MES LECTURES - Passages choisis 

Yvon Dallaire

2005-05-15

Option Santé © 1996

S'aimer longtemps [1]

SOMMAIRE

Les étapes de la vie amoureuse

1. La passion

2. La lutte pour le pouvoir

3. Le partage du pouvoir

4. L'engagement

5. L'ouverture sur autrui

Le paradoxe de la passion

Les étapes de la vie amoureuse
La relation amoureuse évolue selon des étapes qui ont été très bien analysées 

1. La passion

Pendant la séduction qui culmine dans la phase de la passion, première étape de la relation amoureuse, vous n'êtes pas encore certain que la relation est bien établie ; hommes et femmes se montrent alors sous leur plus beau jour afin de séduire et de conquérir l'autre. C'est pendant cette phase que les hommes sont les plus communicatifs et les plus attentifs : ils soignent leur image et sont intéressés par tout ce que vous dites ; ils n'ont d'yeux que pour vous et vous complimentent sans cesse. C'est pendant cette phase que la femme regarde et écoute l'homme avec la plus grande admiration : elle est toujours prête à se coller et à faire l'amour avec vous, aussi souvent que vous le désirez ; elle ne vous critique jamais et est prête à vous suivre dans tous vos projets.

En même temps, vous auréolez la personne convoitée : c'est votre âme soeur, votre prince, votre princesse et l'amour que vous éprouvez l'un pour l'autre surmontera toutes les épreuves. Vous passez vos nuits à bavarder et à faire et à refaire l'amour. Vous ne pouvez plus vous passer l'un de l'autre : vous êtes éperdument amoureux, peut-être même pour la véritable première fois de votre vie. C'est la phase que nous voudrions faire durer toujours.

Les biochimistes ont démontré que, pendant cette phase, le cerveau humain produisait une hormone appelée la phényléthylamine. C'est cette hormone qui serait responsable des états euphoriques que nous vivons lorsque nous sommes en amour. Cette hormone aurait les mêmes effets que la cocaïne. Si la personne désirée vous quitte lors de cette période, c'est le manque, la peine d'amour. Si vous êtes un drogué de la phényléthylamine, c'est vous qui partirez lorsque vous sentirez votre passion diminuer pour trouver ailleurs une nouvelle flamme qui stimulera de nouveau la production de phényléthylamine. Vous irez de passion en passion, incapable d'un véritable engagement amoureux.

Par contre, si vous acceptez la baisse de la passion, votre cerveau remplacera la production de phényléthylamine par la production d'endorphines qui, elles, possèdent les mêmes propriétés que la morphine. Vous vivrez alors des jours de bonheur tranquille : vous pourrez dormir en paix, en silence, dans les bras l'un de l'autre. Vous n'aurez jamais été aussi bien, aussi en harmonie de toute votre vie. Votre couple vous comblera.

Hélas, la passion... passe ! En fait, pendant la phase de passion, vous n'étiez pas réellement amoureux de l'autre personne : vous étiez amoureux des sensations provoquées dans votre corps et votre tête par l'idée que vous vous faisiez de l'autre personne. Vous avez ignoré tous ses petits défauts ; vous n'avez vu et entendu que ce qui faisait votre affaire ; vous avez mis de côté tout ce qui pouvait émousser votre passion. Et vous vous êtes mariés ou, comme disent les Espagnols, vous vous êtes « mis en maison » (casarse), vous avez commencé à cohabiter.

2. La lutte pour le pouvoir

Mais voilà que votre corps et votre tête se sont accoutumés aux effets de la phényléthylamine et des endorphines. Vous êtes toujours heureux, heureuse, mais l'intensité de votre bonheur s'est atténuée et vous revenez progressivement sur terre. Surpris vous vous rendez compte que votre prince charmant se conduit parfois comme un crapaud, que votre princesse charmante sort de plus en plus régulièrement ses griffes et ses crocs. Vous prenez contact avec la personne réelle avec laquelle vous êtes en amour.

Vous entrez dans la deuxième phase de votre relation de couple : la lutte pour le pouvoir. L'anxiété et l'insécurité de la séduction et de la passion vous forçaient à vous montrer sous votre meilleur jour ; la sécurité de votre bonheur et la certitude que l'autre vous aime vous permettent de vous laisser aller et de vous montrer sous votre vrai jour. Vous ne faites plus semblant, vous êtes vous-mêmes et vous commencez à dire et même à exiger ce que vous attendez de votre relation de couple. Vous l'aviez déjà dit, mais l'autre vous admirait et il(elle) n'avait pas réellement entendu ce que vous disiez. S'il est vrai que l'amour est aveugle, il rend sourd aussi.

