MES LECTURES - Passages choisis 

Nicolas Boileau

1997-11-29

Éd. Gallimard © 1985

L'Art poétique [1]

SOMMAIRE

Résumé de CHANT I

Extraits de CHANT I

Aimer la raison

Ne pas ennuyer le lecteur

Éviter la bassesse

Historique de Villon à Malherbe

Pensée claire

Patience et travail

Cohérence et pertinence

Accepter la critique amie et rejeter le flatteur

Le jeu des sots

Extrait de CHANT III

Les trois âges

Résumé de CHANT I

pp. 228-233

Aimez donc la raison : que toujours vos écrits
Empruntent d'elle seule et leur lustre et leur prix.
[...]
On lit peu ces auteurs nés pour nous ennuyer
[...]
Quoi que vous écriviez, évitez la bassesse
[...]
[...] Soyez simple avec art,
Sublime sans orgueil, agréable sans fard.

Il est certains esprits dont les sombres pensées
Sont, d'un nuage épais, toujours embarrassées ;
Le jour de la raison ne le saurait percer.
Avant donc que d'écrire, apprenez à penser.
Selon que notre idée est plus ou moins obscure,
L'expression la suit, ou moins nette, ou plus pure.
Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément. [...]
Hâtez-vous lentement ; et, sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage.
[...]
Il faut que chaque chose y soit mise en son lieu ;
Que le début, la fin, répondent au milieu ;
Que d'un art délicat les pièces assorties
N'y forment qu'un seul tout de diverses parties.
[...]
Faites-vous des amis prompts à vous censurer ;
[...]
Mais sachez de l'ami discerner le flatteur.
[...]
Aimez qu'on vous conseille et non pas qu'on vous loue.
[...]
Mais souvent sur ses vers un auteur intraitable
À les protéger tous se croit intéressé.
Et d'abord prend en main le droit de l'offensé.
De ce vers, direz-vous, l'expression est basse, —
Ah ! monsieur, pour ce vers je vous demande grâce,
Répondra-t-il d'abord. — Ce mot me semble froid ;
Je le retrancherois. — C'est le plus bel endroit ! —
Ce tour ne me plaît pas. — Tout le monde l'admire.
Ainsi toujours constant à ne se point dédire,
Qu'un mot dans son ouvrage ait paru vous blesser,
C'est un titre chez lui pour ne point l'effacer.
Cependant, à l'entendre, il chérit la critique ;
Vous avez sur ses vers un pouvoir despotique...
Mais tout ce beau discours dont il vient vous flatter
N'est rien qu'un piège adroit pour vous les réciter.
Aussitôt, il vous quitte ; et, content de sa muse,
S'en va chercher ailleurs quelque fat qu'il abuse ;
Car souvent il en trouve. Ainsi qu'en sots auteurs,
Notre siècle est fertile en sots admirateurs.
Et, sans ceux que fournit la ville et la province,
Il en est chez le duc, il en est chez le prince.
L'ouvrage le plus plat a, chez les courtisans,
De tout temps rencontré de zélés partisans ;
Et, pour finir enfin par un trait de satire,
Un sot trouve toujours un plus sot qui l'admire.

Aimer la raison

pp. 227-228

N'allez pas [...] prendre pour génie un amour de rimer
[...]
[...] souvent un esprit qui se flatte et qui s'aime
Méconnaît son génie et s'ignore soi-même.
[...]
Quelque sujet qu'on traite, ou plaisant, ou sublime,
Que toujours le bon sens s'accorde avec la rime
[...]
La rime est un esclave, et ne doit qu'obéir
[...]
Aimez donc la raison : que toujours vos écrits
Empruntent d'elle seule et leur lustre et leur prix

La plupart, emportés d'une fougue insensée,
Toujours loin du droit sens vont chercher leur pensée
[...]
Tout doit tendre au bon sens : mais, pour y parvenir,
Le chemin est glissant et pénible à tenir.

Ne pas ennuyer le lecteur

pp. 228-229

Fuyez de ces auteurs l'abondance stérile,
Et ne vous chargez point d'un détail inutile.
Tout ce qu'on dit de trop est fade et rebutant ;
L'esprit rassasié le rejette à l'instant.
[...]
On lit peu ces auteurs nés pour nous ennuyer,
Qui toujours sur un ton semblent psalmodier.

Éviter la bassesse

p. 229

Quoi que vous écriviez, évitez la bassesse
[...]
Soyez simple avec art,
Sublime sans orgueil, agréable sans fard.

Historique de Villon à Malherbe

p. 230

Villon [François, 1431-1463] sut le premier dans ces siècles grossiers
Débrouiller l'art confus de nos vieux romanciers.
Marot [Clément, 1496-1544] bientôt après fit fleurir les ballades,
Tourna des triolets, rima des mascarades,
À des refrains réglés asservit les rondeaux,
Et montra pour rimer des chemins tout nouveaux.
Ronsard, [Pierre de, 1524-1585] qui le suivit par une autre méthode,
Réglant tout, brouilla tout, fit un art à sa mode,
Et toutefois longtemps eut un heureux destin.
Mais sa muse, en français parlant grec et latin,
Vit dans l'âge suivant, par un retour grotesque,
Tomber de ses grands mots le faste pédantesque.
Ce poète orgueilleux, trébuché de si haut,
Rendit plus retenus Desportes [Philippe, 1546-1606] et Bertaut [Jean, 1542-1611].
Enfin Malherbe [François de, 1555-1628] vint, et, le premier en France,
Fit sentir dans les vers une juste cadence,
D'un mot mis en sa place enseigna le pouvoir,
Et réduisit la muse aux règles du devoir.

