normales est une caractéristique fondamentale d'un organisme sain et, en particulier, il reflète l'équilibre entre deux groupes de phénomènes biologiques : ceux qui fournissent le glucose au sang et ceux qui l'en extraient. C'est la balance glycémique (voir Tableau 1).

Tableau 1
Balance glycémique :
les principaux facteurs qui font varier le taux de sucre sanguin
  +
Facteurs
alimentaires
ingestion et absorption d'aliments au niveau de l'intestin (les hydrates de carbone sont ceux qui influencent le plus rapidement la glycémie) malnutrition ou sous-alimentation
Facteurs
hormonaux
sous l'influence d'hormones telles que
— l'adrénaline (surrénales)
— le glucagon (pancréas)
— la cortisone (surrénales)
— l'hormone de croissance (hypophyse) :

transformation du glycogène entreposé dans le foie et les muscles en glucose sanguin
(4 à 12 heures après un repas s'il n'y a pas eu absorption d'autres aliments)
sous la seule influence de l'insuline (pancréas) :
transformation du glucose sanguin en glycogène pour fins d'entreposage dans le foie et les muscles

(1 à 3 heures après un repas)
Exercice
physique
premièrement, transformation du glycogène entreposé dans les muscles en glucose sanguin deuxièmement, utilisation de ce glucose par différents organes et par les muscles finalement (après l'exercice), reformation de glycogène à partir du glucose en circulation
Consommation   utilisation du glucose par les muscles et les différents organes du corps, en particulier le cerveau

Qu'un seul rouage de ce processus soit incapable de remplir sa tâche et la glycémie peut sortir des limites normales. C'est alors l'hyperglycémie — qui est une manifestation du diabète — ou l'hypoglycémie, c'est-à-dire un abaissement anormal de ce taux de glucose dans le sang veineux.

Or, il se trouve que le cerveau a une « dent sucrée ». Même qu'il est capricieux ! En effet, il ne se nourrit normalement que de glucose et d'oxygène. Et, comble d'imprévoyance, il ne fait aucune provision, laissant cette responsabilité au foie et aux muscles. Il lui faut subir un jeûne de 72 heures, en général, avant de commencer à accepter des substituts du glucose. Il sera, avec le système nerveux, le premier à être affecté par une baisse du taux de glucose dans le sang, ce qui occasionnera léthargie, bâillements, maux de tête, étourdissements, etc.

L'hypoglycémie peut être organique, c'est-à-dire causée par une lésion d'un organe impliqué dans la balance glycémique, le pancréas ou le foie, par exemple. Ou bien, elle peut être fonctionnelle, c'est-à-dire due à toute autre cause qu'organique (voir Tableau 2).

Tableau 2
Les deux grandes catégories d'hypoglycémie
  Hypoglycémie organique ou de jeûne Hypoglycémie fonctionnelle ou réactionnelle
de jeûne postprandiale
(reliée à l'ingestion d'aliments)
Lésion anatomique d'un organe oui non non
Exemples de causes

tumeur du pancréas
(sécrétion massive d'insuline)

maladie du foie
(par exemple, cirrhose du foie qui ralentit et diminue la transformation du glycogène en glucose)

désordre endocrinien
(par exemple, lésion des glandes surrénales qui réduit la sécrétion d'adrénaline)

activité musculaire excessive

jeûne prolongé

résection partielle de l'estomac
(passage trop rapide des aliments à l'intestin, entraînant une accélération de leur absorption et une sécrétion massive d'insuline)

irritabilité excessive du pancréas entraînant une sécrétion massive d'insuline

cause inconnue
(idiopathique)

Lien de cause à effet entre l'ingestion d'aliments et l'hypoglycémie jamais parfois toujours
Durée de la période d'hypoglycémie en général, prolongée variable en général, courte
Degré de gravité important variable généralement moins important parce que de courte durée
Mise en évidence du problème

histoire de cas

évaluation de la glycémie à jeun

et parfois test d'hyperglycémie provoquée

histoire de cas

évaluation de la glycémie

histoire de cas

test d'hyperglycémie provoquée
(incluant une évaluation de la glycémie à jeun)

