980126

Les gens suspects

par François Brooks

Certains mots, à mon sens, devraient être utilisés avec plus de circonspection. Lorsque j'entends les mots toujours, jamais, infiniment, de plus en plus, tout le monde, personne, ainsi que leurs nombreux synonymes, tout de suite, il me semble que l'orateur s'aventure. En effet, le toujours/jamais est-il plus long que la vie de celui qui parle? (et cette vie est souvent bien courte) Aussi, le infiniment/de plus en plus ne se limite-t-il pas à son petit monde? De même, le tout le monde/personne n'est-il pas circonscrit aux personnes qu'il connaît ou à celles dont il a entendu parler?

 

Je sens aussi mes oreilles se froisser chaque fois que j'entends quelqu'un s'allier un groupe de gens pour donner du poids à ses paroles : – Les Chinois sont...

– Les femmes...

– Les hommes...

– Les médecins...

– Les jeunes...

– etc.

avec, bien sûr, le Tous (les Chinois), sous-entendu. Il me semble que ça fait beaucoup de monde... Ou encore, lorsqu'on y ajoute une fausse pondération :

La plupart des femmes...

La plupart des enfants...

– etc.

Sous le couvert de cette nuance tendancieuse, on se permet de parler au nom de plus de 50% d'un groupe, n'est-ce pas un tantinet prétentieux!

 

            Quand, par exemple, je dis Les hommes sont comme ceci ou comme cela ...       , ça inclut le vieillard, l'enfant, le jeune adulte, le riche, le pauvre, le mendiant, le pompier, le cuisinier, l'élève, le voyageur, le consommateur, le retraité, le syndicaliste, le politicien, le vacancier, le hobbyiste, le père de famille, le fils, le prêtre, le canadien, le lecteur, l'électeur, et tous les autres groupes possibles et combinaisons de groupes aussi. Lorsqu'ils s'arrogent le droit de parler au sens général, les gens n'ont visiblement pas en tête l'immense diversité de personnes que représente leur expression. Lorsqu'elles (ou ils) parlent «des femmes». Les féministes, par exemple, avec leurs gros sabots, ont l'heure de faire porter leur drapeau en même temps et sans différenciation à tous les types de femmes (on se demande parfois même quand choisiront-elles (ils) d'élargir leur groupe au genre animal, leur cause est si universelle!).

 

Ça m'irrite particulièrement lorsque ces mots ou expressions sortent de la bouche de gens qui ont une position d'autorité comme les journalistes ou les enseignants.