030210

Pédophilie et complexe d'Oedipe

par François Brooks

Nous cherchons à faire survivre l'amour romantique des débuts comme si la seule fonction de la fleur était de resplendir lorsqu'elle est à l'apogée de son épanouissement. Nous refusons les autres cycles. Mais quand l'enfant naît, quelque chose change et une question surgit : Comment doit-on l'aimer? Quelles sont les manifestations d'amour souhaitables et quelles sont celles dont les parents et les enfants doivent s'abstenir et pourquoi?

Freud nous avait déjà assez bien expliqué la dynamique du développement psychosexuel chez l'enfant. En gros, le garçon, affublé dès la naissance du complexe d'Œdipe (et complexe de Jocaste pour les filles) désire tuer son père pour prendre sa place dans le lit conjugal. Ce premier mariage mythique crée une dynamique émotionnelle dont le père doit aider son garçon à sortir pour que celui-ci mature et « divorce » de sa mère pour ensuite jeter son dévolu sur une partenaire de son âge. Pour le père et sa fille, une dynamique semblable s'opère. Freud a démontré que le premier partenaire dans la vie de chacun était le parent de sexe complémentaire. Ceci est un processus normal que nous devons accepter de vivre sereinement, mais il y a des balises. Notre société a adopté cette façon de voir en interdisant formellement tout échange sexuel entre parents et enfants. L'amour c'est bien mais le sexe non! Caresses, oeillades et sentimentalité oui, mais touche-pipi, non.

Pourquoi? Du temps de mon grand père on prohibait l'inceste parce qu'une grossesse non désirée doublée d'un bébé taré était à craindre. L'Église gérait cette morale par des sermons et la peur de l'enfer. Ça suffisait. Dans les années '60 est apparu la contraception efficace et l'idéologie Peace-and-Love. Les raisons de mon grand père furent alors invalides et la morale de l'Église disqualifiée. Il a fallu revenir à Freud pour comprendre l'interdit de l'inceste autrement et le remettre en force.

Du coup, les enfants sont devenus objets d'affection. S'ils avaient autrefois un rôle social et familial productif, comme remplir des tâches à leur mesure. Après Freud, ils sont devenus des objets d'affection. Ils ont changé complètement de statut social. Nous pensons maintenant que les enfants ne doivent pas travailler avant d'avoir obtenu le diplôme d'études, éludant pourtant le fait que pour l'obtenir, ceux-ci doivent livrer un travail soutenu durant une douzaine d'années sur les bancs d'école. Quoique depuis peu les enfants n'y travaillent presque plus même s'ils sont tenus de se rendre en classe, laquelle est devenue une sorte de garderie où on leur reconnaît quand même le droit au diplôme. (voir les récentes réformes en éducation au Québec). Mais quel est donc le rôle de l'enfant? Mettre un enfant au monde, oui, mais pourquoi faire?

Pour l'amour! Me direz-vous. Très bien. Quel genre d'amour?

  1. Est-ce pour l'amour hédoniste qui vise essentiellement la satisfaction des sens? Il fascine l'œil par les belles formes qui attirent l'attention. Par ses caresses, il envoûte le corps qui exulte. Mais il apporte l'ennui lorsqu'il se retire et fait souvent l'objet d'une forte réprobation sociale. Celui-ci s'apparente à la pédophilie et il ne pourrait être un motif souhaitable pour mettre des enfants au monde.

  2. Est-ce pour l'amour romantique qui crée les passions, enflamme l'âme et nous transporte au paradis, mais, désastreux lorsqu'il se retire et nous projette en enfer? Celui-ci a actuellement la faveur sociale. Pourtant, au siècle de mon grand-père, il était dénoncé comme on dénonce aujourd'hui la pédophilie. On le fuyait comme on fuit maintenant les drogues dures.

  3. Est-ce pour l'amour stoïque, celui qui vise l'éducation et l'instruction loin des bonheurs mielleux ; celui qui vise à ce que l'enfant devienne autonome, responsable et fait la fierté de ses parents? Mais son côté déplaisant apparaît dans l'ingratitude qu'il génère souvent. C'est dans ce type d'amour que mes années de collège ont baigné. C'est celui qui me semble le plus approprié mais le plus difficile à donner puisqu'il n'apporte rien en retour immédiatement. Rien d'autre que la satisfaction d'avoir accompli son devoir de parent et l'espérance d'une certaine pérennité des valeurs transmises.

On dira peut-être que la question est mal posée. On ne met pas un enfant au monde pour soi ; on met un enfant au monde pour lui-même, pour qu'il soit heureux. Les parents doivent favoriser l'éclosion de ce bonheur. Drôle de motif si tant il est vrai qu'un enfant non né n'est sûrement pas malheureux.

