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La pensée symétrique

par François Brooks

Je ne veux être ni rationaliste[1] (même si je le suis, inévitablement). Je connais ses limites : au moyen de raisonnements rationnels, on peut démontrer, avec des arguments ‘béton', le pareil comme son contraire. Avec deux raisonnements bien construits, on peut tout aussi bien prouver l'existence de Dieu que l'impossibilité de son existence. Le rationnel me rend fou.

 

Je ne veux être ni romantique[2] (même si je le suis, inévitablement). Les émotions me mènent au piège des humeurs desquelles je suis esclave. Tantôt c'est la bonne humeur, bravo! Tantôt je suis victime de ma mauvaise humeur, c'est l'enfer! Tantôt je suis emporté par n'importe quel type de sentiments qui ont tout pouvoir sur moi et contre lesquels je ne peux rien. Le romantisme me rend esclave.

 

Je ne veux être ni empiriste[3] non plus (bien que je n'aie pas vraiment le choix). Je pense que rien n'existe hors de mon esprit qui conçoit cette réalité qui n'est que construction mentale, spirituelle, illusion.

 

Le rationnel, c'est la folie, le romantisme c'est l'esclavage et l'empirisme c'est l'illusion. On est bien parti J (ça va mal).

 

Je voudrais être classique[4], (au sens d'équilibré, d'harmonieux) mais je n'y arrive presque jamais. Je suis trop encombré à me défaire du rationnel, du romantisme et de l'empirisme. Tout ça fait de moi un passionné qui passe son temps à lutter contre des moulins à vent.

 

Je me définirais plutôt comme un sceptique[5] à aspiration hédoniste[6]. Sceptique parce que je suis, dans ma tête, toujours en train de critiquer, de vouloir nuancer, de juger. J'ai le sentiment que derrière l'apparence, il y a toujours quelque chose de caché qui vient équilibrer, contredire ce qu'on me présente. J'essaie d'ailleurs, par mes réflexions, d'introduire ce que j'appelle la ‘pensée symétrique'. C'est-à-dire que chaque fois que j'entends dire quelque chose, je m'interroge à savoir dans quelle mesure le contraire de cette affirmation ne pourrait pas être tout aussi vrai (ou faux). La ‘pensée symétrique' est celle de l'homme qui voit toujours le pareil et son contraire s'équilibrer et qui s'alimente de ces interminables discussions entre les vérités opposées, les complémentarités, les antagonismes, les paradoxes.

 

Je pense aussi avoir des aspirations hédonistes parce que j'aimerais avoir le courage d'être heureux, libertaire, libertin, malgré mon éducation à tendance stoïque, puritaine, rationnelle et le nouveau courant romantique actuel. Je voudrais me laisser aller à jouir de tous les plaisirs que la vie peut m'apporter mais je me sens encombré de trop d'interdits.

 

Peut-être devrais-je m'inspirer de Philippe Sollers[7] qui dit que : « Le plus beau des courages est celui d'être heureux ». Et pour cela, il apporte ce qu'il appelle le Quadruple remède :

1.     Il n'y a rien à craindre des dieux

2.     Il n'y a rien à craindre de la mort

3.     Il est possible d'atteindre le bonheur

4.     Il est possible de supporter la douleur

 



[1] rationalisme
1. [PHILOS. ]
a. Doctrine selon laquelle tout ce qui existe a sa raison d'être et ne saurait être considéré en soi comme inintelligible (par opposition à irrationalisme).
b. Doctrine selon laquelle la connaissance humaine procède de principes a priori indépendants de l'expérience. (En ce sens, le rationalisme, qui peut être absolu [Platon, Descartes] ou critique [Kant], s'oppose à l' empirisme)
2. (Souvent péjor.). Conception n'admettant dans les dogmes religieux que ce qui est compatible avec la raison.
3. Disposition d'esprit qui n'accorde de valeur qu'à la raison, au raisonnement.

[2] romantisme
1. Ensemble des mouvements intellectuels et artistiques qui, à partir de la fin du
XVIIIe s. en Europe, firent prévaloir la sensibilité individuelle sur la raison et les créations de l'imaginaire sur la représentation classique de la nature humaine.

2. Caractère, comportement d'une personne romantique, dominée par sa sensibilité.

[3] empirisme
1. Méthode qui ne repose que sur l'expérience et exclut les systèmes a priori.

2. Doctrine philosophique développée au XVIIIe s. en Grande-Bretagne, selon laquelle toutes les connaissances procèdent de l'expérience sensible. [Locke et Hume sont ses principaux représentants.]

 

[4] classicisme
1. Caractère de ce qui est classique, conforme à une certaine tradition, notamment en matière littéraire ou artistique.
2. Doctrine littéraire et artistique se signalant par une recherche de l'équilibre, de la clarté, du naturel.

 

[5] scepticisme
1. État d'esprit d'une personne qui refuse son adhésion à des croyances ou à des affirmations génér. admises.
2. [PHILOS. ]
a. Courant de la philosophie antique qui s'est attaché à montrer de façon méthodique que l'esprit humain ne saurait atteindre une quelconque vérité, et qu'il convient donc de suspendre son jugement si l'on veut parvenir à l'ataraxie. (Principaux représentants : Pyrrhon, Sextus Empiricus.)
b. Doctrine qui nie qu'une vérité ou une certitude absolue puissent être atteintes, mais qui préserve la possibilité d'une connaissance expérimentale et scientifique du monde extérieur. (Hume en est l'initiateur.)

 

[6] hédonisme
1. [PHILOS. ] Doctrine morale qui fait du plaisir le principe ou le but de la vie.

[7] Écrivain français paru à l'émission Bouillon de culture dimanche le 2 avril.