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Les Deux moteurs de l'action

par François Brooks

Toute action a besoin de deux moteurs : la poussée et l'attraction.

F. B.

 Depuis belle lurette, nous savons ce que les animaux souffrent avant d'arriver dans nos assiettes. Pourtant, nous refusons de considérer plus attentivement l'éventualité d'exclure cette souffrance de notre alimentation. En bons chrétiens, nous avons une pensée pour ces bêtes malheureuses, mais nous oublions vite leur drame quand le délicieux fumet du poulet grillé excite nos papilles. Notre humanité nous attire vers la noble valeur de stopper toute douleur, mais rien ne nous pousse efficacement à changer les choses.

Ce petit article d'Ève Dumas, paru dans La Presse du 20 septembre pourrait-il apporter le coup de pouce qui manque ?

Une vérité inopportune

Meat the truth s'intéresse aux effets de notre consommation de viande sur l'environnement. Le documentaire néerlandais de 2008 suit la chef du Parti pour les animaux, Marianne Thieme. Cette dernière s'appuie principalement sur le fameux rapport de la FAO (Food and Agriculture Organization des Nations unies) publié en 2006. Dans ce rapport, on apprenait que l'élevage de bétail était responsable de 18% des gaz à effet de serre, soit 5% de plus que tous les moyens de transport réunis. Pourquoi des films comme An Inconvénient Truth, d'Al Gore, ont-ils occulté une des plus importantes causes des changements climatiques ? demande la conférencière. La question est posée à plusieurs spécialistes, dont le plus convaincant est peut-être Howard F. Lyman (le Mad Cowboy), ancien éleveur de bétail devenu végétalien après avoir pris conscience des conséquences de la production de viande sur la santé de l'être humain, de l'environnement et des animaux. On sent le discours des défenseurs des droits des animaux sous l'argumentaire écologique et éthique, mais celui-ci est beaucoup moins appuyé et tendancieux que dans le film Earthlings, par exemple. Le sens de l'humour de la présentatrice et les animations aident à faire passer la pilule.

Jeremy Bentham (1748-1832) fut le premier à reconnaître, au début du XIXe siècle le droit des animaux. Pour lui, ce n'est pas l'intelligence (la capacité d'intellection) qui prime, mais la sujétion à la souffrance : « La question n'est pas « Peuvent-ils raisonner ? » ni « Peuvent-ils parler ? », mais « Peuvent-ils souffrir ? » nous dit-il. Peter Singer (philosophe éthicien australien né en 1946) a poursuivi dans le même sens avec un petit ouvrage très convaincant intitulé Comment vivre avec les animaux ? Mais il semble que la souffrance animale ait eu bien peu de poids pour nous inciter à changer nos habitudes alimentaires. Ce seul moteur ne suffit pas à engager notre adhésion collective dans l'action.

Le consensus actuel autour de l'engagement écologique  pourrait bien être le deuxième moteur incontournable. Et ceci, en accord avec Bentham dont l'utilitarisme montre que la culpabilisation (qu'il appelle la pureté) n'est qu'un des sept moteurs du plaisir. Quand on analyse son arithmétique des plaisirs, manger des animaux n'est pas « rentable » sous un autre aspect incontournable : la durée. Nous savons que l'avenir de la planète est en jeu. Manger des animaux est un plaisir certain mais il pourrait être de courte durée si cette coutume bouleversait l'équilibre planétaire. Avons-nous trouvé le deuxième moteur indispensable à l'action que la seule pureté (ne pas faire souffrir) ne pouvait à elle seule nous motiver à agir ?

Philo5
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