011118

Monde spectateur (2)

par François Brooks

En visitant le Salon du Livre de Montréal, aujourd'hui, mon attention fut sollicitée par une gentille dame qui m'invitait à visiter le Musée du Château Ramezay. Dans notre conversation, elle déplorait le fait que les Montréalais ne visitent pas beaucoup les musées. Et tout à coup, j'ai eu un sentiment d'indulgence pour tous ces gens qui sont tellement sollicités qu'ils ne savent plus où donner de la tête dans leurs loisirs.

 

Essayons de faire un petit inventaire pour se donner une idée de l'ampleur du phénomène. Bien sûr, il y a l'intention strictement mercantile du solliciteur. Tous ces magasins qui cherchent à nous vendre quelque chose et leur publicité permanente et omniprésente sont une première source de sollicitation de notre attention. Mais à part ça, il y a mille autres organismes qui nous présentent quelque chose à voir. Juste dans le journal du samedi, si je passais à travers tout ce qui m'est proposé en tant que spectacles, visites, activités, livres, musique, cours, télévision, radio, restos, ateliers, musées, voyages, Internet, je n'aurais bientôt plus le temps de rien faire d'autre. Et encore, avant de lire mon journal, j'ai déjà dû éliminer mille autres choix le matin même devant le kiosque à journaux où je l'ai acheté.

 

Le besoin d'accaparer notre attention est devenu si grand qu'il est parfaitement possible aujourd'hui de vivre à Montréal sans jamais avoir à dépenser un sou pour s'informer ou se divertir. Journaux gratuits, spectacles d'été au Parc Lafontaine, musées le mercredi, danse folklorique sur le Mont Royal, sessions d'information, cours de tai-chi, offices religieux, télévision, radio, Internet, bibliothèques, ma seule présence est requise sans débourser quoi que ce soit.

 

Je pense parfois avec nostalgie au temps où nous vivions dans une autre société que la société de communication et où j'avais le temps de m'ennuyer. Rester assis et ne rien faire m'apparaît parfois comme l'activité suprême, tellement je n'en finis plus d'avoir à choisir entre les mille gentilles personnes qui cherchent à occuper mon attention.

 

Je vois tout ceci comme la manifestation du désir d'exister par le regard des autres. Sans le regard d'autrui, je ne suis rien. Et sans ma présence à lui, l'autre n'est rien non plus. L'existence, être. « Être ou ne pas être, voilà la question » disait déjà Shakespeare par la voix d'Hamlet. Si bien qu'il m'arrive souvent d'accorder mon attention à une personne au hasard qui ne dit rien, qui ne demande rien, qui existe sans rien d'autre que mon regard libre sur elle. J'ai alors l'impression de rentrer dans son intimité, d'être véritablement près d'elle. Je la vois comme elle est et non comme elle veut que je la regarde. Peut-être est-ce ça l'authenticité. Tout le reste n'étant que m'as-tu-vu... Mais il faut être prétentieux! Si j'attendais dans mon coin qu'on daigne m'accorder de l'attention, je crèverais de solitude. Tous les autres font tant de tapage que personne ne regarderais mon silence.