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Notre guerre

par François Brooks

Je suis né dix ans après la fin de la deuxième guerre mondiale et, en 42 ans, je n'aurai jamais connu la guerre. Quelle chance j'ai eue! La guerre sépare les époux ; elle fait perdre aux pères le contact avec ses enfants ; elle détruit les foyers et prive la mère des revenus qu'apporte le père. Lorsque le père revient, les enfants ont vieilli et ils ne sont plus reconnaissables ; les époux sont comme des étrangers ; les vies se sont refaites. Non, je n'aurai pas eu besoin de la guerre pour vivre tout ça ; le féminisme a fait les mêmes ravages dans ma vie sans tuer personne, si on excepte les suicides ou les suicides élargis à la famille.

Le féminisme a été une drôle de guerre ; il a été notre guerre. Je me demande qui a gagné cette guerre mais je sais bien qui l'a perdue : ce sont les familles. Avec les vieillards oubliés dans les centres d'accueil, les enfants donnés aux garderies et aux écoles — la clef au cou — , ce sont maintenant les deux parents qui sont devenus absents pour se mettre au service du dieu consommation. Et lorsqu'ils sont réunis sous le même toit pour quelques heures, les membres d'une même famille se précipitent pour faire le quotidien à toute vitesse. Sinon, ils se divertissent devant chacun son écran.

Qu'y avez-vous gagné mesdames? Je voudrais bien le savoir. L'égalité? Peut-être. Oui. Vous portez désormais des pantalons. Vous fumez autant que les hommes et vous buvez autant de café et d'alcool. Vous travaillez, je veux dire, vous vendez vos vies maintenant, comme les hommes. Vous participez à la société automobile comme eux et vous êtes en train de les rejoindre dans les statistiques sur les maladies cardiaques et autres. Bientôt vous serez aussi égales dans celles de la longévité peut-être. Après tout, à quoi vous servirait-il de vivre plus longtemps que les messieurs ; vous n'aurez plus besoin de ces années pour raconter à des petits enfants absents les mille anecdotes familiales que vous n'aurez pas vécues avec leurs parents. C'est à ce moment-là que vous toucherez le salaire de votre égalité et que vous vous demanderez peut-être si votre féminisme n'a pas été un exercice « d'égalitarisation » par le bas. À vous suivre dans votre mouvement, vos filles endettées ont déjà toutes les misères du monde à générer vos petits enfants avant que leur horloge biologique leur dise, à 40 ans, que c'est trop tard.

Oui, notre guerre a tué. Elle a tué la famille et les enfants dans le ventre de combien de vos filles avant-même qu'ils ne naissent. Quelle guerre propre! La guerre féministe-consommatrice de la liberté égalitaire. Vous pourrez toujours vous déculpabiliser en pensant que votre noble cause nous a évité les malheurs de la surpopulation mais dans notre pays sous-peuplé, vous ne bernerez que vous-mêmes et vous jalouserez peut-être ces beaux étrangers qui sont venus chez nous reprendre le drapeau de la famille.

C'est drôle de penser que les guerres ont le plus souvent pour but d'empêcher l'invasion d'un pays par des étrangers, alors que dans la nôtre, ce sont les étrangers qui nous fournissent, par l'immigration, les familles nécessaires à renouveler celles que les féministes-consommatrices ont décimées. Je les aime ces nouveaux arrivants. Puissent-ils nous apporter un répit et de nouveaux espoirs dans notre guerre insensée.

Philo5
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