970929

Autres pouvoirs, autres mœurs

(Suite à la diffusion du film sur Thomas Jefferson, 3e président des USA)

par François Brooks

Loin de moi l'idée de critiquer la façon dont cet homme a conduit sa vie ; à sa place, j'aurais fort probablement fait la même chose. Mais cette romance historique encense le comportement d'un homme qui, s'il faisait de même aujourd'hui serait accusé de tous les maux. Lors de son séjour en France, on l'accuserait d'adultère pour s'être amouraché d'une femme déjà mariée. On l'accuserait d'être un père absent pour avoir cloîtré sa fille dans un pays étranger sans presque jamais aller la voir. Pire encore, on l'accuserait d'abus de pouvoir, de détournement de mineure, de pédophilie et d'agression sexuelle sur sa jeune esclave noire de 15 ans qui a joué le rôle de sa femme dans son lit et à laquelle il a fait plusieurs enfants. Je me demande presque pourquoi ce film n'a pas été censuré sur la chaîne d'État qu'est Radio-Canada, eux qui se font un devoir de dénoncer à grandes pompes dans leur téléjournal tout écart moral en ce sens. Tous les jours, nous voyons étalé sur la place publique un drame familial dont la TV fait de nous les juges et les voyeurs. En deux heures dans un film humaniste, nous sommes amenés à comprendre les motivations d'un homme dont le comportement présenté en deux minutes au téléjournal ferait de lui un vil criminel à nos yeux.

 

C'est comme pour la violence supposément dénoncée dans les films présentés à la télé ; pourquoi ne censure-t-on pas la réelle violence criminelle présentée chaque soir aux nouvelles à l'heure où les enfants sont encore debout? Si j'ai bien compris, il est plus moral de voir et de connaître les détails de la violence réelle que ceux de la violence fictive.

 

Tout psychologue vous dira, tout comme le philosophe grec Aristote, que la violence fictive présentée dans une mise en scène a un effet de catharsis. L'art doit purifier le spectateur dans la mesure où il s'identifie à ce qui est présenté et peut, par là, se libérer de ses propres affects en les projetant sur un autre plan. Cependant, je suis loin de croire que la violence réelle présentée au journal télévisé ait les mêmes effets. N'a-t-on pas cessé de rapporter les suicides pour éviter l'effet d'entraînement que leur publicisation avait? Pourrait-il en être de même pour les crimes?

 

Je ne sais pas, dans ce cas, qu'est-ce qui serait moral ou non ; mais ce qui me gène, c'est la contradiction dans la position de Radio-Canada qui me semble, par ses choix, nous proposer une morale à deux vitesses. Et ça me gène encore d'autant plus qu'elle jouit de l'autorité que lui donne sa position de diffuseur publique de l'État. Mais que serait le téléjournal sans les crimes violents, les morts sur la route et les affaires de mœurs? Le télédiffuseur perdrait-il une partie de sa précieuse cote d'écoute, laquelle est vitale pour les revenus publicitaires? Jetta et Cie iraient peut-être annoncer ailleurs. C'est ici que la morale se boucle. Tout comme le pouvoir et l'argent de Thomas Jefferson lui permettaient de vivre selon sa morale, aujourd'hui, c'est l'argent de Volkswagen et Cie qui tord la morale de notre télévision d'État. Soyez assez riche et vous aurez le pouvoir d'imposer votre morale.