En fait, l'enfant de nos jours n'a qu'un seul rôle : faire rêver ses parents ; et un seul devoir, une seule cause et une seule finalité : être heureux. Et puisqu'on pense que le bonheur est dans l'avoir et non dans le devoir, on lui donne tout sans rien exiger en retour. On lui fournit le gîte, on le vêt, on le nourrit, le lave, le soigne, l'instruit, on l'éduque, le divertit, le paye et on lui prodigue notre tendresse avec une indulgence infinie. Je me demande souvent si ce comportement n'est pas l'expression de parents coupables d'avoir condamné à mort leur enfant en le mettant au monde. Comme on veut se faire pardonner, on crée ainsi une relation bourreau-victime où l'enfant a tous les droits et le parent tous les devoirs. Et l'on s'étonne qu'à vingt ans il ne soit pas heureux et reste adolescent encore même passé l'âge de trente ans.

Mais qu'en est-il de la pédophilie dans tout ça? Pas seulement les problèmes de touche-pipi qui sont des débordements interdits par la loi, mais celle que Freud a reconnue dans les familles au début du siècle dernier. Cette affection débridée que les parents ont pour leurs enfants et qui en fait des rois capricieux. Qu'en est-il de cet amour de l'enfant qui comble si bien la mère que celle-ci congédie l'amour du conjoint aussitôt que l'enfant est né puisqu'elle n'a besoin d'aucune autre source d'affection pour se satisfaire? Bien sûr, les besoins sexuels refaisant toujours surface, de temps en temps, l'ex-épouse se trouve un nouveau partenaire — il faut bien que le corps exulte. Mais l'enfant jaloux aura vite fait de mettre la pression pour que l'intrus s'en aille.

Doit-on s'étonner que les enfants soient de plus en plus utilisés comme conjoints, laissant ainsi libre cours à leurs pulsions œdipiennes? Les histoires relatant qu'un père a vécu avec sa fille des relations sexuelles se multiplient dans les nouvelles et font les beaux jours de cette presse vorace de transgressions. Mais qu'en est-il de la pédophilie féminine? Chez les femmes dont les besoins sexuels sont d'une nature plus romantique on évite le touche-pipi mais l'enfant n'en partage pas moins le lit maternel.

Paris Match du 30 août 2001

Cette photo d'Hélène Ségara avec son fils, dans une situation pour le moins compromettante, est pourtant passée inaperçue.

Dans son film Comment ma mère accoucha de moi durant sa ménopause, Sébastien Rose met en scène une mère incestueuse présentée comme la chose la plus naturelle du monde.

Élisabeth Badinter nous dit que Le lien érotique entre la mère et l'enfant ne se limite pas aux satisfactions orales. C'est elle, qui, par ses soins, éveille toute la sensualité, l'initie au plaisir, et lui apprend à aimer son corps. La bonne mère est naturellement incestueuse et pédophile.[1] Ainsi la pédophilie féminine est une vertu. Celle de l'homme un désastre. Elles ont chassé le mâle et se satisfont de leur progéniture sans que l'on ne dénonce cette perversion. Au contraire, elle s'affiche comme naturelle et bénéfique. Où est le père qui doit faire de son fils un homme et lui apprendre à devenir autre chose que l'objet de sa mère? Le père doit sortir son fils des jupons de sa mère, disait-on à l'époque. Cette perversion ne fait pas moins de ravages aujourd'hui, mais on ne le dénonce plus.

Si le garçon voit sa vie détruite par une mère incestueuse, il en est seul responsable. Si la fille voit sa vie détruite par un père incestueux, c'est le père qui est fautif. J'ai beaucoup de difficulté avec cette logique qui fait de la femme un être essentiellement angélique et de l'homme un être d'essence diabolique. Il me semble que nous sommes loin de l'égalité réclamée par les premières féministes. Ne font-elles pas partie du genre humain comme nous?

La nouvelle donne qui consiste à avoir perdu de vue que l'enfant à un rôle social à jouer autre que de subvenir à ses propres besoins narcissiques et à ceux de ses parents très souvent séparés n'a-t-elle pas favorisé le comportement de partenaires utilisant celui-ci comme substitut de l'amour du conjoint congédié? Ne sont-ils pas tout aussi néfastes l'un que l'autre puisqu'ils placent l'enfant dans un rôle de conjoint trop tôt alors que celui-ci a d'abord besoin de modèles parentaux solides stables pour maturer vers un amour responsable?

[1] Élisabeth Badinter, X Y de l'identité masculine, © 1992 Éditions Odile Jacob, Le Livre de Poche, p. 76.

Philo5
                    Quelle source alimente votre esprit ?