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L'artiste promu philosophe

par François Brooks

C'est sans doute aussi la jalousie qui me fait parler mais les gens des mass média, trouvent souvent le moyen de m'irriter lorsqu'ils s'adonnent au “side-line” facile de s'improviser philosophe, souvent même sans s'en apercevoir. Si j'avais une tribune et une cote d'écoute quotidienne ou hebdomadaire, sans doute serais-je tenté de déverser mes élucubrations spirituelles (ma sagesse, devrais-je dire) gratuitement, question de m'enorgueillir (de me valoriser, devrais-je dire aujourd'hui) de savoir que tant de bons “téléspectateurs” m'écoutent. J'en viens parfois à regretter le ton morne et sévère de monsieur Gaétan Montreuil qui autrefois, lui au moins, s'il n'avait pas le crédit d'être charmant à écouter, avait en tout cas celui de faire son métier de lecteur de nouvelles sans emmerder personne avec ses désespoirs soumis et sa philosophie de cuisine à la Bernard Derome.

 

Ça me fait penser à madame Juliette Huot qui, d'excellente comédienne qu'elle était, avait jadis écrit un livre de cuisine prétendant apporter des recettes pour faire maigrir alors qu'elle souffrait d'un embonpoint dont elle n'a jamais su se départir. Quel autre comédien, récemment, (Michel Dumont, pour ne pas le nommer) vous savez celui qui tient avec excellence son rôle d'homme mature dans la cinquantaine dans la série Omerta et qui a récemment commencé à professer sa philosophie sur Dieu, la vie, etc. Lui aussi, mais sur un ton moins sentencieux que Vigneault, venait nous indiquer «les voies de la sagesse».

 

Les professionnels du microphone peuvent trouver mon oreille attentive lorsqu'ils

 

ne font pas preuve d'une assurance à toute épreuve.

C'est charmant à entendre quelqu'un qui trouve toujours le mot juste et qui endort l'esprit avec des belles paroles mais les dieux de l'élocution sont trop loin de la vie réelle pour que je puisse me laisser endormir. Zacharie Richard me colle beaucoup mieux à la peau lorsque je l'entends répondre en hésitant et en cherchant ses mots pour éviter de dire des bêtises. Je sens alors tout le respect pour son public qu'il a la sagesse de trouver assez intelligent pour se permettre d'hésiter quelque peu avant d'étaler sa philosophie personnelle (accouchée par Denise Bombardier).

 

Je suis attentif aussi et surtout à ceux qui ne se prennent pas trop au sérieux. J'aime bien le rire fou de Jacques Languirand. Je reçois ce rire comme un délicieux mélange d'inconfort, d'amusement et de stupidité d'un homme qui a la sagesse de reconnaître parfois la futilité du pouvoir que lui donne le microphone et celle de reconnaître aussi qu'il n'a rien inventé.

 

ƒ Lorsqu'ils évitent d'insulter mon intelligence en me laissant le soin de juger par moi-même de la valeur de la nouvelle qu'ils me livrent.

 

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La pensée d'un artiste m'apparaît le plus souvent comme suspecte sinon invalide. Comment un artiste promu philosophe, peut-il exercer sa liberté de penser alors qu'il utilise la TV ou la radio qui fait en quelque sorte la promotion de son image? Ce média dont il se sert pour exprimer sa pensée sert ses propres besoins de carrière en augmentant sa visibilité. Comment pourrait-il exprimer une idée qui va à contre-courant des idées généralement admises sans nuire à son image et à sa carrière? Dès lors, les idées qu'il exprime sont au service de sa carrière et ne peuvent jouir de la liberté de penser que l'on serait en droit de s'attendre d'un philosophe libre de toute contingence médiatique.