Également

pulsologie chinoise
(acupuncteurs)

kinésiologie appliquée
(certains chiropraticiens)

Approche thérapeutique

traitement de la lésion organique

diétothérapie

traitement de la cause

diétothérapie

hygiène de vie

exercice

sommeil

réduction des stimulants

S'insèrent également, mais souvent de façon empirique :

l'acupuncture

la chiropraxie

la médication naturelle

la massothérapie

toutes les méthodes de relaxation

Présentée de cette façon, l'hypoglycémie semble sans équivoque quant à sa nature ; il ne s'agit pas d'une maladie : « L'hypoglycémie est l'un des éléments d'un tableau clinique », selon Antoine Pellicano, gastroentérologue à l'Hôtel-Dieu de Sherbrooke. « L'hypoglycémie est un symptôme d'un malfonctionnement de notre corps », selon Serge Thérien, pédiatre au Centre hospitalier de l'Université de Sherbrooke (C.H.U.S.).

Mais le type d'hypoglycémie dont souffre Marie semble parfois échapper à la règle. Ainsi, Pavel Hamet, endocrinologue à l'Hôtel-Dieu de Montréal, déclarait sur les ondes de Radio-Canada qu'« il s'agit d'une maladie parce qu'elle s'accompagne d'une symptomatologie ».

Alors, nous voilà avec un symptôme qui peut lui-même engendrer des symptômes !

Des malaises personnalisés

Diagnostiquer une hypoglycémie fonctionnelle n'est pas chose aisée en raison de la diversité des troubles qu'elle occasionne. « Le médecin doit d'abord soupçonner l'hypoglycémie avant de faire passer des examens de laboratoire », précise André Nadeau, chef du département d'endocrinologie du Centre hospitalier de l'université Laval (C.H.U.L.). Et les indices peuvent être fournis « par une bonne histoire de cas », disent gastro-entérologues et endocrinologues. Mais ce n'est pas si simple.

« Souvent, les patients ont de la difficulté à préciser de quels malaises ils souffrent exactement et à les relier à une ingestion de sucre », explique Léonida Gagnon, responsable de la diétothérapie au C.H.U.L.

Pour Serge Thérien, le tableau peut carrément devenir confus. « En fait, l'hypoglycémie est une condition qui devient terriblement personnalisée dans la mesure où chaque organisme cède là où le maillon de la chaîne est le plus faible. » Et pour ajouter à la confusion, le patient consulte d'abord pour ce maillon. Pour Marie, c'était la fatigue. Pour Gérald, les vertiges. Pour Jocelyne, l'obésité.

Reprenons l'histoire de Marie. Pour une raison ou une autre, son (et ses) médecins n'avaient pas soupçonné le problème quand, pour une toute autre cause, elle a vu une chiropraticienne qui l'a référée à un médecin pour confirmation du diagnostic. Cette confirmation, elle s'obtient par un test permettant d'évaluer la glycémie à partir d'un ou plusieurs prélèvements sanguins. Si un prélèvement effectué à jeun peut être suffisant pour détecter une hypoglycémie qui se manifeste à jeun, il en faut plusieurs pour une hypoglycémie fonctionnelle, qui est reliée à l'ingestion d'aliments.

Le test d'hyperglycémie provoquée commence par l'absorption (orale en général) d'une substance sucrée très concentrée, à la suite de quoi on procède à des prélèvements sanguins périodiques pour évaluer la glycémie. Le test de Marie a duré cinq heures. Fait à jeun, le premier prélèvement indique 85 mg de glucose / 100 ml de sang, donc entre les limites normales qui sont 80 et 100 mg. Trente minutes après l'absorption de la solution sucrée, la glycémie est à 137 mg et après une heure, à 97 mg. Une heure et demie plus tard, elle est descendue à 74 mg et, après trois heures, à 51 mg. La glycémie commence alors à remonter pour atteindre 88 mg après cinq heures.

