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Politique familiale personnelle

par François Brooks

Dans ma conversation téléphonique avec Louise, il m'est soudainement apparu que nous sommes au monde dans trois niveaux d'existence différents : politique, familial et personnel.

 

Le niveau personnel est ce que nous sommes dans la solitude et l'intimité profonde de notre pensée. À ce niveau, la liberté est totale. Quelle que soit l'idée qui me passe par la tête, elle peut être admise. Quelles que soient mes habitudes personnelles, aucune éthique ne peut me contraindre à les changer. Seul, chez-moi, avec moi, je n'ai de comptes à rendre qu'à moi-même. Et si je m'abuse, je devrai aussi assumer seul mes déboires. Cette liberté me donne la possibilité de fréquenter les lieux inusités de ma pensée et d'explorer des coins de ma conscience connus de moi seul.

 

Mais, la liberté totale n'est possible que dans la solitude. L'ennui va bientôt me pousser à accepter de limiter cette liberté pour établir des contacts affectueux. Par le couple, l'amitié et les enfants, c'est le niveau familial que je vais vivre. Ici, avec l'amour à fleur de peau, mon seul désir sera de plaire aux membres de ma famille et à mes amis. Si nos univers personnels sont compatibles, je vivrai une sorte de lune de miel où il me fera plaisir d'aliéner une partie de ma liberté au bien-être de mes proches puisque la joie de me sentir prolongé au travers des membres de ma famille, l'emporte largement sur les plaisirs de ma liberté individuelle. Plus tard, lorsque la joie s'estompera, je pourrai choisir de changer mes amis ou ma conjointe dans l'espoir de reconduire la lune de miel. Sinon, j'accepterai de négocier une aliénation acceptable pour pouvoir profiter des bénéfices de l'amour, de l'amitié et de la cohabitation.

 

Pour conserver un maximum de liberté, je voudrais bien vivre en autarcie mais, puisqu'il m'est impossible de me suffire, j'accepterai en plus d'aliéner une autre partie de ma liberté personnelle pour jouir des avantages qu'apporte la vie dans une société politique où les échanges économiques vont m'avantager. Ainsi, moyennant quelques heures de travail par semaine, (le moins possible) la société m'apportera en retour, toutes sortes de biens et de services qui prendraient tout mon temps si je vivais en autarcie. Là encore, je devrai négocier pour que l'échange soit à mon avantage et que les contraintes politiques régissant les limites de ma liberté personnelle me soient acceptables. C'est ce que j'appellerai le niveau politique.

 

Ces trois niveaux de mon être — personnel, familial et politique — sont à l'origine de la plupart des conflits que je dois affronter puisqu'ils ne relèvent pas de la même éthique. Le conflit le plus répandu est un conflit entre les niveaux d'éthique. Très souvent, les gens mélangent les trois niveaux et voudraient, par exemple, que l'éthique appropriée au niveau familial soit la même que celle qui convient au niveau personnel. Ainsi, un fumeur voudrait être libre de fumer chez lui alors que ni son conjoint, ni ses enfants ne fument. Son habitude générera aussi un conflit au niveau politique puisqu'il réclamera des soins de santé à la société lorsqu'il contractera une maladie liée à son tabagisme. Cet exemple que je donne est très actuel mais, en laissant aller un peu notre réflexion, on pourrait aisément en trouver des dizaines d'autres, qu'ils soient sur les comportements sexuels, économiques, écologiques, alimentaires ou hygiéniques.

 

On pourrait comparer le travail nécessaire pour discerner l'éthique appropriée à chacun des trois niveaux politique, familial et personnel au travail qu'on doit faire pour vivre en harmonie sachant que dans notre tête, il y a trois cerveaux qui cohabitent : le reptilien, celui de l'affectivité (ou de la mémoire) et le cortex associatif. (Cf. Henri Laborit dans le film Mon Oncle d'Amérique)

 

Le conflit naît du désir d'appliquer la même éthique aux trois niveaux politique, familial et personnel. L'histoire est riche d'exemples en ce sens. Ainsi, il m'est aisé de comprendre pourquoi la famille au Québec n'a cessé de péricliter depuis que le gouvernement a institué une Politique Familiale. C'est comme aux Années de la Grande Noirceur où l'Église se servait de son pouvoir moral politique pour imposer son éthique aux consciences personnelles. Maintenant que l'État a légiféré pour protéger la vie personnelle, — c'est-à-dire, ne plus s'en mêler — le cocooning est en plein essor. Le niveau familial doit être régi, je crois, par une éthique de l'amour. Le gouvernement, avec ses gros sabots ne pourra jamais imposer l'amour nécessaire au bon fonctionnement familial et, par ses lois, il a contribué à créer un type de relation qui était presque inconnu avant cette législation : le chacun chez-soi et on se voit pour le nécessaire : l'amour.