060906

Savoir vivre ensemble

par François Brooks

Courtoisie, étiquette, bienséance, galanterie, savoir-vivre, politesse, bonnes manières, convivialité, civilité, honneur, diplomatie, correction, gentleman... autant de mots évoquant la douceur de vivre. Autant de synonymes, une seule connotation : une tentative de répondre à la question « Comment vivre ensemble? » abordée sous un aspect autre que politique.

 

La premier impératif lorsqu'on aborde un être humain est de ne pas le blesser. Dieu sait si nous avons parfois la peau sensible. Le savoir-vivre est un lubrifiant social lénifiant nos rapports. Il nous enseigne tous les comportements nécessaires pour plaire.

 

Mais quand le désir de plaire tourne au désir de paraître, les excès tournent vite à l'obséquiosité. Pourtant, le gentleman accompli ne vise qu'un seul but : vous mettre à l'aise. « Être exigeant avec soi-même et indulgent avec les autres. », nous recommandait Confucius. N'est-ce pas la clef d'une société parfaite? Si nous pratiquions tous cette maxime, peut-être, mais que faire face au goujat, aux pédants et aux bottes sales qui se plairont à vous faire ramper au service de leurs humeurs capricieuses? Comment vivre la politesse quand nous sommes seuls à sublimer le sens de l'honneur plutôt que le sens du pouvoir? Comment vouloir mettre le mufle à l'aise quand notre seul désir est de le corriger? Devrions-nous lui tendre le fouet pour qu'il se sente à l'aise de nous dicter sa loi?

 

La fin du XXe siècle a transformé nos mœurs. Plutôt que politesse et étiquette, l'ère psychologique nous recommande l'authenticité, misant sur le fait que le comportement de chacun doit, non pas être policé, mais respecté, parce qu'avant tout, quelque soit son attitude, l'humain cherche d'abord à être reconnu pour ce qu'il est : une personne importante qui mérite d'être considérée, qui veut qu'on lui prête attention. Alors donc, première étape dans le vivre ensemble : je commencerai par vous écouter pour que vous sachiez que ce qui vous anime m'importe. Mais ici un écueil se pointe : quand tout le monde est à l'écoute de l'autre, un malaise s'installe. On a l'impression que personne ne veut se mouiller. Le premier qui parle s'expose au jugement des autres.

 

Si le vivre ensemble ne se limitait qu'à une écoute mutuelle « psychothérapique », ce serait déjà pas si mal, encore faut-il que vous sentiez ma complicité, témoignage universel d'affection entendue. Par contre, si tout en moi s'oppose à vos idées, je serais malvenu de feindre la complicité puisque, loin de la solidarité, une telle attitude relèverait de la traîtrise. Un faux frère n'est-il pas pire qu'un ennemi déclaré?

 

Malgré nos divergences, je devrai donc trouver le moyen de vous convaincre de ma sympathie. Peut-être mon meilleur allié sera-t-il ici la diplomatie que Dale Carnegie nous a enseignée : vous faire sentir que dans l'absolu, je comprends votre point de vue et qu'à votre place, je penserais tout comme vous. Mon empathie ménagerait votre susceptibilité en mettant nos divergences de côté pour souligner nos convergences. Après tout, la vie est si variée, pourquoi ne pas minimiser l'importance de ce qui nous sépare et tabler plutôt sur ce qui pourrait nous rassembler? Mais la méthode Carnegie, aussi géniale soit-elle, contient in insidieux paradoxe : Comment être sincère volontairement? La sincérité ne commande-t-elle pas d'être naturel? Et la volonté n'est-elle pas manifestement artificielle?

 

Socrate, de son côté, me recommande la maïeutique. D'abord, je vous questionnerai sur un sujet qui vous tient à coeur. Je serai ensuite attentif à votre raisonnement. Plutôt que de répliquer à votre discours par un contre-discours cherchant à rivaliser de logique et avoir raison sur vous du poids de mes arguments, avec toute la diplomatie possible, je vous reverrai vos contradictions au moyen de questions supplémentaires cherchant à préciser votre raisonnement dans le but de vous amener à vous comprendre vous-même et à vous faire voir comment vous vous arrangez (ou dérangez) de vos propres contradictions. Après tout, vivre en humain n'est-ce pas chercher à apprivoiser ses contradictions? En vous interrogeant, vous penserez que je m'intéresse véritablement à vous comprendre et que mes propres positions sont secondaires. Mais là encore, un autre écueil me guette : que faire si mes questions vous importunent? Comment sortir des silences embarrassants qu'elles risquent d'introduire? Et que faire si d'emblée vous refusez de vous soumettre à ce jeu en invalidant toutes mes questions par mille entourloupettes qui relèvent davantage du croc en jambe que de l'humour?

 

Je constate maintenant que le savoir-vivre et l'étiquette sont loin de se limiter à la seule courtoisie langagière, l'écoute active, l'authenticité, l'empathie ou la maïeutique.. Il faudra aussi que mes gestes et mes attentions vous démontrent de mille manières ma convivialité. Et par-dessus tout, maîtriser toutes ces techniques pour en faire un art : l'art de vivre ensemble.

 

Dites-nous Érasme, comment vivre ensemble, vous qui nous recommandez de « n'exclure aucun »?