990305

Je parle, tu parles, ils parlent

par François Brooks

Parler m'intrigue ; c'est une activité qui m'embête aussi. En premier lieu, il semble que si je parle à quelqu'un, je lui communique quelque chose mais il me semble que si je me livre à cette activité, c'est plutôt que je vais chercher quelque chose chez mon interlocuteur.

 

En rentrant au travail ce soir, j'étais content de moi, de ma journée. J'avais enfin trouvé et réparé un trouble dont me faisait souffrir depuis longtemps l'amplificateur du salon. C'est en refaisant les soudures une par une de la plaquette de contrôle de tonalité que je suis parvenu à éliminer un bruit intermittent. J'étais content et soulagé. Mais pourquoi devais-je en parler absolument?

 

Claude, un copain de travail, fait présentement réparer le moteur de son automobile. C'est pour lui, toute une aventure. Il avait visiblement beaucoup de plaisir à en parler. Voilà que nous nous sommes parlé mutuellement de l'aventure de réparation qui nous tient à cœur aujourd'hui.

 

Ma gêne dans notre conversation, c'est que je me sentais beaucoup plus intéressé à lui parler qu'à l'entendre. Je sais que c'est égocentriste et que je n'aurais pas dû faire ainsi mais, si je m'intéressais à l'écouter, c'est bien pour, qu'à son tour, il me rende la pareille. Je sentais aussi que c'était comme ça pour lui. En même temps que je réalisais cette solitude que nous présentions l'un à l'autre, je voyais aussi l'inutilité fonctionnelle du fait que je le mette au courant de mon activité de la journée. Rien de ce que j'avais fait aujourd'hui n'avait d'implication personnelle pour lui. Que j'aie réparé mon amplificateur ou non, il pouvait bien s'en ficher puisqu'il ne lui sert en rien, tout comme le moteur de son automobile ne me sert en rien. Pourtant, le plaisir que nous affichions à raconter cette petite aventure, lui, il était bien réel. Nous avions besoin de l'autre, son intérêt si faible soit-il, pour ajouter au plaisir de notre “aventurette”.

 

Je sens souvent que le même pattern s'installe lorsque je parle à des gens. Si bien que mes envolées lyriques prennent parfois toute la place et que, après que la rencontre soit terminée, je sens un certain vide ; il ne me reste rien de notre conversation, rien de l'autre. J'ai parlé, je me suis vidé le cœur, mais l'autre est parti sans rien me laisser de lui et je sens une plus grande solitude après son départ. Je m'efforce alors désormais de garder cette réflexion en veilleuse. Après quelque discours, je me tais un peu et je questionne mon interlocuteur pour savoir si je l'ennuie ou pour qu'il me fasse part à son tour de ses réflexions. Très souvent, c'est pour me rendre compte que l'autre est dans un tout autre univers que moi-même et que ses intérêts du moment sont loin des miens. Je fais alors des efforts pour m'intéresser à ce qu'il dit. Parfois, je sens que la rencontre est impossible.

 

Pourquoi la solitude est-elle aussi forte ; pourquoi est-il si difficile de se rencontrer? Je me console en pensant que, au moins, nous avons quand même fait des efforts pour nous rapprocher et que ces efforts sont le témoin d'un désir d'aimer.