101015

Liu Xiaobo, Voltaire et Machiavel

par François Brooks

C'est à celui qui domine sur les esprits par la force de la vérité, non à ceux qui font des esclaves par la violence [...], que nous devons nos respects.

Voltaire, Douzième lettre anglaise (Lettres philosophiques), 1734

Il faut compter pour rien la réputation de sanguinaire, quand cela devient utile pour maintenir la paix et la fidélité dans un État. Car un Prince se trouvera plus humain en faisant un petit nombre d'exemples nécessaires, que ceux qui, par trop d'indulgence, encouragent les désordres qui entraînent avec eux les meurtres et les brigandages.

Machiavel, Le Prince, 1513

Actualité

Liu Xiaobo [prononcer Lioù Tchiăou Bwā] prend le devant de la scène journalistique ces jours-ci. Le très illustre Comité Nobel norvégien vient de lui attribuer le Prix Nobel de la paix. Le gouvernement chinois proteste énergiquement affirmant que cette distinction va à l'encontre du principe même de ce prix. Doit-on célébrer ou réprouver ? C'est selon...

D'abord, qui est Liu Xiaobo ? Intellectuel dissident chinois né en 1955, il obtient son doctorat à l'Université de Pékin en 1988. Chercheur invité à l'Université d'Oslo, l'Université d'Hawaï et l'Université Columbia, il revient à Pékin pour se joindre aux grévistes de la faim en solidarité avec les étudiants. En 1996, il est condamné à trois ans de travaux forcés pour ses positions critiques envers le Parti communiste chinois. Il devient ensuite président de la Fondation nationale pour la démocratie (National Endowment for Democracy), organisme majoritairement financé par le ministère des Affaires étrangères des États-Unis. Il a soutenu, entre autres, l'administration Bush pour son rôle visant à imposer la démocratie par la guerre en Irak.

En décembre 2008, il rédige l'ébauche de la Charte 08, manifeste signé par 10 000 personnes, dont 303 intellectuels chinois et activistes pour promouvoir la réforme politique et le Mouvement démocratique chinois dans la République populaire de Chine. Il est depuis incarcéré sous l'accusation d'« incitation à la subversion du pouvoir de l'État ». [1].

Questions philosophiques suscitées

Philosophes et concepts pertinents

Si on se range du côté de Voltaire, illustre philosophe qui a donné au concept de tolérance ses lettres de noblesse, il faut applaudir. Il affirme que nous devons assurer la liberté d'expression à tous. On se souviendra de l'affaire Calas où, en 1761, la magistrature française s'était enlisée dans l'ignoble condamnation d'un père de famille protestant torturé à mort pour le meurtre de son fils alors qu'il s'était suicidé. Voltaire avait livré son plus éloquent plaidoyer en faveur de la tolérance dans un écrit intitulé justement Traité sur la tolérance. Mais quand Voltaire parle de tolérance, il pense aux opinions personnelles ; mais pense-t-il aussi à la liberté politique et à la démocratie ? Ne disait-il pas que « La paix vaut encore mieux que la vérité » ?

Si on considère plutôt Machiavel, avec son concept de ruse politique, la Raison d'État justifie les dirigeants de limiter la liberté d'expression pour la stabilité politique et la concorde. On peut l'illustrer par la question suivante : si pour sauver une population de 500 personnes en danger vous deviez en tuer trois, le feriez-vous ? Mais comment savoir si un dissident met véritablement en danger ses concitoyens ?

Liu Xiaobo est privé de liberté, mais il ne semble pas que sa vie soit en danger. On peut se demander pourquoi cet intellectuel, honoré à l'étranger, cherche-t-il à renverser le pouvoir en Chine alors qu'il pourrait aussi bien vivre ailleurs dans le système politique de son choix.

Lien avec le prix Nobel de la paix

À mesure que la Chine gagne du terrain dans la course au capitalisme industriel, l'Occident semble vouloir s'ingérer dans les affaires politiques chinoises. Nous savons que ce pays d'un milliard trois cents millions d'habitants est géré d'une manière différente de nos (relativement) petits pays dits « démocratiques ». Avons-nous peur qu'un jour, le système politique chinois s'installe en Occident ? Pourquoi Liu Xiaobo s'est-il vu décerner le Prix Nobel de la paix alors que la Chine n'est pas en guerre ? Ce dissident a-t-il provoqué la paix dans une mesure équivalente à Gandhi ? Est-ce que la démocratie, telle que les États-Unis la favorisent, est un gage de paix et d'harmonie sociale ?

Pour aller plus loin

[1] Liu Xiaobo, Wikipédia (page consultée le 14 octobre 2010 : http://fr.wikipedia.org/wiki/Liu_Xiaobo).

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