MATÉRIALISTES 

Démocrite

 

Texte fondateur

Date inconnue

Fragments [1]

SOMMAIRE

Fragments de Démocrite d'Abdère

Fragments authentiques d'oeuvres indéterminées

Pensées

Fragments de Démocrite d'Abdère

I-II. Éthique.

1

b. — Tritogéneia.

2.

— La réflexion procure trois avantages : bien penser, bien parler et bien agir.

2

c. — De la Tranquillité de l'âme.

3.

— Il faut que celui qui se propose la tranquillité de l'âme ne se charge que de peu d'affaires, aussi bien à titre de particulier qu'à titre de citoyen ; il ne doit rien entreprendre qui dépasse ses forces et sa nature ; il doit se tenir sur ses gardes, afin de pouvoir négliger la fortune, même quand elle lui est hostile ou qu'elle semble l'entraîner irrésistiblement ; enfin, il ne doit s'attacher qu'à ce qui ne dépasse pas ses forces ; la charge que soutiennent nos épaules doit être moins lourde que facile à porter.

4.

— Le plaisir et la douleur constituent la limite de ce qui est utile ou non.

III-IV. Physique.

5

i. — Sur les différentes formes des atomes.

6.

— Il faut que, d'après cette règle, l'homme sache qu'il est loin de la vérité.

7.

— Mes paroles montrent donc qu'il n'y a rien de véritable, mais que l'opinion de tous fait l'opinion de chacun.

8.

— Et pourtant on verra bien nettement qu'il est embarrassant de savoir ce qu'est véritablement chaque chose.

8

b. — Preuves.

9.

— De la réalité nous ne saisissons rien d'absolument vrai, mais seulement ce qui arrive fortuitement, conformément aux dispositions momentanées de notre corps et aux influences qui nous atteignent ou nous heurtent.

10.

— Nous ne saisissons pas véritablement ce que chaque chose est ou n'est pas ; nous l'avons souvent montré.

10

b. — Sur la logique.

11.

— Il y a deux formes de connaissance : l'une véritable, l'autre obscure. À la connaissance obscure appartiennent : la vue, l'ouïe, l'odeur, le goût, le toucher. La véritable connaissance est toute différente. Quand la première se révèle incapable de voir le plus petit, ou d'entendre, ou de sentir, ou de goûter, ou de toucher et qu'il faut pousser ses recherches sur ce qui est plus difficilement perceptible à cause de sa finesse, alors intervient la connaissance véritable qui, elle, possède un moyen de connaître plus fin.

X-XI. Sur les Arts.

16

a. — Sur la poésie.

18.

— Tout ce qu'un poète écrit d'enthousiasme et inspiré par le souffle divin est supérieurement beau.

20

a. — Tritogéneia.

21.

— Homère, qui avait reçu une nature divine, a construit un magnifique édifice de récits variés.

Fragments authentiques d'oeuvres indéterminées

30.

— Quelques-uns, parmi les doctes, lèvent les mains vers ce que nous, Hellènes, nous appelons l'air, en disant : « Sur tout, Zeus délibère en lui-même, il sait, donne et retire tout et il règne sur tout. »

31.

— La médecine soigne les maux du corps, la sagesse supprime les maux de l'âme.

32.

— L'acte sexuel est une courte apoplexie : l'homme sort de l'homme, s'en détache et s'en sépare comme sous l'effet d'un coup.

33.

— La nature et l'éducation sont proches l'une de l'autre. Car l'éducation transforme l'homme, mais par cette transformation, elle lui crée une seconde nature.

Pensées

37.

— Rechercher les biens de l'âme, c'est rechercher des biens divins ; se contenter des biens du corps, c'est se contenter de biens humains.

40.

— Ce ne sont pas les forces physiques ni les richesses qui rendent heureux, mais la droiture et la prudence.

41.

— Évite les fautes, non par peur, mais par sentiment du devoir.

42.

— Belle attitude que penser droit dans le malheur !

43.

— Regretter ses actes honteux, c'est sauver sa vie.

45.

— Celui qui commet l'injustice est plus malheureux que celui qui la subit.

46.

— C'est magnanimité que supporter avec calme le manque de tact.

47.

— Céder à la loi, à l'autorité et à plus sage que soi, c'est avoir le sens de ses devoirs.

48.

— Du blâme des méchants l'honnête homme n'a cure.

52.

— C'est perdre son temps que de vouloir amener à la raison quiconque s'imagine seulement être doué de raison.

53.

— Beaucoup de gens, sans avoir appris ce qui est raisonnable, vivent néanmoins selon la raison.

