p. 158 Au coeur même du féminisme depuis ses débuts, le débat reste toujours ouvert entre les « différentialistes » qui croient en une différence radicale entre hommes et femmes et les « universalistes » qui pensent qu'au-delà des différences physiques et biologiques le genre humain est un et indivisible et que les sexes sont en tous points égaux. Au XIXe siècle, quand les femmes ont commencé à s'organiser en mouvements et en groupes de pression pour conquérir leur émancipation, la majorité des féministes se battait pour ses droits politiques, civiques et sociaux au nom de la maternité et des valeurs « féminines » — douceur, respect de la vie, compassion, altruisme, exigence morale —, constituant donc une grande masse de différentialistes. De leur côté, les féministes radicales revendiquaient ces droits au nom de la liberté, de l'égalité et de la dignité de l'individu. Les premières tenaient à ce que la maternité soit reconnue et protégée, les secondes auraient préféré que les femmes sortent de leur rôle de mère, ou le fassent passer au second plan. Mais les droits à conquérir étaient tels qu'elles ne se sont jamais vraiment posées en antagonistes. L'inégalité est née de l'histoire [ ÉGALITÉ ] Simone de Beauvoir relance la question dans Le deuxième sexe en 1949, avec une certaine méchanceté puisqu'elle déclare dans son introduction : « La querelle du féminisme a fait couler assez d'encre [...]. Et il ne semble pas que les volumineuses sottises débitées pendant le siècle dernier aient beaucoup éclairé le problème. » Elle veut tout reprendre à zéro : l'inégalité des femmes est une réalité, dit-elle, mais elle a entièrement été construite par les hommes. La femme est l'Autre de l'homme, constituée par lui en objet pour servir son pouvoir. Ni son corps ni son esprit ne sortent indemnes de cette opération, dans la mesure où ils sont intimement liés. Ainsi la femme accepte comme évidente sa faiblesse physique, et donc son impossible rôle de conquérante. Elle se contente de séduire ou de servir de médiatrice. Elle reproduit au lieu de créer. Mais cette aliénation ne s'est pas produite sans sa complicité : « Refuser d'être l'Autre, refuser la complicité avec l'homme, ce serait pour elles renoncer à tous les avantages que l'alliance avec la caste supérieure peut leur conférer. » Des avantages tels que la protection, un pouvoir par reflet, le droit à l'irresponsabilité. Pour la Simone de Beauvoir du Deuxième Sexe, tout est à jeter dans la féminitude, mythe créé par les hommes, d'autant plus que la femme n'a pris aucune part à l'histoire puisqu'elle « a toujours été, sinon l'esclave de l'homme, du moins sa vassale ». Il n'est donc d'autre solution que de revendiquer l'égalité pour accéder au statut masculin et enfin jouir du même pouvoir et des mêmes droits que les hommes pour réussir à être aussi actives et créatives, quitte à renoncer — comme elle le fit — à la maternité. Tout le courant égalitariste ne se montre pas aussi radical dans son rejet de la féminitude. Simone de Beauvoir elle-même a changé d'avis en assistant aux débats passionnés qui ont accompagné les grands mouvements féministes des années 1970, et reconnu que dans leur résistance individuelle ou collective, les femmes ont pu se forger des valeurs ou une culture qui constituaient un apport positif. Mais les égalitaristes partagent toutes une même méfiance envers la « naturalisation » du corps des femmes. Elles lui opposent l'histoire et le collectif. Comme le remarque Françoise Collin dans Différence et Différend (in Histoire des femmes, le XXe siècle, 1992) : « Le courant égalitariste du féminisme est héritier de la pensée des Lumières retraversée par le marxisme. Il identifie différence et domination pour ne concevoir que des individus abstraits et équivalents. » [...] Ce n'est d'ailleurs pas une hasard si les termes du débat sont « égales ou différentes », alors qu'il serait logique d'opposer, avec l'Américaine Joan W. Scott, « égales » à « inégales » et « différentes » à « identiques ». La conquête de l'égalité des femmes est une conquête de l'égalité de leurs droits, assimilable à celle d'autres catégories sociales opprimées. C'est ce que pensait dès la fin des années 1960 la majorité du mouvement anglais, très lié aux syndicats, aux travaillistes et à l'État providence. C'est aussi ce qui caractérisait la NOW américaine lancée par Betty Friedan. Le féminisme égalitariste accepte la mixité : les hommes qui veulent combattre auprès des femmes sont les bienvenus. Ils sont même nécessaires. Pour les égalitaristes, il n'est rien qu'une femme n'ait le droit — et, en retour, le devoir — de faire. Cela comprend le droit d'exercer la force, car non seulement l'armée doit lui être ouverte, mais aussi le combat armé et le droit de tuer. La volonté de certaines d'avoir recours à la violence est d'ailleurs, à leurs yeux, la meilleure preuve que la non-violence féminine représente un mythe construit par les hommes. Rares sont celles qui se mobilisent sur ce point spécifique, mais toutes le considèrent comme une conséquence logique de l'égalité. Une égalité qui, pour beaucoup, interdit de demander une protection particulière. Toutefois, les égalitaristes divergent sur ce terrain : pour certaines, l'affirmative action, littéralement l'« action positive », des Anglo-Saxons et des Scandinaves — dont la traduction française sous forme d'oxymore « discrimination positive », est révélatrice d'une profonde réticence — visant à favoriser la pénétration et l'ascension des femmes dans certains métiers ou en politique est considérée comme une offense à leur dignité. Pour d'autres — dont nombre d'Américaines —, elle constitue un instrument utile. Mais la meilleure arme reste la loi qui, justement appliquée grâce à une vigilance de tous les instants, suffira à abolir les rapports de domination entre les sexes. Des sexes qui, comme l'a montré l'anthropologue Margaret Mead en étudiant des sociétés traditionnelles de la Nouvelle-Guinée, sont interchangeables : « Si certaines attitudes que nous considérons comme traditionnellement associées au tempérament féminin — telles que la passivité, la sensibilité, l'amour des enfants — peuvent être typiques des hommes d'une certaine tribu, et, dans une autre, au contraire, être rejetées par la majorité des hommes comme des femmes, nous n'avons plus aucune raison de croire qu'elles sont irrévocablement déterminées par le sexe de l'individu. Il est maintenant permis d'affirmer que les traits de caractère que nous qualifions de masculins ou de féminins sont, pour un grand nombre d'entre eux, sinon en totalité, déterminés par le sexe d'une façon aussi superficielle que le sont les vêtements, les manières ou la coiffure qu'une époque assigne à l'un ou à l'autre sexe » (Moeurs et sexualité en Océanie, Plon, 1963). Une vingtaine d'années plus tard, Élisabeth Badinter apporte de l'eau au moulin de la théorie de la construction sociale des sexes dans l'Amour en plus : l'instinct maternel, dit-elle, n'existe pas. L'amour maternel « dépend de la mère, de son histoire et de l'Histoire ». C'est un sentiment qui, comme tel, peut être partagé par les hommes. D'ailleurs, les hommes sont en train de changer, écrit-elle en 1986 dans un second essai, L'un est l'autre, qui rencontre un vif succès. Ils se « féminisent », à la recherche de la tendresse plutôt que de la passion sexuelle, éprouvent même le désir d'enfanter, tandis que les femmes se « masculinisent » en cherchant à se réaliser en dehors des seuls rapports sentimentaux. Devenus « jumeaux de sexe opposé ».les uns et les autres tendent de plus en plus à se ressembler psychologiquement et physiquement. L'incertitude de la détermination du sexe [ NEUTRALITÉ ] En s'appuyant sur la biologie moléculaire, les recherches des dernières décennies sur les mécanismes de la différenciation sexuelle ont montré que ces derniers sont beaucoup plus compliqués qu'on ne le pensait. Auparavant, on croyait que les foetus porteurs des chromosomes XX développaient des organes sexuels