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Manifeste pour un revenu de citoyenneté

Par François Brooks

Michel Chartrand et Michel Bernard, Éditions du renouveau québécois © 1999.

Le titre a attiré mon attention un peu comme si on prétendait avoir trouvé la clé du mouvement perpétuel. Je sais que c'est impossible mais je voulais m'amuser à observer la construction d'un raisonnement démagogique et découvrir quel lubrifiant les auteurs allaient utiliser pour nous faire passer l'impossible. Et puis, Michel Chartrand est un personnage coloré dont les colères publiques sont amusantes et parfois justes.

 

Ce livre est un exercice d'écriture surprenant. On y parle de communisme d'un couvert à l'autre sans que jamais les auteurs ne se permettent de nommer la chose par son mon. On y voit exposé les nobles idées de Karl Marx mais, curieusement, on oublie les tristes années où l'URSS a vécu et l'immense faillite que la tentative d'application de ces idées a provoquée.

 

Mais voici le hic!

 

Dans un monde qui doit produire de multiples biens pour survivre, et où chacun ne peut faire un travail toujours selon ses goûts personnels, le salaire du travailleur devient sa principale motivation. Qu'adviendrait-il dans un pays où chacun recevrait un salaire sans être obligé de travailler? Pour ma part, je resterais tranquillement chez-moi à attendre mon chèque de revenu de citoyenneté ne m'adonnant qu'aux activités qui me plaisent. J'ai beaucoup à parier que la majorité des travailleurs feraient comme moi. Dès lors, n'est-il pas évident que notre pays serait vite aux prises avec de graves pénuries, comme ce fut le cas en URSS?

 

Il semble que, Michel Bernard, tout comptable qu'il soit, ne connaisse pas les lois de l'offre et de la demande qui régissent tout système économique dans un libre marché. L'URSS n'a pu survivre sans la tyrannie nécessaire à imposer un marché qui veut s'y soustraire. Aussitôt que l'on veut vivre dans un pays libre et démocratique, ces lois s'appliquent et nous devons en tenir compte.

 

Aveuglés par leurs nobles intentions égalitaristes, les auteurs de ce livre ont esquivé cette évidence que le peuple québécois aura, j'en suis sûr, la sagesse de voir.

* * *

Le chèque de revenu de citoyenneté n'aurait de valeur que dans la mesure où il y aurait des biens à acheter. Sans quoi, ceci équivaudrait à imprimer de l'argent sans valeur correspondante. Mais la valeur de la richesse capitaliste n'est pas tant dans les sommes d'argent amassés par certains que dans les produits que les travailleurs créent et qui sont disponibles chez les marchands. La réelle richesse d'un pays est dans le Produit National Brut et non dans le potentiel d'achat symbolique que représente l'argent.

 

D'ailleurs, avec la surenchère de la valeur que les gens accordent aux biens échangés (travail, biens et services), j'aurais fort à parier que si tout le monde voulait dépenser son argent d'un coup ― instantanément, aux prix des articles actuellement sur le marché ― il n'y aurait pas assez de produit à vendre pour tout l'argent dont les gens disposent. Je pense que certains ont exigé davantage d'argent que la valeur des biens produits et disponibles actuellement sur le marché, de telle sorte que, collectivement, nous sommes plus riches en argent qu'en biens à acheter : c'est une fausse richesse. Si je me trompe, je voudrais bien qu'un statisticien économiste m'éclaire, mais je pense que cette réflexion illustre le phénomène de l'inflation. Parce qu'en réalité, tout l'argent du pays ne peut jamais acheter que ce qui est disponible présentement sur le marché.

 

Il est vrai que certains citoyens sont très riches et qu'ils pourraient acheter beaucoup plus de biens qu'ils ne peuvent en consommer. Mais, en ce qui me concerne, tout cet argent n'a de valeur que potentielle. Les gros chiffres en banque ne m'impressionnent pas. La disponibilité des produits que j'ai besoin m'intéresse davantage. Le fait est que si on donnait aux pauvres l'argent superflu des riches, il n'y aurait pas plus de produits à acheter. Au contraire, il y en aurait moins. Pour un temps, la consommation augmenterait, (et les pauvres pourraient se payer la traite). Mais, vu l'abondance d'argent, il s'ensuivrait une inflation qui, selon les lois de l'offre et de la demande, rééquilibrerait la valeur des produits disponibles sur le marché en fonction de l'argent en circulation. Pire, la surconsommation momentanée permise après une libération massive d'argent en circulation « viderait les tablettes ». Pour continuer à acheter des produits, il faudrait alors que les travailleurs redoublent d'effort pour suffire à la demande. Mais quel intérêt le travailleur aurait-il à travailler davantage alors que le revenu de citoyenneté suffirait à le faire vivre? Voilà bien comment les pénuries de biens s'installeraient pour un moment. Mais l'inflation aurait tôt fait de réguler la valeur des produits en circulation. Ainsi, la boucle serait bouclée et nous nous retrouverions comme au Brésil des années passées où ils devaient composer avec un taux d'inflation de 10% par mois.

 

Comme vous l'avez compris, je suis loin de partager la solution à la pauvreté envisagée par les auteurs. Mais je dois reconnaître que le capitalisme a ses limites et qu'il faut trouver un moyen de contrer l'enrichissement excessif qu'il peut parfois générer. Il faut une forme de redistribution de la richesse et nous en avons déjà plusieurs (assurance emploi, bien-être social, allocations familiales, crédits d'impôts, pensions de vieillesse, etc.). Peut-être y en a-t-il trop ou peut-être faudrait-il réaménager tout ça. Ça reste à démontrer. Cependant, à mon sens, le revenu de citoyenneté provoquerait une démotivation générale à travailler qui engendrerait un mal pire que le problème qu'on cherche à enrayer.

 

Je vois dans votre projet de revenu de citoyenneté une intention semblable à celle que vous dénoncez chez les riches : se faire vivre par les autres sans être obligé de travailler. Je trouve déplorable, monsieur Chartrand que pour vous faire valoir, sur la fin de votre vie, vous vous soyez détourné de votre traditionnelle préoccupation qui jadis vous amenait à défendre la cause des travailleurs. Je ne me serais pas attendu chez-vous à un tel dérapage. Mais peut-être n'est-il dû qu'à votre ignorance des lois du marché dans un pays libre et démocratique.

 

Merci pour votre suggestion MM Bernard et Chartrand mais votre projet devra être révisé pour tenir compte de tous, et non seulement de ceux qui cherchent à se faire vivre par les autres, qu'ils soient riches ou pauvres. Parce que la société, ce sont les travailleurs qui la font vivre par les biens et services qu'ils produisent, et non ceux qui ne produisent rien, qu'ils soient riches ou pauvres. La vraie richesse d'un pays, c'est ce qu'il produit.