C'est alors que vous vous apercevez que l'autre ne partage pas tout à fait vos points de vue sur les loisirs, l'argent, le choix de la maison, la répartition des tâches ménagères, le nombre et l'éducation des enfants, les ami(e)s, la fréquence des rapports sexuels, le type et l'endroit de vos vacances, le choix des films... en fait, la façon d'aimer et de s'investir dans le couple.

Vous vous rendez compte qu'il met l'accent sur sa carrière, alors que vous voudriez qu'il s'occupe davantage de la famille. Vous constatez qu'elle veut bien faire l'amour, mais à sa manière. Vous êtes méticuleuse, il laisse tout traîner. Vous adorez les argumentations serrées, elle met de l'émotion partout. Vous aimez les grands rassemblements de famille, il préfère aller à la chasse ou à la pêche avec ses amis. Vous aimez lire votre journal le matin, elle a toujours quelque chose à vous reprocher. Vous aimez les téléromans ; il préfère les émissions sportives. Il projette une retraite dans le sud ; vous préféreriez être près de vos petits-enfants. Ainsi de suite.

Cette lutte pour le pouvoir est inévitable et même nécessaire. C'est cette lutte qui nous permet de savoir à qui nous avons affaire et qui nous permet d'affirmer nos besoins et nos attentes face au couple. Cette lutte amène les deux partenaires à se situer l'un par rapport à l'autre. Malheureusement la majorité des couples s'enlise dans cette lutte et s'engage dans des impasses :

« C'est toi qui as commencé ! » « Non, c'est toi ! »
« Si tu m'écoutais aussi quand je te parle. »
« Toi et ta maudite famille ! Vous êtes tous pareils. »
« Si t'arrêtais de critiquer pour faire changement. »
« Si tu ne remettais pas toujours tout à demain. »
« Si tu te ramassais, aussi. »
« Si tu faisais un homme (une femme) de toi. »
« Qu'est-ce j'ai fait au bon Dieu pour me retrouver avec toi ? »
« On dirait que tu le fais exprès. »
« Je te l'avais bien dit. »
« Tu les (en parlant des enfants) laisses toujours en faire à leur tête. »
« Tu n'as qu'à t'en occuper un peu plus (des enfants). »
« Tu veux toujours avoir raison. »
« De toute façon, tu ne comprendras jamais rien. »
« Bon, c'est reparti ! »
« C'est ça, va-t-en ! »

Ces paroles vous sont familières. Ne vous en faites pas, vous êtes normaux. Nos deux amants intimes et passionnés deviennent, lors de cette phase, deux ennemis intimes. Tous les deux s'aiment et veulent continuer à s'aimer, mais les frictions sont de plus en plus nombreuses. Ces frictions sont dues aux différences existant entre les hommes et les femmes, aux différences existant entre cet homme particulier et cette femme particulière ; mais elles sont aussi dues à nos attentes frustrées face à la vie de couple et au paradoxe de la passion [voir plus loin, Le paradoxe de la passion].

À ce stade, se joue l'avenir du couple. Plus de la moitié des couples divorceront et beaucoup répéteront la même dynamique avec un nouveau partenaire. Trente pour-cent 30% des couples se résigneront, développeront une relation de couple déséquilibrée, se feront une guerre entrecoupée de périodes d'accalmies (sursaut de production de phényléthylamine) et chercheront des compensations dans le travail, la famille ou ailleurs. À peine 20% des couples réussiront à transformer cette lutte inévitable pour le pouvoir, en partage du pouvoir, troisième étape de la vie de couple.

3. Le partage du pouvoir

Pour bien comprendre la dynamique du couple, comparons-le à une journée. Une journée est constituée d'un jour et d'une nuit dont la durée varie selon les saisons. Le jour est rempli de lumière et d'activités. La nuit est remplie d'obscurité et de repos. À l'aube et au crépuscule, le jour et la nuit se rencontrent. Ces deux périodes sont remplies d'harmonie et de paix : il ne fait ni jour, ni nuit, il ne vente pas, les oiseaux ne chantent plus, le temps est comme suspendu. Nous le voyons, le jour et la nuit se complètent pour former la journée, comme le yin et le yang le font pour constituer le Tao.

L'homme possède des facultés qui lui sont uniques et une façon bien à lui d'envisager la vie et le couple ; la femme possède des facultés qui lui sont uniques et une façon bien à elle d'envisager la vie et le couple. La femme peut remplir des fonctions (grossesse, enfantement et allaitement, séduction, préoccupations relationnelles, réceptivité, capacité de relation symbiotique) que l'homme ne peut remplir, ni même comprendre. L'homme possède des capacités (force physique, créativité matérielle, esprit de compétition, intrusivité [2], instinct de chasseur, besoin d'indépendance) que la femme ne peut égaler ni même comprendre.

