060111

Des femmes prudentes...[1]

par François Brooks

 Si j'ai bien compris votre propos, madame Hélène Cossette, je serais doté d'une tare biologique qui fait de moi, en tant qu'homme, un être financièrement moins évolué que la femme. Le groupe du genre auquel j'appartiens serait condamné statistiquement à l'infériorité « Boys will be boys ». Quelle tristesse! Et moi qui croyais que l'homme était l'égal de la femme! Bien sûr, quand j'étais petit – j'ai maintenant 50 ans – on m'avait appris que mon sexe était fort et le vôtre faible. Plus tard, on avait rectifié en m'apprenant qu'en vertu du fait que la force physique était devenue inutile, la femme devenait l'égale de l'homme. Mais voilà que vous m'apprenez que les rôles sont maintenant inversés : la femme est supérieure... financièrement !!! Elle manquait au canif multi-lame féministe celle-là.

Puis-je me permettre d'attirer votre attention sur quelques points qui, dans la construction de votre article, me semblent procéder d'une logique pour le moins discutable.

1. Le ton est clair dès le premier paragraphe. La femme préfère confier la gestion de ses finances à un gestionnaire étranger (qui va bien sûr tirer profit d'elle). Que doit-on penser d'un conjoint qui se méfie de nous? Bien sûr tout partenaire de vie n'est pas un conseiller financier avisé mais pourquoi serait-ce la norme de ne pas lui faire confiance?

2. Vous citez une source qui m'est inconnue. Qui est SCOP Recherche Marketing? Quel était l'objectif de l'étude que Desjardins leur a confié? Comment croire que cette étude puisse avoir été commandée dans l'intention  sexiste qui filtre à travers votre interprétation?

3. Deux autres sources que vous citez proviennent d'un pays qui n'est pas le mien. Pourquoi devrais-je me reconnaître dans ces statistiques?

4. Une de ces enquêtes s'appuie sur un échantillonnage ridiculement petit : 1000 investisseurs. L'autre présente quatre fois plus d'hommes dans l'échantillonnage que de femmes. Comment pouvez-vous les présenter comme pertinentes?

5. Il est reconnu qu'une personne ayant le derrière dans un four et la tête dans le congélateur est « statistiquement confortable ». Il est donc d'usage d'utiliser ce genre d'argument avec prudence. L'ensemble de votre démonstration reposant sur l'argument statistique ne démontre-t-il pas votre imprudence, cette chose si néfaste que vous dénoncez chez l'homme?

Des arguments statistiques oui, mais pour leur faire dire quoi?

1. Que les femmes gèrent avec prudence alors que les hommes le font par défi et amour du risque. Si je comprends bien, l'audace masculine tient lieu de défaut dans votre esprit.

2. Que les femmes ont des valeurs éthiques alors que les hommes ne sont d'abord mûs que par l'appât du gain. Être homme, est-ce donc d'abord être immoral?

3. Que les femmes font moins d'erreurs que les hommes dans leurs investissements. Elles apprennent de ces erreurs alors que cette faculté est déficiente chez l'homme. Les hommes s'entêtent donc à être audacieux, et bien sûr, comme ci-haut, il faut voir dans cette qualité un défaut.

4. Qu'il est donc plus facile pour une femme de s'en tirer financièrement puisque « ELLE » est meilleure, plus bonne etc. ... CQFD

Après avoir louangé le fait que vous soyez femme, (grand bien vous fasse, faudrait-il que je m'attriste d'être né homme?) vous ajoutez (j'ai dû relire trois fois pour m'assurer que je n'avais pas la berlue) que votre sexe est doté de prudence ainsi que de modestie rentable (!!!) Quelle modestie! Expliquez-moi comment on peut se taper les bretelles d'être modeste?

On nous avait habitué à protéger des femmes « faibles et vulnérables », voilà que vous nous démontrez que c'est maintenant l'homme qui est statistiquement désavantagé. Pourquoi ne pourrions-nous pas plutôt reconnaître la complémentarité nécessaire et utile de chaque groupe? Pourquoi ne pas faire un dossier qui démontrerait la rentabilité du risque?

Quand on sait que le principal moteur du rendement économique est le risque, et que c'est d'ailleurs ce risque qui justifie des gains d'autant plus élevés, je me demande si nous vivons dans le même monde. « Hé les filles, ne risquez rien! Laissez les gars se casser les dents! », semblez-vous dire. Mais si personne ne prenait l'initiative d'investir dans les entreprises les plus risquées n'auraient-elles pas vite fait de toutes disparaître? Ainsi donc, si le comportement féminin à l'investissement que vous louangez devait se propager, si les hommes « féminisaient » leur comportement financier, ne craindriez-vous pas que l'économie globale en souffre? Les entreprises plus risquées ne sont-elles pas souvent très utiles? Je vous laisse trouver les exemples...

Quel gain tirez-vous de ce triste exercice d'écriture? Expliquez-moi quel sentiment vous cherchez à faire naître chez les femmes et les hommes qui vous liront? Et même si c'était vrai, par exemple, que les blancs sont supérieurs aux noirs comme l'avait démontré si élégamment Gobineau au XIXe siècle, quel autre but peut-on viser en affirmant une telle « vérité » que susciter haine et ressentiment? Avons-nous besoin de provoquer de tels sentiments?

J'ai investi toutes mes économies à la Caisse populaire Desjardins. Depuis longtemps aussi, j'ai influencé de nombreux amis et amies à faire de même en leur expliquant la vocation communautaire de cette institution québécoise inaugurée par monsieur Desjardins, un homme qui a pris des risques que vous n'auriez peut-être pas eu l'audace de prendre.

J'avais coutume d'apprécier la lecture du journal Mes finances Ma Caisse qui a toujours évité d'alimenter la polémique sexiste qui obnubile la pensée populaire actuelle. J'espère que ce dossier n'est qu'un cas isolé et que je pourrai à l'avenir compter sur la neutralité à laquelle j'étais habitué pour ainsi continuer à lire ma Revue des membres de Desjardins sans éprouver l'inconfort de me faire sentir diminué en tant qu'homme.

[1] Lettre ouverte en réaction à l'article du même titre : « Des femmes prudentes... » de madame Hélène Cossette, journaliste et auteure du dossier « Femmes et finances personnelles » paru dans la revue des membres de Desjardins : Mes Finances Ma Caisse Nov.-déc. 2005.

Philo5
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