féminins, et ceux porteurs des chromosomes XY, des organes masculins. Mais la découverte d'individus porteurs de XX de sexe masculin et d'individus porteurs de XY de sexe féminin a conduit à chercher un autre facteur de détermination du sexe. On a cru trouver un gène baptisé ZFY qui expliquerait la formation des testicules, mais on a découvert des mâles XX qui ne le possédaient pas. On a donc essayé d'en trouver un autre, le SRY, mais, comme l'écrivent Évelyne Peyre et Joëlle Wiels dans Les Temps modernes d'avril-mai 1997, « ce qui devait arriver arriva, et plusieurs équipes mirent en évidence que certains individus mâles XX, sans ambiguïté génitale, ne possédaient pas ce gène SRY ». On a donc modifié la façon de raisonner, centrée jusque-là sur le masculin : inutile de chercher un facteur qui, à partir d'un état zéro (absence de testicules), chercherait à expliquer la formation du mâle. Il faut plutôt partir de l'idée que chacun des deux sexes se détermine selon un mécanisme complexe dans lequel entre en scène un ensemble de gènes, comme dans un orchestre. Cette complexité révèle la fragilité des catégorisations sexuelles de notre culture, apportant de solides arguments à ceux qui pensent que l'individu se trouve au-delà des différences. Construire une identité propre [ IDENTITÉ ] Les différentialistes se battent, bien sûr, comme les universalistes, pour l'égalité des droits, mais à condition que ces droits ne tendent pas à les rendre pareilles aux hommes et leur permettent au contraire d'exprimer et de vivre leur différence. Elles pensent, comme Luce Irigaray, qu'il faut aboutir « à l'inscription de droits sexués équivalents (mais forcément différents) devant la loi » (Je, tu, nous, Grasset, 1990). Fouillant l'identité féminine et donc influencé par la psychanalyse, ou plutôt par la critique de la psychanalyse, ce courant est particulièrement fort en France et en Italie, où de multiples collectifs se sont penchés dès les années 1980 sur la « spécificité féminine ». « La différence est un principe existentiel qui concerne les manières de l'être humain, les particularités des expériences et des buts personnels [...]. La différence entre femme et homme est la différence fondamentale de l'humanité », revendique le collectif Rivolta femminile. Luce Irigaray va plus loin encore : « Vouloir supprimer la différence sexuelle, c'est appeler un génocide plus radical que tout ce qui a pu exister comme destruction dans l'histoire » (op. cit.). [...] Les différentialistes ne cherchent pas la spécificité féminine dans la maternité, mais dans la sexualité, une sexualité aliénée précisément à cause de la maternité, rôle primordial assigné à la femme dans la société patriarcale. Redécouvrir son corps, découvrir à quoi ressemble le désir féminin hors des normes masculines et forger à son image une écriture féminine, ainsi que cherche à le faire l'écrivaine française Hélène Cixous, élaborer une parole et une culture qui disent le féminin, telles sont les tâches premières que se donnent les différentialistes. Objet d'étude fondamental, le langage est considéré comme l'instrument majeur de toutes les oppressions, plus encore que la force à laquelle il donne forme et justification : les différentialistes s'efforcent de décortiquer le langage masculin et de comprendre ce que pourrait être le langage féminin. [...] Selon Françoise Collin, « parler femmes, c'est se tenir toujours tout près du corps, et dire ce corps nombreux. Le langage-femmes n'est pas ventriloque, il est polyglotte (avec cette petite glotte tout ce qu'on peut faire). Ne pas s'éloigner du corps, c'est d'abord savoir que le langage verbal ou écrit n'est pas le seul langage possible et que le privilège qui lui est accordé, surtout dans notre culture, est déjà, à soi seul une exclusion. Il y a les gestes, le contact, le mouvement, il y a le dessin, la danse, la musique, le chant, la voix. De tout cela, le langage mâle élimine la trace en s'érigeant. Il élimine le bruit de la parole. Il tente de faire croire