À cheval sur le 50

Marie est un cas délicat : elle atteint, mais ne franchit pas la frontière de 50 mg / 100 ml, « un chiffre magique fort arbitraire », comme se plaît à le qualifier André Nadeau. Nicolas Kandalaft, endocrinologue au C.H.U.S. est plus radical. « Nous n'acceptons pas l'appellation d'hypoglycémie si la glycémie n'est pas inférieure à 50 mg / 100 ml », tranche-t-il. Le fossé qui sépare les intervenants tient en grande partie au respect ou au refus de cette frontière.

Pour ceux qui acceptent de reconnaître qu'il y a hypoglycémie même si le seuil du 50 mg n'est pas atteint, il s'agit de donner priorité aux symptômes qui accompagnent la chute de la glycémie. Ainsi, commente Serge Thérien du C.H.U.S., « une personne qui, au cours du test, note ses symptômes peut dire à quel moment elle reconnaît les malaises qui l'ont amenée à consulter. Les relevés biochimiques, de leur côté, peuvent, par exemple, indiquer une glycémie qui normalement se maintient à 100 mg et qui descend à 69 mg ; si cette chute concorde dans le temps avec l'apparition des malaises, il s'agit, pour cette personne-là, d'hypoglycémie fonctionnelle. »

Serge Thérien est loin d'être le seul à penser ainsi. Sous l'égide d'un médecin généraliste, d'une acupunctrice, d'une massothérapeute et d'une personne diabétique et hypoglycémique, l'Association des hypoglycémiques du Québec a vu le jour l'automne dernier et n'entend pas tenir compte de la frontière. « Entre les valeurs de 50 et 90 mg, dit Pauline Sévigny, l'acupunctrice, il y a une catégorie de gens dont la médecine d'ici ne s'occupe pas suffisamment. Et pourtant, ces gens-là ressentent des malaises réels. »

Dans la médecine officielle, la position la plus répandue, comme on peut le constater dans la documentation scientifique, est celle du respect de la frontière du 50 mg. On peut s'interroger sur une attitude aussi stricte devant le seuil du 50 mg quand on sait que la préparation du patient pour le test d'hyperglycémie provoquée varie d'un hôpital à l'autre. Certains médecins exigent que le test se fasse dans des conditions « normalisées », c'est-à-dire que le patient doit arrêter de consommer sucres concentrés et stimulants, tels que café et cigarettes, durant les trois jours qui le précèdent. D'autres recommandent au contraire d'augmenter la consommation de sucre pendant ces trois jours. Et les autres prennent le patient tel qu'il est.

Coupable, le pancréas ?

Une telle divergence nous inciterait à faire pencher la balance du côté de ceux qui ont décidé de ne pas respecter la frontière du 50 mg. Mais ces derniers pèchent eux aussi par manque de rigueur lorsqu'ils disent que les hypoglycémiques deviendront tous des diabétiques.

En effet, seulement certains cas d'hypoglycémie mèneront au diabète. Il existe d'ailleurs un test qui s'effectue simultanément à l'évaluation de la glycémie et qui permet de déceler les cas qui ont une tendance au diabète. C'est l'évaluation du taux d'insuline sanguin.

L'insuline, cette hormone sécrétée par le pancréas, diminue le taux de glucose dans le sang en augmentant son utilisation par les tissus. Normalement, la sécrétion d'insuline commence cinq à dix minutes après l'ingestion d'aliments sucrés, avec un pic à 30 minutes. Dans certains cas d'hypoglycémie, la sécrétion peut accuser un retard de 60 ou même 90 minutes, puis se maintenir à un niveau très élevé, même si la glycémie revient à la normale. On parle alors de retard de réponse insulinique ou de résistance... et on peut suspecter une tendance au diabète.