53 a.

— Beaucoup de gens, tout en agissant très honteusement, parlent très raisonnablement.

54.

— C'est par le malheur que les foules deviennent sages.

55.

— Il faut mettre tout son zèle, non pas à parler, mais à agir et à se comporter selon la vertu.

59.

— On ne peut atteindre ni à l'art ni à la sagesse si l'on ne s'est pas adonné à leur étude.

70.

— Désirer avec excès, c'est agir en enfant, non en homme.

72.

— Désirer violemment une chose, c'est rendre son âme aveugle pour le reste.

74.

— Refuse tout agrément qui ne comporte aucune utilité.

76.

— Ce qui instruit les sots, ce n'est pas la parole, mais le malheur.

82.

— Trompeurs et hypocrites sont ceux qui font tout en paroles et, en fait, rien.

99.

— Il ne vaut pas la peine de vivre, si l'on n'a pas un bon ami.

109.

Ceux qui aiment à blâmer sont, par nature, peu propres à l'amitié.

110.

— Que la femme n'exerce pas sa langue, ce serait terrible.

111.

— Être commandé par une femme serait pour un homme la pire des offenses.

117.

— En réalité nous ne savons rien, car la vérité est au fond de l'abîme.

125.

— La couleur n'existe que par convention ; de même le doux, de même l'amer. Pauvre raison, qui prend chez nous tes arguments et t'en sert pour nous calomnier. Ta victoire est ton échec !

127.

— Les hommes éprouvent à se gratter le même plaisir qu'à faire l'amour.

154.

Nous ne sommes, sur les points importants, que les élèves des autres êtres vivants ; ainsi nous imitons l'araignée pour tisser et repriser, l'hirondelle quand nous bâtissons, les oiseaux — le cygne et le rossignol — quand nous chantons.

155.

Si un cône est coupé parallèlement à la base par un plan, comment faut-il se représenter les surfaces qui en résultent ? Égales ou inégales ? Si elles sont inégales, elles rendront le cône irrégulier, car il présentera des rentrants et des saillants en forme d'escaliers. Si, au contraire, elles sont égales, les sections seront égales elles aussi et le cône aura l'apparence d'un cylindre, dans la mesure où il sera composé de cercles égaux, et non inégaux, ce qui est surprenant.

156.

— Le rien existe aussi bien que le « quelque chose ».

159.

— Si le corps intentait à l'âme un procès, pour toutes les souffrances et les mauvais traitements qu'il a subis de son fait, et si Démocrite était appelé à se prononcer sur l'accusation, il condamnerait l'âme volontiers : n'a-t-elle pas ruiné le corps par ses négligences ? Ne l'a-t-elle pas affaibli par ses enivrements ? Ne l'a-t-elle pas corrompu et déchiré par les voluptés ? De même, quand un instrument ou un outil est en mauvais état, on rend responsable celui qui le manie ou l'utilise sans ménagement.

167.

— Un tourbillon ( ) de toutes sortes de formes ( ) s'est séparé du tout.

168.

— (Les disciples de Démocrite) appelaient les atomes : la nature. Dans le vide, ils sont projetés dans toutes les directions.

172.

— Les mêmes causes qui nous procurent des biens peuvent également nous causer des maux, tout en nous offrant le moyen de les éviter. Par exemple, l'eau profonde nous est fort utile, mais elle peut aussi nous être nuisible, car nous risquons de nous y asphyxier. Pour parer à ce danger on a trouvé un moyen : apprendre à nager.

175.

— Les dieux accordent aux hommes, maintenant comme jadis, tous les biens. Il n'est que ce qui est mauvais, dangereux et nuisible qu'ils leur refusent. Mais les hommes, d'eux-mêmes, s'y précipitent, en raison de l'aveuglement de leur esprit et de leur folie.

178.

— Le pis qu'on puisse apprendre aux enfants, c'est la frivolité ; elle provoque les plaisirs qui développent la perversité.

179.

— Si les enfants se laissent entraîner vers tout autre chose que le travail, ils n'apprendront ni la lecture, ni la musique, ni le sport, ni le sentiment de l'honneur, qui est la principale condition de la valeur. C'est par ces moyens que naît d'ordinaire et principalement le sentiment de l'honneur.

187.

— Pour l'homme, il convient de faire plus grand cas de l'âme que du corps. Car l'excellence de l'âme corrige la faiblesse du corps, mais la force corporelle, sans la raison, est absolument incapable d'améliorer l'âme.

214.

Le courageux n'est pas celui-là seulement qui triomphe de ses ennemis, mais celui qui triomphe de ses désirs. Quelques-uns se rendent maîtres des villes, mais se rendent esclaves des femmes.

