990614

Hiérarchie, contraste et unité

par François Brooks

Il me semble que l'esprit humain ne fonctionne à l'aise que dans la hiérarchie et le contraste, l'ordre et le couple. Nous distinguons spontanément le blanc du noir, le chef du subalterne. Notre nombre préféré est le deux ; d'ailleurs initialement, ne sommes-nous pas deux de par notre constitution physique : côtés gauche et droit? [1]

D'autre part, les ordres de grandeurs nous sont évidents. On voit tout de suite qu'une chose ou une personne est plus grande ou plus petite que nous. Le deux est naturel et la hiérarchie l'est aussi. C'est à deux qu'on forme le couple nécessaire pour se reproduire. C'est de la hiérarchie que naît l'ordre, qu'il soit biologique, familial ou social. Le couple c'est l'égalité, le complémentaire, parfois aussi, l'opposition. La hiérarchie, c'est l'inégalité, l'ordre, parfois aussi, l'harmonie. Et voilà qu'on peut y trouver sa réflexion et engager le débat à savoir qu'est-ce qui est le plus et le moins, l'égal et l'inégal, le meilleur et le pire. Et chacun peut y aller de son propre jugement de valeur.

Par contre, l'unité est comme un idéal toujours présent à notre esprit : unité dans le couple, la famille, la société, la religion etc. On voudrait faire un mais la réalité est complexe, multiple ; on s'accommode alors de la hiérarchie, de l'ordre, de la complémentarité. On essaie de se donner une place avantageuse dans la hiérarchie biologique, sociale ou familiale. Le deux s'oppose à l'un, l'individu s'oppose au couple. Mais c'est pourtant ma dualité, mon côté gauche et droit qui m'apporte l'illusion d'être un ; à moins que, au contraire, l'illusion soit ma dualité alors qu'en réalité je suis un.

Se pourrait-il que notre goût pour l'autonomie et le chaos des dernières années ne soit qu'une variante de notre penchant naturel pour le contraste, l'ordre et l'unité?

[1] Si on dépasse le jugement de valeur et la répulsion instinctive que nous inspire la modification corporelle de Jessica, on s'aperçoit qu'en sectionnant sa langue unique par le milieu, on a libéré deux entités autonomes. Surprise étrange! Surgit alors une question bizarre. Notre biologie nous a constitué unifié à partir de deux côtés fusionnés. Si on pouvait séparer tout notre corps en deux unités distinctes, y aurait-il deux moi? Et aussi, bien sûr, la question complémentaire : notre séparation des autres n'est-elle pas illusoire? De même en séparant le couple homme et femme ne crée-t-on pas un espèce de monstre autonome et indépendant?

Philo5
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