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1998-05-28 / 2025-04-30 |
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Débat et compréhension |
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[...] toute tentative d'approche de l'histoire de la philosophie implique nécessairement l'effort d'un « mime » intellectuel et d'un « débat », donc d'un exercice actif de la raison et de la liberté. (p. 455) Jeanne Hersch, L'étonnement philosophique, 1993. Il arrive souvent que l'on ne soit pas d'accord avec la pensée d'un philosophe ou de quelqu'un d'autre, ou même avec soi-même. Évidemment, lorsqu'elles assurent notre confort intellectuel, nos propres idées priment. Mais parfois, j'aime m'exposer à des opinions divergentes. Je m'attarde alors à comprendre les raisons de mon interlocuteur, quitte à m'exposer au vertige philosophique, en imitant son attitude mentale. Ça me permet de m'approcher de lui, de le comprendre ; c'est-à-dire de savoir ce qu'il ressent en alimentant sa propre façon de penser. Ceci ne m'oblige en rien à changer ma propre façon de voir les choses, mais cette attitude permet toujours de m'enrichir d'une perspective supplémentaire. Bien entendu, ceci ne s'applique pas aux nombreuses balivernes qui nous sont martelées au jour le jour et qui entretiennent les idéologies actuelles. Non plus au joueur rusé qui ne pense pas un mot de ce qu'il dit, mais cherche à provoquer. À ceux-là, je tiens le même registre ; ils pensent avoir été entendus et ça tue la dispute. On n'essaie pas de raisonner avec ceux qui répètent pieusement le dogme, et qui ne cherchent que l'écho de leurs litanies. Ni avec ceux qui cherchent à se valoriser en montrant la supériorité de leur rhétorique. Mais si un philosophe ou quelqu'un d'autre a passé sa vie à élaborer une façon de penser, ne vaut-il pas la peine que je prenne quelques minutes pour essayer de comprendre son expérience ? Suis-je si puriste que je sente mon esprit souillé simplement à comprendre une façon de penser qui n'est pas la mienne ? N'avons-nous pas dépassé l'attitude antique qui consistait à refuser de lire un texte que nous n'avions pas pensé nous-mêmes ? Dans L'étonnement philosophique, Jeanne Hersch rappelle que pour comprendre, il faut s'efforcer de mimer l'attitude intellectuelle du philosophe. On doit consentir à lui prêter notre liberté de penser. D'ailleurs, cet exercice n'est-il pas le meilleur moyen de clarifier notre propre pensée et de susciter en nous des questions pertinentes propres à ébranler les arguments de l'adversaire lors d'un débat ? L'ennui c'est que j'aime tellement débattre que j'oublie parfois que je dois comprendre d'abord pour ensuite débattre judicieusement. Aurais-je peur de comprendre et ainsi perdre mon désir de débattre ? Oui, parce que, lorsque l'on comprend vraiment l'autre, il n'y a plus rien à dire. Soit l'on s'extasie devant une pensée si bien structurée qu'elle répond à de nombreuses questions qui nous ébranlaient ; ou bien l'on constate l'indéchiffrable imbroglio mental dans lequel l'autre souffre, et qui nous laisse aussi impuissants que le psychologue silencieux devant son client blessé. |
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