217.

— Seuls sont aimés des dieux ceux qui ont en haine l'injustice.

230.

— Une vie sans fêtes est une longue route sans hôtellerie.

231.

— Sage est celui qui ne s'afflige pas de ce qui lui manque et se satisfait de ce qu'il possède.

232.

— Parmi les plaisirs, les plus rares sont les plus vifs.

234.

— Les hommes, dans leurs prières, demandent aux dieux la santé ; ils ignorent qu'ils ont en eux-mêmes la possibilité de se la procurer. Mais, par intempérance, ils font le contraire de ce qu'elle exige et, par leurs passions, la trahissent en quelque sorte.

235.

— Pour tous ceux qui tirent leurs plaisirs du ventre et dépassent la mesure en mangeant, en buvant et en faisant l'amour, ces jouissances sont courtes et ne durent que le temps de manger ou de boire ; par contre, elles s'accompagnent de peines nombreuses. Le désir des mêmes jouissances renaît sans cesse et, une fois atteint ce qu'il se proposait, le plaisir disparaît rapidement. Il n'y a là de bon qu'un instant de plaisir ; de nouveau on a besoin des mêmes satisfactions.

244.

Même dans la solitude, ne dis ni ne fais rien de blâmable. Apprends à te respecter beaucoup plus devant ta propre conscience que devant autrui.

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257.

— En ce qui concerne les êtres vivants, on peut ou non leur infliger la mort d'après la considération suivante : supprimer ceux qui font du tort ou veulent en faire, c'est ne commettre aucun crime. Bien plus, dans l'intérêt général, mieux vaut les faire périr.

258.

La mort, à quelque prix que ce soit, s'impose pour tous les êtres sans exception qui sont injustes et nuisibles ; en les supprimant, on s'assurera plus de tranquillité, de justice, de confiance, plus de biens et d'avantages de toutes sortes.

259.

— Ce que les lois autorisent contre certaines bêtes et serpents nuisibles, il nous faut le faire aussi, me semble-t-il, à l'égard des hommes. D'après les lois de la patrie et dans la mesure où aucune disposition légale ne l'interdit, on devrait partout supprimer l'ennemi public. Mais il arrive qu'en quelques pays, des édifices consacrés, des traités consentis et des serments échangés s'opposent à ce meurtre considéré comme illégal.

260.

Quiconque tue de sa propre main un voleur de grand chemin ou un brigand, ou encore le fait tuer par personne interposée ou fait décréter sa mort, doit être tenu pour innocent.

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265.

— Les hommes se rappellent plus volontiers les mauvais que les bons traitements. Et ce n'est pas sans raison. De même qu'il ne faut pas louer celui qui restitue un dépôt, il faut blâmer et châtier celui qui ne le rend pas. Il doit en être de même de celui qui exerce une fonction publique. On ne l'a pas choisi pour qu'il agisse mal, mais bien.

267.

Le commandement appartient naturellement au meilleur.

273.

La femme est beaucoup plus portée que l'homme aux actes imprudents et irréfléchis.

274.

— Parler peu, c'est une vraie parure pour une femme ; la simplicité dans la parure a de la beauté.

276.

— Je n'approuve pas chez l'homme la procréation, car dans le fait d'avoir des enfants j'aperçois de nombreux et considérables dangers ; j'y vois, au contraire, peu de satisfactions ; encore sont-elles minimes et sans poids.

277.

— Pour quiconque a besoin d'assurer sa descendance, le mieux, me semble-t-il, est d'adopter le fils d'un de ses amis. On aura un enfant tel qu'on le désire. On peut le choisir d'après ses propres goûts et d'après ce qu'on voit en lui de capacités et de dispositions naturelles à l'obéissance. Toute la différence vient de ceci : par l'adoption, on choisit à son gré un enfant dans la masse de ceux qui s'offrent à vous ; si l'on a soi-même un enfant, on est menacé des pires dangers. Force est bien de le garder tel que l'a fait la nature.

297.

— Quelques-uns, par suite de l'ignorance où ils sont de la décomposition réservée à notre nature, par suite aussi de la conscience qu'ils ont de leurs mauvaises actions, passent leur vie dans le trouble et l'angoisse, en imaginant des fables mensongères sur ce qui advient après la mort.

[1] Démocrite d'Abdère, Fragments.
Jean Voilquin, Les penseurs grecs avant Socrate, de Thalès de Milet à Prodicos, Garnier Frères © 1964 - GF Flammarion # 31, pp. 169-190.

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