Je pense, donc j'écris 

 

François Brooks

1997-10-08

Essais personnels

 

Être dans le pourquoi
ou dans le comment
Faire ou ne pas faire, voilà la question !

 

Récemment, une émission télévisée faisait l'éloge de madame Denise Filiatrault. Parmi les commentaires, une des personnes interviewées disait qu'elle n'était pas dans le pourquoi, mais dans le comment. Comme si les deux mots pouvaient représenter des positions existentielles opposées, cette remarque attira mon attention. J'ai ensuite imaginé que je pouvais situer chacune de mes actions sur un axe aux extrémités duquel se placent le pourquoi et le comment.

Quand je me propose de faire quelque chose, pour donner un sens à mon action, la question du pourquoi se pose immédiatement.
Par exemple :
Pourquoi irais-je à l'école ?
Pourquoi suis-je en vie ?
Pourquoi est-ce que je pose telle ou telle action ?
Pourquoi est-ce que j'élabore tel ou tel projet ?

Ce type de question oblige un arrêt de l'action et celle-ci ne peut reprendre que si je me suis donné une réponse satisfaisante. Elle peut devenir encombrante lorsqu'elle bloque l'action. Depuis vingt ans, par exemple, je n'ai pu répondre à la question : Pourquoi devrais-je acheter une automobile ? Ainsi, depuis tout ce temps, je vis sans. Chaque fois que je vois une pub m'incitant en acheter une — Dieu sait si elles sont nombreuses — j'essaie de répondre à la question. Je m'étonne de penser que depuis tout ce temps, on a dépensé des milliards de dollars en publicité et qu'on ne m'ait jamais présenté de raison suffisante pour contrer les inconvénients qu'elle représente à mes yeux.

L'autre question, le comment, pose un obstacle d'une tout autre nature.
Par exemple :
Comment aller à l'école ?
Comment se fait-il que je sois en vie ?
Comment devrais-je m'y prendre pour exécuter telle ou telle action ?
Comment devrais-je élaborer tel ou tel projet ?

Ce type de question peut aussi bloquer l'action, mais le blocage est plutôt circonstanciel. Par manque d'argent, de ressources ou d'information, un projet peut se trouver bloqué. S'il n'y avait que cette question à répondre, il y a belle lurette que j'aurais acheté une voiture. J'ai l'argent, je sais sur quels critères me baser pour effectuer le meilleur choix, et je saurais où en trouver une qui convienne. Je peux, mais je ne veux pas. Pour que l'action se produise, il faut donc un double oui ; c'est une question de volonté et de possibilité.

Bien des gens voudraient arrêter de fumer, mais ils ne peuvent pas. Ils savent que le pourquoi ils fument est sans fondement positif. Tout les incite à arrêter : santé, rejet social, longévité, qualité de vie, économie. Les raisons qui les ont amenés à contracter cette habitude ne tiennent plus, mais ils doivent répondre à la question comment arrêter. Tant qu'ils n'auront pas les ressources et l'information nécessaires sur les moyens de se défaire de ce narcotique sans ressentir les désagréments physiques de la carence en nicotine, ils continuent à fumer.

Dans le feu de l'action, lorsque je suis passionné pour quelque chose, mon esprit est entièrement occupé à répondre aux comment successifs que posent la réalisation de la chose qui me passionne. L'excitation est une motivation suffisante pour répondre au pourquoi. Pourquoi ? « Pour le fun. » Comment ? « Élaborons la procédure. » La réponse au comment alimente souvent le fun, ainsi, le pourquoi disparaît et ne se pose plus. De nombreux gadgets électroniques me passionnent, ne serait-ce que pour le plaisir d'en découvrir le fonctionnement. Aussi j'achète, même si je n'en ai pas besoin, c'est-à-dire même si je n'arrive pas à répondre au pourquoi.

Lorsque je me sens fatigué, dépressif ou indécis, si je veux agir, arriver à quelque chose, je dois, comme Denise Filiatrault, occulter le pourquoi des choses, refuser de trouver une raison ou un sens à la vie, car celle-ci me semble dérisoire, et je n'arrive pas à agir. Je dois plutôt me concentrer sur le comment. Plus tard, je me réjouis d'avoir réalisé quelque chose. Cette réalisation participe au retour de ma bonne humeur. C'est un moment où le temps s'arrête et que la joie envahit tout mon être. Submergé dans l'impasse émotionnelle qui me semble permanente, je dois m'efforcer de croire qu'elle n'est pas immuable. L'action que j'entreprends alors m'est salutaire. Elle détourne l'attention de mon esprit. La mauvaise humeur étant une sorte d'hormone qui circule dans les veines, elle produit mon état d'âme. Je tire avantage à bouger lorsque je cherche à l'améliorer. En attendant qu'elle passe, j'essaie aussi d'appliquer une meilleure hygiène de vie : alimentation, sommeil, activité physique, affection.

Philo5
                Quelle source alimente votre esprit ?