Pensée claire

pp. 230-231

Si le sens de vos vers tarde à se faire entendre,
Mon esprit aussitôt commence à se lasser,
Et, de vos vains discours prompt à se détacher,
Ne suit point un auteur qu'il faut toujours chercher.

Il est certains esprits dont les sombres pensées
Sont, d'un nuage épais, toujours embarrassées ;
Le jour de la raison ne le saurait percer.
Avant donc que d'écrire, apprenez à penser.
Selon que notre idée est plus ou moins obscure,
L'expression la suit, ou moins nette, ou plus pure.
Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément.

Surtout qu'en vos écrits, la langue révérée
Dans vos plus grands excès, vous soit toujours sacrée.
En vain vous me frappez d'un son mélodieux,
Si le terme est impropre, ou le tour vicieux ;
Mon esprit n'admet point un pompeux barbarisme,
Ni d'un vers ampoulé l'orgueilleux solécisme.
Sans la langue, en un mot, l'auteur le plus divin
Est toujours, quoi qu'il fasse, un méchant écrivain.

Patience et travail

p. 231

Travaillez à loisir, quelque ordre qui vous presse,
Et ne vous piquez point d'une folle vitesse ;
[...]
Hâtez-vous lentement ; et, sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage :

Polissez-le sans cesse et le repolissez ;
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez.

Cohérence et pertinence

p. 231

C'est peu qu'en un ouvrage où les fautes fourmillent,
Des traits d'esprit semés, de temps en temps pétillent.
Il faut que chaque chose y soit mise en son lieu ;
Que le début, la fin répondent au milieu ;
Que d'un art délicat les pièces assorties
N'y forment qu'un seul tout de diverses parties
 :
Que jamais du sujet le discours s'écartant
N'aille chercher trop loin quelque mot éclatant.

Accepter la critique amie et rejeter le flatteur

pp. 231-232

Craignez-vous pour vos vers la censure publique ?
Soyez à vous-même un sévère critique.
L'ignorance, toujours, est prête à s'admirer.
Faites-vous des amis prompts à vous censurer ;

Qu'ils soient de vos écrits les confidents sincères,
Et de tous vos défauts les zélés adversaires.
Dépouillez devant eux l'arrogance d'auteur ;
Mais sachez de l'ami discerner le flatteur :
Tel vous semble applaudir, qui vous raille et vous joue.
Aimez qu'on vous conseille et non pas qu'on vous loue.

Un flatteur aussitôt cherche à se récrier :
Chaque vers qu'il entend le fait s'extasier.
Tout est charmant, divin : aucun mot ne le blesse ;
Il trépigne de joie, il pleure de tendresse ;
Il vous comble partout d'éloges fastueux :
La vérité n'a point cet air impétueux.

Un sage ami, toujours rigoureux, inflexible,
Sur vos fautes, jamais ne vous laisse paisible :
Il ne pardonne point les endroits négligés
[...]

Le jeu des sots

pp. 232-233

Mais souvent sur ses vers un auteur intraitable
À les protéger tous se croit intéressé,

Et d'abord prend en main le droit de l'offensé.
« De ce vers, direz-vous, l'expression est basse,
— Ah ! monsieur, pour ce vers je vous demande grâce,
Répondra-t-il d'abord.
— Ce mot me semble froid, je le retrancherais.
— C'est le plus bel endroit !
— Ce tour ne me plaît pas.
— Tout le monde l'admire. »
Ainsi toujours constant à ne point se dédire,
Qu'un mot dans son ouvrage ait paru vous blesser,
C'est un titre chez lui pour ne point l'effacer.
Cependant, à l'entendre, il chérit la critique ;
Vous avez sur ses vers un pouvoir despotique,
Mais tout ce beau discours dont il vient vous flatter
N'est rien qu'un piège adroit pour vous les réciter.

Aussitôt il vous quitte ; et, content de sa muse,
S'en va chercher ailleurs quelque fat qu'il abuse :
Car souvent il en trouve : ainsi qu'en sots auteurs,
notre siècle est fertile en sots admirateurs

Et, sans ceux que fournit la ville et la province,
Il en est chez le duc, il en est chez le prince.
L'ouvrage le plus plat a, chez les courtisans,
De tout temps rencontré de zélés partisans ;
Et, pour finir enfin par un trait de satire,
Un sot trouve toujours un plus sot qui l'admire.

Les trois âges

p. 249

Le temps, qui change tout, change aussi nos humeurs.
Chaque âge a ses plaisirs, son esprit et ses moeurs
Un jeune homme, toujours bouillant dans ses caprices,
Est prompt à recevoir l'impression des vices ;
Est vain dans ses discours, volage en ses désirs,
Rétif à la censure, et fou dans les plaisirs.
L'âge viril, plus mûr, inspire un air plus sage,
Se pousse auprès des grands, s'intrigue, se ménage,
Contre les coups du sort songe à se maintenir,
Et loin dans le présent regarde l'avenir.
La vieillesse chagrine incessamment amasse ;
Garde, non pas pour soi, les trésors qu'elle entasse ;
Marche en tous ses desseins d'un pas lent et glacé ;
Toujours plaint le présent et vante le passé ;
Inhabile aux plaisirs dont la jeunesse abuse,
Blâme en eux les douceurs que l'âge lui refuse.

[1] Boileau, L'Art poétique, Gallimard © 1985, pp. 227-233, 249-250.
Les titres du SOMMAIRE sont donnés comme repères ; ils n'apparaissent pas dans l'oeuvre originale.

Texte intégral en ligne sur Wikisource (page consultée le 7 mars 2017).

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