On ne peut demander à l'homme de remplir les fonctions féminines et vice-versa, tout comme on ne peut demander à la nuit de remplir les fonctions du jour et vice-versa. On ne peut demander aux deux que de se compléter pour former un tout. La femme ne peut demander à l'homme de vibrer en symbiose avec elle comme elle peut le faire avec son foetus ; l'homme ne peut s'attendre à ce que la femme « embarque » dans ses activités comme il peut le vivre avec ses amis ou ses associés. Ces deux attentes sont des illusions parmi tant d'autres.

Dans le partage du pouvoir, l'un et l'autre, après avoir pris connaissance des particularités individuelles de cet homme et de cette femme, acceptent d'utiliser ces particularités, différentes et parfois contradictoires, pour former leur couple. L'un et l'autre ne cherchent plus à transformer l'autre pour répondre à ses attentes propres ; l'un et l'autre n'accusent plus l'autre d'être le responsable de la frustration de ses illusions adolescentes face au couple. Les deux prennent conscience qu'ils sont amants et ennemis intimes (il y aura toujours des différends, même dans les couples les plus heureux), mais les deux mettent dorénavant l'accent sur l'intimité et l'apport personnel, quoique différent, de chacun dans ce couple unique. Les deux exploitent les qualités de l'autre au profit du couple (et de la famille). Les deux partagent le pouvoir qu'ils transfèrent maintenant au couple, comprenant que seul le couple, et non pas l'autre, peut satisfaire les besoins de chacun.

4. L'engagement

L'un des principaux indices démontrant que le couple a partagé le pouvoir et qu'il est prêt à entrer dans la quatrième phase de son évolution, est qu'il lui est redevenu maintenant plus facile de dire « Je t'aime ». Durant la lutte pour le pouvoir, « Je t'aime » était souvent étouffé par « Je te déteste ». Durant cette phase, dire « Je t'aime » équivalait à donner plus de pouvoir à l'autre. Le « Je t'aime » de la troisième phase n'a plus du tout la même signification que le « Je te mangerais » de la passion fusionnelle. Il signifie plutôt « Je m'engage ».

« Je connais maintenant tes défauts et tes qualités, tes forces et tes faiblesses, et je les accepte, même si des fois... »
« Tu n'es plus la belle princesse charmante à laquelle j'avais rêvé, tu n'es plus le prince charmant et fort de mes rêveries, ton corps a même subi l'épreuve du temps, mais je suis si bien avec toi. »
« Je connais un peu mieux tes besoins et tes attentes face à Nous et je m'engage à tout faire pour les satisfaire ; nous savons très bien que je n'y parviendrai pas, mais je sais que tu vas apprécier mes efforts. »
« Je ne veux plus te changer, je t'accepte tel(le) que tu es. »
« Tu n'es pas le(la) partenaire idéal(e), j'aurais pu vivre avec quelqu'un d'autre, mais je suis content(e) du chemin que nous avons parcouru et je veux continuer de vieillir avec ce Nous. »

Le « Je t'aime » de la quatrième phase signifie en fait « Je Nous aime ».

Les deux amants sont devenus de réels complices. C'est à cette étape-ci que l'on devrait contracter mariage et non au moment de la passion aveuglante.

5. L'ouverture sur autrui

Il est facile, au restaurant par exemple, de différencier les vieux couples qui s'aiment de ceux qui se sont fait la guerre et qui ne parviennent plus à communiquer. Les couples heureux se touchent, se regardent, se parlent ; leurs yeux sont pétillants ; ils sont animés. Ils respirent l'harmonie et la paix et deviennent, pour nous, des exemples que la vie à deux est possible. C'est ce que j'appelle l'ouverture sur autrui, la dernière étape de l'évolution du couple.

D'ailleurs, ces couples, souvent à la retraite, s'impliquent socialement, font du travail bénévole ou sont tout simplement toujours prêts à partager leur bonheur avec leurs enfants, leurs petits-enfants, leur entourage immédiat et lointain. Ils font preuve d'une très grande réceptivité, ayant été, malgré les épreuves inévitables de la vie, comblés par celle-ci. Ils deviennent des modèles à imiter et sont souvent des modèles enviés.

À l'inverse, il est facile aussi d'identifier, toujours au restaurant, les couples qui en sont encore à l'étape de la passion ou ceux qui n'ont jamais surmonté la lutte pour le pouvoir. Ces derniers échangent à peine quelques propos ; l'homme lit souvent un journal ou jette des regards tout autour ; la femme, tête baissée, regarde son mari par en dessous, espérant qu'il s'intéresse à elle et lui en voulant de ne pas le faire. La tension entre les deux est évidente, tout comme, pour les jeunes couples, la passion est évidente parce que rien n'existe autour d'eux.