Dans d'autres cas, le pic de sécrétion d'insuline apparaît après 30 minutes, avec une amplitude fortement exagérée, mais il est de courte durée. « Nous sommes alors en face d'une situation plus ou moins bien comprise, me dit Nicolas Kandalaft. Il y a relâche de la sécrétion d'insuline et la glycémie chute. S'agit-il d'un désordre du système nerveux ? S'agit-il de gens sensibles de façon génétique à l'absorption d'aliments très sucrés ? »

Pour André Nadeau, ce sont des « hyper-réacteurs » des gens que tout affecte de façon exagérée. « Est-ce parce que, dès l'enfance, on a forcé ces gens à adopter un régime de vie dit « normal » alors qu'ils avaient des besoins fort différents ? »

Une thèse très populaire dans les mouvements marginaux veut qu'une alimentation très riche en sucres concentrés et raffinés soit à l'origine de l'hypoglycémie fonctionnelle. « Il ne faut pas mêler les cartes, rétorque Nicolas Kandalaft. Une telle alimentation va affecter une certaine partie de la population qui y est plus sensible. »

Mais quels sont-ils, ces sucres concentrés ? Le miel et la mélasse en sont de bons exemples. Quant au sucre blanc, il est concentré et raffiné. Ces aliments contiennent une concentration élevée de sucre qui est assimilé très rapidement par l'organisme, au contraire des sucres complexes, tels que les céréales, les féculents, qui sont assimilés lentement car l'organisme doit isoler lui-même le sucre des autres composantes de ces aliments, ce qui ralentit le processus d'absorption.

Lorsque le pancréas fonctionne normalement, la sécrétion d'insuline est proportionnelle à la concentration de glucose dans le sang. Une assimilation massive et rapide de sucre entraînera donc une production plus importante d'insuline. Ainsi, le taux de glucose s'élèvera rapidement, puis s'abaissera également rapidement. Si le pancréas fonctionne mal, l'insuline pourra être sécrétée en quantité exagérée ; dans ce cas, il y aura diminution du taux de glucose dans le sang, donc hypoglycémie... et un besoin de sucre !

La foire des traitements

« Comment ça je ne peux plus manger de sucre ? Mais j'en manque ! » demandent invariablement les patients référés aux services de diététique. Pour ces gens, il s'agit d'une véritable révolution alimentaire : on leur demande en effet d'arrêter de consommer ce qu'ils allaient chercher de façon instinctive, le sucre, celui qui renverse rapidement l'hypoglycémie et fait disparaître les symptômes qui l'accompagnent... mais qui enclenche malheureusement un cercle vicieux.

Chez plusieurs personnes, cette simple mesure est suffisante. Et les autres ? Tout dépend de la personne-ressource consultée. Dans le circuit médical traditionnel, on se reposera principalement sur une correction du régime alimentaire. Premièrement, élimination de la majorité des sucres à assimilation rapide et de l'alcool (qui nuit à la transformation du glycogène en glucose lorsque le besoin se fait sentir). Deuxièmement, augmentation de la proportion des protéines et des fibres alimentaires. Troisièmement, augmentation de la fréquence des repas, afin de relever doucement la glycémie au moment où elle commence à chuter.

Parfois, on suggérera d'éliminer café et cigarettes, deux stimulants qui ne sont pas sans exacerber la réactivité de multiples systèmes de l'organisme. C'est un fait : les hypoglycémiques sont souvent de grands fumeurs et des consommateurs invétérés de café. Ces deux adjuvants, qui ont pour mission de les « remonter » lorsque la glycémie chute, agissent également sur le pancréas. On voit d'ici le résultat : ils retombent en état d'hypoglycémie.

Certains médecins essaient différents médicaments. Dans les circuits parallèles, on essaie des suppléments vitaminiques et des concentrés d'organes tels que le foie et le pancréas. Et de part et d'autre, on se regarde avec méfiance, ne sachant pas trop ce que l'autre fait... mais écopant de ses échecs comme patients.

Certains prônent la désintoxication par les plantes ou la rééquilibration énergétique du corps et de l'esprit, ou la relaxation.

