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Le feu, Dieu et ses avocats

par François Brooks

Il est quand même curieux de penser que les supplices infligés aux Saints Martyrs Canadiens (Pères Brébeuf, Lallemand etc.) étaient de nature semblable à ceux imposés lors de l'Inquisition à Giordano Bruno, Jeanne d'Arc etc. Les premiers ont souffert sous les mains d'Iroquois sanguinaires anticléricaux alors que les seconds ont souffert sous des bourreaux engagés par le clergé d'alors. Sont-ce les idées chrétiennes de l'époque qui avaient l'heur d'inspirer des châtiments de cette nature? Les feux de l'enfer qu'ont subis les victimes étaient loin d'être une simple allégorie de l'esprit.

 

Si tant de philosophes ont cru bon devoir prouver que Dieu existe, c'est donc qu'ils admettent qu'il est légitime d'en douter. Mais pourquoi diable Dieu a-t-il eu, dans l'histoire, besoin de tant d'avocats pour défendre sa cause? N'est-il pas assez grand pour se défendre tout seul?

 

La bêtise humaine est amusante. Dieu, s'il existe, doit bien se bidonner.

 

N'ai-je pas lu quelque part dans la Bible qu'il est interdit de prononcer le nom de Dieu? On l'appelait alors l'Innommable. Il me semble que c'est encore la meilleure façon d'aborder le sujet : de ne pas en parler. Si Dieu a une quantité d'attributs si mirifiques et innombrables — on parle d'infinité ; ce n'est pas rien — que sommes-nous, nous, petits grains de sable, pour le nommer, l'interpeller dans nos prières-listes-d'épicerie ou encore usurper sa pensée en prétendant le représenter sous de fausses représentations présomptueuses? Qui sommes-nous pour prétendre parler en son nom? Malgré tout, aurions-nous enfin fini par comprendre ; puisque plus personne n'en parle?

 

Dieu représente aussi un paradoxe immense. On dit qu'il possède une infinité d'attributs et pourtant on dit aussi qu'il est unique. On peut parler de Dieu à toutes les sauces ; on peut aborder le sujet à partir d'autant d'angles différents qu'il y a d'individus qui veulent bien en parler. Et le contraire aussi, puisque refuser d'en parler est encore une double façon de l'aborder : premièrement, en niant son existence, ou deuxièmement, en lui accordant une telle importance qu'on refuse de s'octroyer le droit de dire quoi que ce soit à son sujet. Il n'est pourtant supposé exister qu'un seul Dieu. Beau paradoxe?

 

Le Dieu d'aujourd'hui nous ressemble comme leur ressemblait celui de nos ancêtres. Autrefois, Dieu enflammait les esprits et les bûchers. Dieu merci, aujourd'hui, il agit dans le chacun pour soi. On admet lui donner une place mais on refuse d'en parler. D'ailleurs, si on force notre interlocuteur par des questions insistantes, il n'apparaîtra qu'un Dieu un peu nébuleux et très personnel. Il y a belle lurette que Dieu n'agit plus dans les sphères communautaires. Dieu n'est plus l'idée qui réunit des groupes (ou si peu) mais plutôt un instrument d'unification personnelle, s'il en est. On n'a plus besoin de prouver son existence puisqu'on admet que le problème relève d'une question personnelle. On reconnaît aussi que la vie peut être parfaitement valable sans Dieu. Alors, pourquoi se casser la tête à embrigader les gens dans une croyance invérifiable alors qu'on a mille autres façons de les embrigader par la consommation? On consomme de tout et c'est rentable. Dieu ne l'est plus alors on l'oublie. Et c'est tant mieux, il avait tendance à échauffer les esprits.