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La liberté me vient des autres

par François Brooks

«L'enfer, c'est les Autres» disait Sartre. «Ma liberté s'arrête où commence la liberté de l'autre» dit l'adage. Mais dans l'optique du contrat social, n'est-ce pas tout le contraire? Ne serait-ce qu'en petite communauté autarcique (par exemple, une famille au temps de la colonisation), le travail à faire pour subvenir aux besoins fondamentaux est si grand, que chacun des membres doit participer dès son plus jeune âge aux tâches nécessaires à la survie du groupe. Mais dans une telle situation, la vie solitaire serait encore plus laborieuse, presque impossible. Il n'y a qu'à penser à toutes les taches nécessaires à la survie d'un homme : chercher l'eau au puits, construire et entretenir la maison, chasser, cultiver, cuisiner, fabriquer et entretenir les vêtements, les outils, les meubles, le moyen de transport etc. Un homme qui voudrait vivre seul devrait assumer toutes ces tâches seul. Autant dire qu'il n'aurait aucun temps libre, aucune liberté. Tout son temps serait consacré à suppléer à ses propres besoins. La nécessité lui dicterait ses actes.

 

La liberté de l'individu augmente déjà s'il fait partie d'une famille où il y a un partage des tâches et où chacun accepte de prendre à sa charge une corvée répondant à un besoin fondamental qui profite à tous les autres membres de la famille. C'est le début de la spécialisation. Chacun excelle dans sa tâche et produit plus rapidement pour toute la famille que s'il devait accomplir seul toutes les tâches nécessaires à sa survie.

 

Dans le contrat social où nous vivons actuellement, la spécialisation est poussée à un point tel, qu'avec l'industrialisation, un seul homme peut prendre à sa charge le travail pour plusieurs milliers d'hommes de telle sorte que, non seulement la semaine de travail est considérablement réduite mais, en plus de disposer de biens de luxe, il n'est même plus nécessaire que tout le monde travaille. Ceci créé un autre problème que je ne veux pas débattre pour le moment. En seulement, du point de vue de la liberté et du temps libre disponible, ne suis-je pas obligé de reconnaître que l'adage cache une partie de la vérité? Sous cette perspective, c'est par l'autre que ma liberté s'accroît et, loin de la limiter, l'autre extensionne celle-ci. Même en vivant seul, le fait que je puisse disposer d'autant de temps libre est une manifestation de la présence des autres dans ma vie ; ces autres m'apportent la liberté. Savoir la gérer est un autre problème.