011015

Le respect de soi et des autres

par François Brooks

Confucius nous avait donné la clef de l'harmonie sociale : « Être exigeant avec soi-même et indulgent avec les autres ». Il me semble que cette clef soit perdue pour certaines personnes, ici à Montréal.

 

Dans sa tribune du journal Métro du 18 juillet 2001, la jeune artiste Marie-Soleil Roy annonce ses couleurs dans son titre : « Respecte-moi, je te respecterai ». Qu'est-ce à dire? Si je ne la respecte pas, elle ne me respectera pas en retour? Mais, comme elle le dit dans son article : « le respect des autres commence d'abord par le respect de soi-même », alors, si elle prend prétexte de me manquer de respect parce que je lui en ai d'abord manqué, n'est-ce pas moi qui aurai eu raison sur elle? En rendant le respect conditionnel à celui de l'autre, ne donne-t-on pas à l'irrespectueux la maîtrise de la situation?

 

Je me refuse à ce marchandage. Mon respect, je l'accorde d'emblée et à plus forte raison à ceux qui ont besoin de mon exemple pour s'inspirer. Ce qui ne m'empêchera cependant pas de dénoncer, comme madame Roy le fait avec raison, les comportements irrespectueux de personnes qui se déshonorent elles-mêmes par leurs gestes.

 

Mais comment amener les gens qui en manquent à se respecter eux-mêmes? Comment leur faire voir qu'ils sont eux-mêmes les artisans du mépris qu'ils s'attirent?

 

Dans les années soixante, nous avions un code social reconnu qui nous aidait à discerner immédiatement entre une personne qui se respectait et une autre qui se bafouait. On reconnaissait qu'un homme propre sur sa personne portant une chemise et un pantalon bien repassés, les souliers cirés, les cheveux courts et qui parlait poliment sans sacrer, méritait d'être considéré comme un gentleman. Ce code disparu semble n'avoir été remplacé par rien d'équivalent. J'ai beaucoup de difficulté aujourd'hui à considérer une personne qui pue, porte des vêtements sales et déchirés, se perce le corps d'aiguilles, d'anneaux et autres objets contondants, s'alimente de n'importe quoi et "engoudronne" ses poumons avec des cigarettes ou autres drogues, comme respectable. Il me semble d'ailleurs que l'une ou l'autre de ces formes "d'auto-mépris" soit une nécessité pour faire partie de certains groupes sociaux. Pourtant, ce sont ces mêmes gens qui semblent avoir la peau la plus sensible. Essayez un peu de leur manquer de respect vous verrez comment ils vous ramèneront vite à l'ordre.

 

Si j'avais forcé mes enfants à se trouer la peau et à se tatouer, ils m'auraient fait un procès. Mais s'ils exercent des activités auto-mutilantes, le respect que je leur dois exige que je considère sereinement cette activité comme un exercice acceptable de l'expression de leur volonté.

 

Qu'est-ce à dire? Devrons-nous un jour considérer avec respect un punk qui décide de se promener sur la rue avec l'œil pendant sur la joue, parfumé d'excréments, un sabre en travers de l'abdomen et le sang qu'il nous offre en spectacle comme une culture qui mérite sa place?

 

Dans leur entreprise à nous débusquer le moindre nécessiteux et à nous montrer même des victimes auto-fabriquées, les médias n'ont-ils pas exacerbé cette parole évangélique qui déclare « heureux les victimes... ».[1] Il fut un temps où l'homme travaillant était reconnu socialement mais il me semble que ce sont les nécessiteux qui ont maintenant la cote. Doit-on s'étonner que la notion de respect de soi semble disparue alors que ce sont les valeurs inverses que certains médias saluent le plus souvent? N'aurions-nous pas avantage à laisser un peu de côté les Béatitudes Évangéliques et à mettre l'accent sur le proverbe qui dit : « Mieux vaut être riche, en santé et respecté que pauvre, malade et méprisé ».

 

Comment pourrions-nous inciter les citoyens qui s'automutilent, qui se manquent de respect à eux-mêmes, à exercer leur droit de se prendre en main et d'utiliser à leur avantage les ressources d'une société qui donne une chance égale à tous? Le drame dans tout ça c'est que tant de gens crient « Au loup! » ; je n'y crois plus. Ne sachant plus qui abuse et qui est vraiment dans le besoin, je n'aide plus personne. La concurrence déloyale que les faux nécessiteux font à ceux qui sont vraiment dans le besoin est sans doute le meilleur moyen de perpétrer la misère. Abusés par les imposteurs on ne voit plus la vraie misère.

 

Mais tout problème n'a-t-il pas sa solution? Dans une société généreuse comme la nôtre, j'ai vu une foule d'immigrants venus se joindre à nous pour réussir une vie qui avait mal commencé dans un autre pays où on ne leur donnait pas les chances qu'ils ont trouvées ici. Tous les natifs du Québec ont une longueur d'avance sur eux. Ne faudrait-il pas cesser de les victimiser et les inciter plutôt à prendre une place honorable dans leur société? Ils sont libres et responsables de leur vie, je le reconnais. Ceci constitue la première marque de respect que je leur accorde. S'ils le reconnaissent eux-mêmes, ils auront d'abord le respect de soi. S'ils entendent ensuite Confucius et deviennent exigeants avec eux-mêmes. Tous les espoirs leur sont permis.

 



[1] Évangile selon saint Luc chapitre 6, verset 20,21,22.