D'autres comptent sur l'exercice qui permet la mobilisation du glycogène mis en réserve dans les muscles. Mais l'exercice est hypoglycémiant ! rétorquent les autres. En effet, si l'exercice favorise une transformation du glycogène en glucose et, par le fait même, une élévation de la glycémie dont bénéficie par ricochet le système nerveux, il entraîne sa chute lorsqu'il est terminé, puisque les muscles refont leur provision de glycogène à partir du glucose en circulation.

Bref, c'est une véritable « foire empirique » où se côtoient compétences de tout acabit.

Un mal méconnu

Récupérée par les acupuncteurs, les chiropraticiens, les conseillers en médication naturelle, les naturopathes, les massothérapeutes, l'hypoglycémie est par contre délaissée par la médecine occidentale traditionnelle.

« La médecine conventionnelle s'en préoccupe peu, reconnaît André Nadeau. Mais je crois que c'est une conséquence du fait qu'un peu tout le monde s'en occupe : ça crée une mauvaise presse dans le milieu médical. »

En fait, les médecins connaissent mal l'hypoglycémie fonctionnelle. Parmi les médecins consultés, plusieurs se sont carrément trompés dans leurs explications, certains me disant que le test d'hyperglycémie provoquée ne servait qu'à déceler le diabète, d'autres affirmant que l'hypoglycémie se diagnostiquait par une seule prise de sang à jeun. Et je n'ai pas envie de passer sous silence que plusieurs patients sont partis, les résultats de leur test sous le bras, avec pour mandat d'aller se les faire expliquer ailleurs, le médecin ayant avoué ne pas savoir qu'en faire.

Et que dire de cet autre médecin qui, après m'avoir lancé « l'hypoglycémie, c'est une mode ! » m'a dit « ... et puis, ce n'est pas avec un test d'hyperglycémie provoquée qu'on la diagnostique. » !

Mais le dessert, c'est une collègue de travail qui me l'a offert. Le café d'une main, la cigarette de l'autre, elle m'a annoncé qu'elle souffrait d'hypoglycémie et que son médecin lui avait dit de manger du sucre en abondance, « c'est bien normal, j'en manque ! » On ne lui a donné aucune explication, aucune information pertinente, et elle n'a même pas été référée en diététique !

La presse et l'hypoglycémie

« L'hypoglycémie a mauvaise presse, me lance, avec un clin d'oeil, André Nadeau, du C.H.U.L. Ce qui en fait le problème le plus galvaudé actuellement. »

La presse dont parle André Nadeau, c'est la presse de vulgarisation du sujet. La plupart des documents concernés sont des livres américains, mais en 1981, un représentant québécois voyait le jour.

Le mal du sucre s'appuie sur des documents qui font grincer des dents dans les milieux médicaux officiels, et il en réalise en quelque sorte une synthèse. L'auteure, Danièle Starenkyj, a choisi de ne pas confronter ses références aux sources médicales reconnues.

C'est dommage. Le lecteur y aurait gagné une vision plus critique de l'ampleur donnée au problème. Il saurait dès le départ ce qu'est l'hypoglycémie et pourquoi l'importance qu'on lui accorde varie autant d'un intervenant à l'autre.

L'influence du corps sur l'esprit

L'hypoglycémie peut aussi avoir des répercussions psychologiques. À ce chapitre, l'expérience du groupe Renaître mérite d'être citée. Ce groupe sherbrookois offre ses services à 140 personnes souffrant de phobies diverses, à des degrés variés. Il y a deux ans, un membre, après avoir modifié son alimentation à la suite du diagnostic d'hypoglycémie, voit sa condition psychologique s'améliorer énormément.

