010306

Nouvelle ou propagande ?

par François Brooks

N'oubliez jamais que ce qu'il y a d'encombrant dans la morale, c'est que c'est toujours la morale des autres[1]

 

Les curés ennuyaient avec leurs sermons tout comme le Schtroumpf moralisateur. On a cessé d'assister aux sermons barbants, et les Schtroumpfs ne cessent de maltraiter à grands coups de gourdin l'auteur de discours moralisateurs assommants.

 

Mais qui donc aura le courage de nous débarrasser de ces journalistes-prêtres qui nous inondent d'une propagande qu'on essaie de nous faire passer pour des nouvelles?

 

Le « Tu ne tueras point » nous est servi à chaque meurtre présenté ; le « Tu ne voleras point » à chaque escroquerie démasquée ; le « Un seul Dieu » consommation à chaque pub-intermède ; le « Œuvre de chair tu t'abstiendras » à chaque histoire de mœurs relatée. Je vous laisse trouver les autres... cherchez un peu, ils y sont tous.

 

Nous croyons nous être débarrassés des stigmates religieuses catholiques? Nous n'avons jamais été aussi évangélisés. Les nouveaux prêtres font toujours la même propagande encombrante. Comme si nous ne pouvions penser par nous-mêmes, nous devons nous soumettre à ce catéchisme perpétuel.

 

Mais que devrait contenir notre téléjournal? C'est vrai, si nous n'étions informés que des nouvelles d'intérêt public, nous perdrions le plaisir de saliver en regardant tous ceux qui commettent les horribles péchés dont on se prive. Parce que nous, nous avons choisi de vivre en bons pratiquants. Nous ne nous salissons pas. Nous ne tuons pas, ni ne volons, ni ne violons, ni rien d'autre. Mais nous aimons bien voir ceux qui pêchent ; ça nous permet de croire en notre pureté, puisque ce sont les « autres » qui pêchent.

 

Mais d'où vient ce besoin d'être nourri de propagande ordurière? N'alimente-t-on pas en moi quelque désir ordurier? Et ces criminels ne sont-ils pas en quelque sorte des héros qui ont eu l'audace de transgresser le tabou, et qui doivent affronter le bûcher de « l'opinion publique »? Ne sont-ils pas au service du plaisir que j'éprouve à les détester?

 

Ces journalistes de pouvoir utilisent leur tribune pour nous asséner leur morale du bien et du mal. Ils feraient mieux de nous présenter des nouvelles d'intérêt public. Avons-nous réellement besoin d'eux pour éclairer notre jugement? Ne sommes-nous pas en mesure de discerner le bien du mal par nous-mêmes? Ils me font parfois penser à ma vieille tante Florida qui voyait le péché partout, incapable de comprendre que l'origine du vice est d'abord dans l'œil qui regarde ; incapable de livrer le message de pardon véhiculé par l'Église qui lui avait appris sa morale.

 

Ce message de pardon, je le trouve dans certaines émissions scientifiques qui expliquent d'où viennent les comportements antisociaux, pourquoi ils ont pu se produire, et comment nous pouvons essayer de les éviter. Celles-ci me mettent à l'aise parce qu'elles me font confiance pour trouver mes propres réponses. Elles m'informent et me laissent juger. Les autres m'imposent une morale tyrannique dont je n'ai que faire puisqu'ils jouent sur mes tendances vicieuses que je refuse de laisser émerger.

 

Pour alimenter mon jugement, j'ai besoin d'information et non de propagande. Même si on veut me faire jouir du meilleur produit au monde, je n'en serai jamais autant satisfait si on me l'a vendu à pression que si on me laisse l'acheter librement après m'avoir donné toute l'information sur celui-ci.

 

La bonté n'est pas quelque chose qui s'impose, c'est un comportement qu'on peut choisir librement ; sinon, c'est de la tyrannie.

 

Si vous avez eu le courage de supporter la lecture de ce texte jusqu'ici, je m'excuse de mon ton moralisateur. Je me sens coincé, colonisé. Je suis désolé de me rendre compte que je n'ai pu faire mieux qu'utiliser le style moralisateur que je dénonce.

 



[1] Léo Ferré, Préface, Barclay © 1973