Le paradoxe de la passion

Au début des histoires d'amour, les deux partenaires sont dans le même état : désireux de construire la relation et incertains de pouvoir le faire. Les deux augmentent alors leurs comportements séducteurs afin de s'assurer le contrôle émotionnel de l'autre : ils conjurent ainsi la peur d'être rejetés et développent la certitude d'être aimés.

[...]

Sauf qu'après un certain temps votre besoin de fusion se trouve satisfait et vous commencez à éprouver le besoin de prendre une certaine distance. En effet, la satisfaction du besoin de fusion fait disparaître cette nécessité. Vous devez alors vous retirer pour qu'à nouveau, puisse renaître le besoin de fusion. La passion tue le désir et le désir ne peut renaître que de la frustration du désir : je désire ce que je n'ai pas, pas ce que je possède. « Quand tu es loin, je veux me rapprocher de toi ; quand je suis satisfait [rassasié] de toi, je veux m'éloigner » : tel est le paradoxe de la passion.

[...] C'est dans l'étape du partage du pouvoir que le couple doit créer ce que Delis et Phillips [3] appellent la juste distance, c'est-à-dire un espace où le besoin de fusion et le besoin d'autonomie peuvent trouver chacun leur satisfaction.

Tous les couples doivent donc apprendre à gérer un certain déséquilibre dans leur relation émotionnelle car il y a dans tout couple une certaine lutte pour le pouvoir, pour contrôler la source de satisfaction et les besoins amoureux. Ceci est tout à fait normal. Mais parfois, ce déséquilibre augmente et les conflits se développent.

[...] Donner de l'affection satisfait et rassure le dominé qui devient alors moins exigeant. La loi fondamentale du paradoxe dit que, lorsque votre besoin de fusion est satisfait, le besoin d'autonomie augmente.

[1] Yvon Dallaire, S'aimer longtemps, Option Santé © 1996,
Ch. 5 : Évolution de la vie amoureuse, pp. 49-57 (les cinq étapes),
Ch. 6 : Le paradoxe de la passion, pp. 62-63, 65 et 81.
Les images proviennent de l'article publié sur le site canoe.ca (page consultée le 15 mai 2005).

* * *

Les statistiques sont alarmantes : 67% des couples mariés après 1990 divorceront. La plupart le feront la 4e ou 5e année de leur mariage ; les autres attendront le départ de leurs enfants. La bonne nouvelle, c'est que de moins en moins de couples acceptent de se résigner et de se faire la guerre pendant un demi-siècle. Ce qui ne laisse qu'un maigre 20% des couples qui, la plupart du temps, sont heureux. Pourtant, selon l'auteur, ce n'est pas faute d'amour et de bonne volonté de la part des partenaires. Les raisons seraient plutôt le manque de connaissances des différences existant entre les hommes et les femmes, l'ignorance des dynamiques inhérentes à la vie de couple et la non-compréhension ou le refus de la manière de l'autre de s'investir dans le couple.
Basé sur les récentes découvertes de la neuropsychologie moderne et de la nouvelle science de l'homme et de la femme, ce livre explique les relations homme-femme et permet aux couples de mieux comprendre l'Autre pour pouvoir vivre plus heureux et plus longtemps avec cet Autre. Tous les couples se reconnaîtront dans cette seconde édition, complètement revue et augmentée, de S'aimer longtemps. Un livre à lire en couple.

Yvon Dallaire possède une maîtrise en psychologie de l'Université Laval et une formation en psychologie sexuelle du Collège International des Sexothérapeutes Spécialistes et de l'Institute for the Advanced Study of Human Sexuality (Californie). Il est membre de l'Ordre des Psychologues du Québec et du Répertoire Canadien des Psychologues. Il a enseigné la psychologie du comportement sexuel au Cegep de Ste-Foy et exerce maintenant en pratique privée au Centre Psycho-Corporel de Québec, dont il est le fondateur. Auteur de Chéri, Parle-Moi... (1997), de recueils pédagogiques et de nombreux articles, Yvon Dallaire a participé à plusieurs émissions de radio et télévision. Il donne également des conférences au Québec et hors Québec.

[2] Intrusivité : néologisme, de l'anglais « intrusiveness », capacité d'intrusion.

[3] Dean Delis et Cassandra Phillips, Le paradoxe de la passion - Les jeux de l'amour et du pouvoir, Éd. Laffont, Paris © 1992.
[Voir aussi Schopenhauer, La politesse des porcs-épics.]

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