que la parole ou l'écriture ne sont que communication de sens, et non contact » (« Polyglo(u)ssons », in Cahiers du GRIF, n° 12, Bruxelles, 1976). [...] Pour le féminisme lesbien, en plein essor dans les pays développés durant les années 1980-1990, cet essentialisme est trop limité. Surtout, il ne mord pas sur la réalité de l'oppression puisqu'il reste dans une logique binaire homme/femme. Le lesbianisme est pour ses partisanes plus que la revendication d'une préférence sexuelle, il est le refus radical et conscient de l'oppression masculine. C'est ainsi que Monique Wittig écrit, en 1992 : « Notre survie exige que nous contribuions de toutes nos forces à la destruction de la classe de femmes où les hommes s'approprient les femmes. Ce n'est possible que par la destruction de l'hétérosexualité en tant que système social fondé sur l'oppression des femmes par les hommes, et qui produit la doctrine de la différence entre les sexes pour justifier cette oppression. » La femme lesbienne échappant totalement à la logique des hommes finit par se confondre avec l'individu abstrait des universalistes : avoir les mêmes droits pour vivre totalement séparées. Ce « purisme » a séduit certaines hétérosexuelles qui y voient la pratique la plus radicale du féminisme. Mais, s'il ne s'accompagne pas d'un penchant sexuel réel, il devient à la longue difficile à assumer et ne peut rester en tout cas que minoritaire. [...] [...] le féminisme culturel, comme le féminisme essentialiste, n'accepte pas la mixité. Pour formuler leurs revendications, pour affirmer leur identité, les femmes ne peuvent que se retrouver entre elles. Tout au plus le soutien des hommes est-il accepté dans les mobilisations pour les droits, mais la réflexion, la constitution des mots d'ordre, la réflexion sur l'histoire ne sont élaborées que par les femmes. L'un des premiers soucis des féministes a été de repérer de quelle façon la langue piégeait les femmes. La linguiste Marina Yaguello démontrait en 1978 son sexisme dans Les Mots et les femmes : « La place de la femme dans cette langue est le reflet de sa place dans la société. Ce que révèle l'étude du genre, "grammatical" ou "naturel", et de ses valeurs symboliques : [1. Le masculin l'emporte sur le féminin.] de son fonctionnement — absorption du féminin par le masculin —, [2. ex. : femmelette, tapette, etc.] des dissymétries morphologiques : les noms d'agent, dénotatives, connotatives —, [3. ex. : putain, viarge, etc.] de la langue du mépris — les qualificatifs injurieux pour la femme, réduite au choix entre le titre de madone et celui de putain, l'argot sexuel et sexiste : c'est le même —, [4. ex. : M. et Mme Tremblay] de l'identité sociale des femmes — elles sont toujours définies par le père ou le mari —, [5.] des dictionnaires enfin, qui sont des créations idéologiques et dont les définitions reflètent souvent la mentalité attardée des usagers de la langue. » Américaines et Scandinaves [en universalistes] ont bataillé pour remplacer les masculins génériques par des termes neutres, les Françaises [en différentialistes] à l'inverse pour que les métiers déclinés au masculin trouvent un féminin (écrivain/écrivaine...), mais dans tous les cas, la transformation est lente car elle ne peut aller plus vite que le changement des mentalités, qui passe sûrement par l'école et/ou l'éducation. La séparation entre universalités et différentialistes n'est évidemment pas rigide et rares sont les féministes qui n'hésitent pas dans les batailles d'idées comme dans les décisions pratiques entre l'une et l'autre théorie. Selon l'Américaine Ann Snitow, une « ligne de partage » se forme régulièrement dans la pensée et l'action féministe, entre, d'un côté, la nécessité de construire l'identité « femme » et de lui donner une signification politique solide, et, de l'autre, le « besoin de démolir la catégorie femme existante et de démanteler son histoire par trop figée » (1990, citée par Yasmine Ergas, op. cit.). Dans le numéro des Temps modernes d'avril-mai 