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Les catégories : sociologie de cuisine et racisme à tout-venant

par François Brooks

Mon professeur de philosophie actuel, M Georges Hélal, donne son cours de catégories. C'est comme s'il arrivait chaque semaine avec une pile de paniers qu'il dispose devant la classe et qu'il remplit précautionneusement de ses concepts en évitant de faire "l'erreur" de se tromper de panier dans ses classifications. J'ai comme la curieuse impression d'assister à un cours de racisme : il nous enseigne à "distinguer" La Société Archaïque de la Société Traditionnelle de la Société moderne. Il met toute son énergie à décrire les caractéristiques de chacune et se fait un point d'honneur (je devrais dire, si l'expression existait, un point de savoir) de ne pas les confondre. Tout ceci afin de faire de nous de parfaits petits ségrégationnistes[1]. Bien-entendu, c'est un racisme atone, politiquement correct. Celui-ci se garde bien de tout jugement. M Hélal ne nous enseigne à faire que des "distinctions" basées sur des observations "scientifiques" (donc incontestables) et il nous laisse tout loisir d'établir nos propres échelles de valeurs.

 

M. Hélal ne garde du racisme[2] à peine que la première définition du Petit Larousse ― surtout pas la deuxième ― seulement la ségrégation. Je devrais dire que je suis un cours de ségrégationnisme.

 

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Chu pu capab'. L'intelligentsia Radio-Canadienne n'en finit plus de me casser les oreilles avec son ségrégationnisme : les vieux (pardon, les aînés), les jeunes, les étudiants, les travailleurs, les retraités, les assistés sociaux, les enfants, les femmes, les (maudits) hommes, les baby boomers, la génération X, les handicapés (pardon, les personnes physiquement challengées), les malades, les démunis, les alcooliques, les fumeurs, les « granolas », les sportifs, les garagistes, les consommateurs, les salariés, les travailleurs autonomes, les chefs d'entreprise, les familles, les divorcés, les homosexuels, les abuseurs sexuels, les prêtres les sociologues, les astronautes, les écologistes, les citoyens, les mendiants, les « squigee », les sans abri, les propriétaires de chiens, les commerçants, les pêcheurs, les Québécois, les Canadiens, les Américains, les Français, les Chinois, le tiers-monde (pardon, le quart-monde ; ça s'améliore, quand même, depuis trente ans), les chrétiens, les Juifs, les musulmans, les croyants, les athées, les mourants (pardon, les personnes en phase terminale), les cancéreux, les sidatiques (pardon, les Sidéens), les enfants malades, les bébés, les travailleuses ― les sportives ― les mères de familles ― les cuisinières ― les ménagères (pardon, les femmes au foyer). Les spectateurs, les badauds, les téléspectateurs, les internautes, les cinéphiles, les bédéphiles, les lecteurs, les photographes, les bricoleurs, les obsédés sexuels, les sado-maso, les écrivains, les banlieusards, les vacanciers, les voyageurs, les politiciens, les cols bleus, les gars de métiers (en France, on les appelle les Compagnons du devoir), les automobilistes, les cyclistes, les camionneurs, les réparateurs de Maytag, les militaires, les miliciens, les cadets de l'air, les Scouts, les Jeannettes, les Pee-wee, les Juniors, les parents, les grands-parents, les ancêtres, les prophètes, les bandits, les criminels, les voleurs, les prisonniers, les humoristes, les chanteurs, les peintres, les artistes, les gens de race noire, les asiatiques, les caucasiens, les autochtones, les blancs, les enseignants...

 

J'en ai-tu oublié?

 

Dans ce kaléidoscope de statuts divers, le moins qu'on puisse dire, c'est que les étiquettes affluent. La ségrégation (pardon, la nuance, les catégories) enseignée à l'université continue à faire son travail à travers le Grand Frère (Big Brother) Radio-Canadien. Pour vous faire un statut social, vous n'avez qu'à vous combiner quelques-unes de ces catégories et vous pourrez prendre part aux discussions mondaines. Vous serez quelqu'un. Vous aurez résolu la question de l'être, du qui suis-je.

 

Connais-toi toi-même... connais-toi toi-même... connais-toi toi-même... disait Socrate.

 



 

[1] ségrégation  nom féminin : (bas lat. segregatio ; de segregare , séparer du troupeau) 1. Action de séparer les personnes d'origines, de mœurs ou de religions différentes, à l'intérieur d'un même pays, d'une collectivité. Ségrégation raciale. Ségrégation sociale.

 

[2] racisme  nom masculin : 1. Idéologie fondée sur la croyance qu'il existe une hiérarchie entre les groupes humains, les « races »; comportement inspiré par cette idéologie. 2. Attitude d'hostilité systématique à l'égard d'une catégorie déterminée de personnes. Racisme envers les jeunes.

 Le Petit Larousse illustré 1999. © Larousse, 1998.