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Ne pas être dans sa tête (Les vraies affaires)

par François Brooks

À l'atelier des « Vraies affaires », on a souvent répété « Il ne faut pas être dans sa tête, mais dans ses émotions ». Quelque chose me dérange dans cette remarque ; je voudrais savoir. Est-ce que la personne qui dit ça exprime une émotion en le disant (sinon, elle est en train de dire qu'elle ne devrait pas dire ça J, étant elle-même « dans sa tête ») et si oui, laquelle?

 

Quelle peut être l'émotion qu'elle exprime?

*   Insécurité de ne pas se sentir « à la hauteur » intellectuelle de son interlocuteur

*   Désir de pouvoir en posant ses propres règles dans la communication

*   Désemparée de ne pas comprendre l'autre

 

Pour ma part, j'ai tendance à penser qu'il y a toujours une émotion qui s'exprime même et surtout lorsque ça passe par l'intellect. Alors, pour moi, la question n'est pas que l'autre « n'arrive pas à exprimer ses émotions » (sous entendu, « dans un langage qui me permette de le comprendre ») mais plutôt comment pourrais-je faire pour comprendre l'émotion qu'il est en train d'exprimer? Je me demande ici qui doit prendre à sa charge que la communication émotionnelle passe? L'émetteur ou le récepteur? Quand la communication ne passe pas, dois-je dire « Tu ne sais pas t'exprimer? » (sous-entendu dans « Tu es dans ta tête ») ou  « Je ne te comprends pas »?

 

C'est embêtant parce que, à force de se faire dire « d'être dans nos émotions », je n'ose plus parler. On dirait même que c'est pareil pour les autres : de longs silences (vides, plates, ennuyants) s'installent. Je n'ose plus parler ; on va me faire taire ; je suis dans ma tête. Bien sûr, puisque la construction de ma parole se fait dans ma tête! Si je laissais parler mes tripes ce serait pareil : je roterais, je péterais et j'émettrais des borborygmes. On serait encore incommodé par ce qui émane de moi.

 

Bref, j'ai le détestable sentiment qu'une idée obscure essaie de me faire taire. C'est comme si on me disait : « Exprime-toi mais, mets-toi à ma portée. Dis ce que je suis en mesure de comprendre. Si tu parles, arrange-toi pour qu'on te comprenne ; sinon, ferme-la.  On ne veut pas t'entendre exprimer ce qui sort du cadre de notre compréhension ».

 

Je veux anéantir cette idée en lui disant « merde! ». On ne me fera pas taire en me disant d'exprimer mes émotions. Cette idée est aliénante. Mon intellect et mes émotions ça va ensemble ; vous n'aurez pas l'un sans l'autre et si ça ne fait pas votre affaire, ça vous regarde. Cessez de m'embêter avec votre incapacité à comprendre, à sentir mes émotions à travers mon langage. Quand vous aurez appris à me connaître, vous ne verrez plus l'obstacle de mes paroles et vous sentirez ce que je veux « émotionner » par celles-ci!

 

Vous avez aussi votre part à faire pour que la communication passe et vous ne me ferez pas émonder les pensées nées de mes émotions pour qu'elles s'ajustent à ce que votre intellect est capable de concevoir. Si mes émotions sont d'une nature complexe et nuancée, j'estime avoir le droit d'être aimé comme tel et non être soumis à l'exclusion. Ça vous demandera peut-être un effort supplémentaire mais vous verrez peut-être s'ouvrir chez-vous de nouveaux horizons émotionnels. À moins que ça vous effraie?