980207

La conscience, c'est le pactole (1)

par François Brooks

Dans le dictionnaire de la philosophie (Larousse), sous Freud (Sigmund), j'ai lu ceci : [...] «freudisme» ... la «psychanalyse», pense supprimer tous les troubles par la simple analyse de l'inconscient : la prise de conscience apparaît comme une délivrance et une restauration de l'état normal.

 

Si le XXè siècle devait être reconnu pour avoir apporté une valeur maîtresse à l'aventure humaine, je crois bien que celle-ci serait la conscience. Même s'il est entendu que ce-qu'on-ne-sait-pas-ça-ne-nous-fait-pas-mal, la conscience a pourtant gagné une étonnante popularité.

 

D'aussi loin que je me souvienne, dans ma courte vie, (j'aurai 43 ans demain) la conscience est en tête du palmarès des valeurs dans lesquelles j'ai baigné. Petit, on m'avait appris, en même temps qu'on m'avait interdit de montrer mes fesses, de piquer des bonbons ou de conter des menteries, que ma conscience devait être pure et que le petit Jésus me surveillait. Ensuite, ce fut l'école obligatoire pour de nombreuses années. Je devais y apprendre tout ce dont je devais devenir conscient pour, plus tard, gagner ma vie honorablement. Je sais très bien aujourd'hui que l'instruction et la formation scolaire et professionnelle ont eu principalement pour effet de me faire intégrer des automatismes qui font que je n'ai pas besoin d'utiliser ma conscience lorsque je pose un geste professionnel. J'agis professionnellement par automatisme et c'est très bien comme ça. Imaginez si je devais prendre conscience de chacun des gestes que je pose et de leur pourquoi. Déjà, dès le matin, je n'en finirais plus ne serait-ce que pour m'habiller.

 

Dans les années soixante, les Beatles et tout le mouvement qui a entouré la philosophie du Peace and Love m'ont apporté quelque répit à une conscience qui n'en finissait plus de se sensibiliser. Mais arrivé aux années 70, un mouvement “psy-machin” m'a fait adhérer à la croyance freudienne qui dit que «plus conscient, c'est mieux!» D'ailleurs, je trouve amusant encore aujourd'hui d'entendre les membres des professions “psy” diverses manifester leur mépris pour les gens inconscients de façon, semble-t-il très politiquement correcte. J'avais donc suivi, à cette époque, thérapies de groupe, thérapie de couple, et psychanalyse, poursuivant avec acharnement l'idée de devenir un jour suffisamment conscient pour en venir à prendre ma vie en main et être heureux. Mais plus je grattais mon inconscient, plus je devenais conscient que ma condition humaine m'apportait toutes les raisons d'être malheureux. En fait, je ne faisais que l'apprentissage d'une espèce de code social où je devais me contrôler devant mes frustrations et tâcher que mon comportement spontané provienne d'automatismes socialement acceptables ancrés dans mon « inconscient ».

 

Dans les années 80, la même tendance se poursuivait à saveur « améliorée ». J'ai adhéré au mouvement New-Age corps et âme en souscrivant à toutes sortes d'ateliers dits de « croissance personnelle » dans lesquels la plus haute valeur était toujours d'atteindre un niveau de conscience supérieure.

 

Pendant tout ce temps, l'information télévisée et imprimée me sensibilisait toujours davantage aux différentes réalités nationales, mondiales et locales en me rendant toujours plus conscient des scandales, horreurs et injustices humaines.

 

Ma conscience est maintenant si éveillée que j'en viens parfois à envier les animaux qui vivent leurs petites vies inconscientes et soi-disant misérables. C'est quand je dors paisiblement collé aux fesses de ma blonde que je me sens le plus heureux : engourdi et inconscient. Je ne suis cependant pas dupe ; je sais que ce bonheur tire une partie de sa source dans le vacarme quotidien de tout ce dont je suis conscient ; c'est le calme de l'inconscience après la tempête de la conscience. Mais c'est fini! Je ne crois plus que la conscience ce soit le pactole.