061126

Liberté tyrannique ou dogmatisme reposant

par François Brooks

Parce qu'il se sentait faible et démuni devant l'immensité, l'humain s'est créé des dieux aux multiples pouvoirs. Il poussa son besoin de transcendance jusqu'à concevoir un Dieu unique, Super-Dieu possédant les attributs les plus extraordinaires. Il y avait là comme un programme pour l'humain : se regarder inlassablement dans ce miroir fantastique et essayer d'y ressembler.

 

À mesure que les sciences et techniques se sont développées, les magies surnaturelles sont devenues courantes et plus personne aujourd'hui ne s'étonne que l'on s'arrache à la mort quotidiennement. L'ubiquité par nos voitures, l'Internet et l'avion, l'intemporalité par nos médiathèques, la félicité par notre infinie liberté, aucun des fabuleux attributs de Dieu ne nous est plus inconnu. « Dieu est devenu superflu » disent les scientistes férus de vérité. « Pas si vite, disent les moralistes, Dieu est un miroir de bonté et de sagesse auquel l'humain est loin d'être arrivé. Pourquoi se priverait-on d'un miroir qui nous a été si utile pour progresser? Ne couperions-nous pas ainsi la branche sur laquelle nous sommes assis? »

 

Nous sommes maintenant passés dans une nouvelle phase de la marche laïque et athée, inaugurée par la Révolution française. En effet comme s'acharne à le faire les Onfray actuels, il s'agit maintenant de démontrer que la laïcité n'exclut en rien la spiritualité ou la moralité. Mais depuis les événements du « nine-one-one », tout donne à penser, au contraire, que Dieu et les cultes s'y référant se prêtent volontiers au pire barbarisme.

 

Ainsi donc les philosophes du « penser par soi-même » nous expliquent maintenant comment Dieu a besoin de s'humaniser et de sortir de son complexe de Superman pour aider notre « vivre ensemble ». Retranché dans ses derniers quartiers, le Dieu moraliste serait-il déjà mort? Lorsque l'humain se sera véritablement approprié moralité et bonté, pourra-t-il enfin prétendre pouvoir se passer de l'idée encombrante de Dieu?

 

C'est-ce que les athées moralistes nous proposent avec une spiritualité philosophique exigeante : toujours garder son esprit en éveil et affronter courageusement les questions que la vie nous pose à tout moment. Cette spiritualité active s'oppose à la spiritualité dogmatique. La première est exigeante, la seconde reposante. Sommes-nous faits pour la tyrannique liberté de la constante remise en question qu'exige la philosophie? Ne serions-nous pas davantage attiré par le repos dogmatique d'une pensée arrêtée et apaisante?

 

Au-delà des questions de déisme ou d'athéisme, il y a d'abord à trancher si on préfère davantage l'exigeante liberté ou l'esclavage reposant. Ces deux mondes s'affrontent en nous comme s'affrontent l'enthousiasme et l'ennui.

 

Mais qu'ont-ils donc tous ces philosophes qui voudraient, sous couvert de la pensée active, que tout le monde pense comme eux? Beau paradoxe! Pourquoi le paisible téléspectateur devrait-il être réveillé de sa mort imagée? Les foisonnantes activités intellectuelles n'ont-elle pas créé plus d'ennuis que les paisibles assemblées de moutons présents à la messe? Pourquoi les philosophes à l'esprit bouillonnant ne devrait-ils pas se contenter de diriger le monde endormi par le marketing? Ont-ils si peur d'assumer leur génie qu'ils voudraient que tout le monde soit génial comme le capitaine d'un bateau voudrait que tous les passagers tiennent la barre en même temps? Laissons dormir les masses! Le sommeil ne menace personne.

 

Mais chacun n'est-il pas seul sur son navire?...