Très sceptique, la responsable du groupe, Monique Croteau, a fait son enquête auprès du médecin de ce membre qui lui confirma ces résultats. Mais, précisa-t-il, « tous les gens qui sont phobiques ne sont pas nécessairement hypoglycémiques... et tous les hypoglycémiques ne sont pas nécessairement phobiques. »

Piqués par la curiosité, sept membres décidèrent d'aller consulter sept médecins différents. Résultat : sept diagnostics d'hypoglycémie (glycémies allant de 37 à 55 mg / 100 ml). Cela incita Monique Croteau à organiser des conférences avec une diététiste et un médecin. Celui-ci élabora un questionnaire afin d'identifier les membres les plus susceptibles de présenter de l'hypoglycémie.

En octobre dernier, 30 pour cent des membres avaient consulté un médecin et, sauf deux exceptions, tous présentaient de l'hypoglycémie ; 20 pour cent de plus avaient décidé de corriger leur alimentation de toute façon.

Devant cette expérience, Jean-Pierre Bernatchez, psychiatre au C.H.U.L., réagit avec prudence : « Tôt ou tard, les phobies peuvent refaire irruption. Il faut compter au moins six mois avant d'affirmer qu'elles ont un lien avec de mauvaises habitudes de vie. »

La responsable du groupe est encore plus prudente. Pour elle, il faut attendre 12 à 18 mois avant qu'un changement d'habitudes de vie fasse ses preuves. Ces changements, joints à des rencontres de groupes hebdomadaires, des activités et des conférences qui touchent les phobiques de près, donnent des résultats jugés plus que satisfaisants.

Mais, car il y a un mais, « les gens s'accrochent à l'hypoglycémie et oublient malheureusement leur rythme et le reste de leurs problèmes, déplore Monique Croteau. Mais quand ça fait 18 ans que tu souffres, quand tu as payé des thérapies à 35 $ l'heure pendant des années et que tu découvres une façon simple de t'aider, tu es tellement content que tu es porté à oublier que ton problème n'est pas uniquement celui de l'hypoglycémie. » Le risque est là. Faire porter tout le poids de ses problèmes à l'hypoglycémie.

Et il y en a un autre. C'est d'en venir à penser que tout le monde souffre d'hypoglycémie. Et ce risque existe pour les patients comme pour les médecins. Comme le souligne Jacques Hébert du C.H.U.L, « quand un médecin a une spécialité ou qu'il vient de poser un diagnostic qui l'a particulièrement impressionné, il est porté à inverser l'ordre logique de l'examen du patient qui veut que l'on aille du général au spécifique ! »

Pour une juste reconnaissance

L'expérience du groupe Renaître fait également ressortir la principale revendication de ceux qui souhaitent une plus grande reconnaissance de l'hypoglycémie : celle d'une acceptation accrue de l'influence du corps sur l'esprit.

À ce moment-là, c'est de la reconnaissance de toute forme d'hypoglycémie dont il faut parler. Il est assez troublant de lire dans un textbook de psychiatrie, celui de Freedman et de Kaplan, que lors d'une étude menée auprès de 91 patients de la clinique Mayo présentant une hypoglycémie causée par une tumeur du pancréas, le premier diagnostic posé était celui d'épilepsie pour quatorze patients, de psychose pour six, de syndrome psychodépressif pour six, d'hystérie pour six, d'alcoolisme pour deux et de tumeur cérébrale pour deux... soit 40 pour cent des cas !

Ce constat numérique et celui du groupe Renaître laissent songeur. Quand les endocrinologues parlent de dix pour cent de la population touchée par l'hypoglycémie, combien de patients tels que Marie leur ont échappé ?

D'autre part, quand les responsables de l'Association des hypoglycémiques du Québec (et ils ne sont pas les seuls) parlent d'hypoglycémie lorsque la glycémie est inférieure à 90 mg / 100 ml, généralisant par conséquent le problème à une quasi-totalité de la population, ne nuisent-ils pas à la crédibilité de leur mouvement ?

Mais enfin, entre la mode et la négligence, n'y a-t-il pas une place pour une juste reconnaissance de l'hypoglycémie fonctionnelle ?

[1] Hélène Bourassa, L'autre maladie du sucre, Québec Science, Volume 21, No. 8 © avril 1983, pp. 32-37.

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