1997, Françoise Picq affirmait [...] qu'« un homme sur deux est une femme » : « Les deux termes de ce qui deviendra la contradiction principale du MLF y sont indissolublement liés : universalisme et particularisme ensemble. » La libération des femmes, alors, [en 1970] était « non pas une revendication d'égalité, qui aurait pris pour étalon le modèle masculin (droits, rôles, conceptions), mais une aspiration fondamentale des femmes à être elles-mêmes, hors des schémas, à forger des valeurs alternatives (ni complémentarité ni compétition) ». Cette aspiration était partagée par toutes dans la mobilisation ; avec l'usure du temps, elle a éclaté dans les courants dont nous avons parlé plus haut. [...] Mais au coeur de ces mobilisations pragmatiques, il y a essentiellement la dignité des femmes, une revendication qui allie l'universalisme et le particularisme. Une dignité que l'on recherche avec les hommes : le féminisme contemporain est très souvent mixte. Une mixité qui est le fondement même du groupe Mix-Cité créé en 1997 à Paris. C'est l'exemple d'une tentative pour trouver une troisième voie, « une valeur universelle qui transcende les genres », dit Clémentine Autin, sa cofondatrice avec Thomas Lancelot, au Nouvel Observateur (15 juin 2000). Pour elle, « il est temps de mélanger le rose et le bleu pour voir ensemble l'avenir en violet ». Reste à savoir ce que pourra être ce violet : une nouvelle différence des sexes vécue dans la parité, l'équilibre et le respect mutuel, ou bien un modèle unique, encore inconnu, où les différences de sexe s'aboliraient ? |
Mère à tout prix ? p. 176 La PMA [procréation médicalement assistée] remet en question des liens de filiation qui semblaient intangibles : père et mère biologiques d'un côté, père et mère adoptifs de l'autre. Elle ne concerne bien sûr qu'un petit nombre de personnes, d'autant plus que ses pourcentages de réussite restent relativement faibles (15%, contre 25% dans le cas des grossesses naturelles), mais les perspectives qu'elle ouvre en association avec les découvertes génétiques, et les questionnements éthiques et philosophiques qu'elle pose, sont vertigineux. Droit à l'enfant ou droits de l'enfant ? En France, où Simone de Beauvoir a dénoncé la maternité comme un facteur majeur d'aliénation, les féministes s'expriment peu sur ce thème. Même les différencialistes préfèrent parler de sexualité féminine plutôt que de maternité. Si l'on excepte celles qui dénoncent la manipulation médicale et la dissociation de la maternité de la sexualité, les féministes se montrent dans leur ensemble favorables à la PMA et à la liberté de choix. Bien sûr, elles soulèvent le problème des droits de l'enfant. Jacqueline Costa-Lascoux, dans L'Histoire des femmes en Occident, pose la question : « Un enfant, de quel droit ? », dénonçant le fait que le désir d'enfant s'est transformé en « une exigence, voire une revendication d'un droit à l'enfant » (op. cit.). Mais elle n'y apporte pas de réponse. La sociologue Dominique Mehl, dans son essai La Controverse bioéthique, reconnaît que ce désir d'enfant à tout prix entre parfois en contradiction avec la Charte des droits de l'enfant de l'ONU, qui établit son droit a connaître ses deux parents et, dans la mesure du possible, à être élevé par eux. Or, les couples veulent garder le secret sur l'insémination artificielle et les dons de gamètes sont anonymes. Quant à l'insémination post mortem, elle ôte dès le départ la possibilité d'être élevé par les deux parents. Dominique Mehl laisse elle aussi la question en suspens parce qu'elle lui semble relever de choix individuels. Les droits de l'enfant seraient à repenser, semble-t-elle dire en filigrane, à travers le filtre de ce que les anthropologues nous ont appris. Les travaux de Françoise Héritier, en particulier, montrant comment diverses sociétés conçoivent la filiation hors des liens biologiques, prouvent que la première est avant tout une construction sociale et que ces derniers ne sont pas le seul modèle possible. Mais beaucoup s'interrogent sur l'anonymat. Des psychiatres et des psychanalystes, surtout. Elles dénoncent le secret entretenu par les parents : la pédopsychiatre Catherine Bonnet se demande si les enfants « venus du froid » ne risquent pas « de percevoir les non-dits des adultes comme les signes d'une conspiration qui se noue autour d'eux » (Les Enfants du secret, O. Jacob, 1992). Geneviève Delaisi de Parseval insiste, en écrivant dans Le Magasin des enfants (dir. J. Testart, Jeanne Bourin, 1990) : « Tout être humain a le droit de savoir de qui il est issu, qui sont les divers relais génétiques et humains à qui il doit la vie. » [...] La psychanalyste Muriel Flis-Trèves milite comme sa consoeur pour qu'au moins le don d'ovocytes ne soit pas anonyme, non pas pour faire prévaloir les liens biologiques de la famille traditionnelle, mais au nom du droit de savoir qui permet à tout un chacun de mieux gérer sa propre histoire. Mères porteuses et solidarité féminine Les féministes libérales américaines les approuvent, on l'a vu, dans le cadre de la liberté des individus. Les féministes socialistes dénoncent, quant à elles, l'exploitation de la pauvreté de certaines femmes par d'autres femmes. En France, la majorité s'insurge contre le paiement de la maternité de substitution, conséquence du fait que certaines femmes sont poussées à louer leur utérus pour faire face à leurs problèmes économiques. Florence Montreynaud va jusqu'à se demander : « Une nouvelle forme de prostitution va-t-elle se développer ? Après la location des vagins, celle des utérus s'annonce-t-elle, avec des prolétaires de la reproduction mises à la disposition des couples riches ? » (Le XXe siècle des femmes, Nathan, 1992) L'embryon rouvre le débat sur la liberté d'avortement Les embryons créés in vitro en surnombre sont surgelés pour être ultérieurement implantés si le couple le désire. Mais que faire de ces embryons quand le couple ne veut plus d'enfants ou que les deux partenaires se séparent ou disparaissent ? [...] Les législateurs occidentaux considèrent tous que la « dignité » de l'embryon lui vient de ce qu'il est une « personne humaine potentielle ». Mais, comme le constate Dominique Mehl, leur attitude vis-à-vis de l'embryon dépend du terme sur lequel on met l'accent. Pour les Anglo-Saxons, l'aspect potentiel prévaut sur celui de personne humaine. D'ailleurs, l'embryon n'ayant pas de système nerveux avant quatorze jours, ils le considèrent comme « préhumain » durant cette période, conception qui leur permet d'envisager le clonage thérapeutique dans les sept premiers jours de son développement. |
Comment écrire l'histoire des femmes ? p. 182 Partant de l'idée que pour imposer et faire perdurer l'inégalité entre les sexes, tous les discours masculins la cachaient soit en ignorant les femmes et en ne réservant l'action qu'aux seuls hommes, soit en idéalisant les femmes dans le rôle de subordination que la société patriarcale leur attribuait, la question s'est vite posée pour les féministes de savoir comment retrouver les traces d'un passé parvenu jusqu'à nous de façon aussi partielle et déformée. De ce besoin sont nées les études sur l'histoire des femmes, menées dans leur large majorité encore aujourd'hui par des historiennes, ce qui révèle une réticence masculine durable à reconnaître le bien-fondé d'une démarche historique qui tienne compte de la différence des sexes. [...] Toutefois, c'est sans doute l'effet de la demande sociale, de l'envie collective de savoir, qui a eu l'impact le plus fort dans le développement de la discipline. Ainsi en France, sous l'influence du MLF, mouvement politique et social, des femmes ont affirmé le droit d'exprimer leur différence. De là est né un besoin d'histoire et de recueil des mémoires. |
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[1] Sabine Bosio-Valici et Michelle Zancarini-Fournel, Femmes et fières de l'être, Larousse-H.E.R. © 2001.
Le livre contient 3 parties : * * *
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