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Les idoles[1]

par François Brooks

Nous vénérons les idoles, c'est plus fort que nous ; il semble même que l'être humain soit fabriqué pour ça.

 

Chez les Juifs de l'antiquité, Moïse avait de la misère avec son peuple qu'il conduisait dans le désert. Il a dû combattre les idoles et le veau d'or pour imposer Dieu le seul, l'unique. Chez les Grecs de l'antiquité, c'était pareil. Il y avait bien un Dieu suprême mais il y avait aussi toutes sortes de petits dieux et déesses subalternes auxquels il fallait rendre des dévotions. Jésus-Christ est arrivé pour professer la foi en un seul et unique Dieu.

 

L'église Catholique est tombée dans le même panneau avec ses saints, ses statues et ses icônes. Ce sont les protestants qui ont mis le holà! Pour revenir à la forme la plus simple de spiritualité où on s'adresse à Dieu seul, directement. Ils ont su protester contre les idoles qui font écran entre Dieu et les humains.

 

Aujourd'hui, même si la notion d'esprit scientifique impose une seule et unique démarche cartésienne, laquelle est appuyée sur l'idée d'un Dieu unique, parfait et infini, la multiplication et le foisonnement des idoles n'ont jamais été si forts. La technologie aidant, on nous fait même miroiter les opportunités d'en devenir une. Qui n'a pas déjà rêvé ou ne rêve-t-il pas encore de devenir une vedette de cinéma, de la chanson ou du monde littéraire. La reconnaissance des autres est le miel qui flatte l'ego et dynamise la vie. Dieu est difficile d'accès dans nos petites vies mornes et plates de consommation. Il est plus facile d'y accéder à travers une idole inspirée.

 

Mais la muse n'est malheureusement pas toujours au rendez-vous et ça donne parfois, pour ne pas dire souvent, des idoles plates et insipides. Je me demande pourquoi les fans continuent d'applaudir même quand le spectacle est mauvais? Par politesse peut être. Je dois aussi reconnaître que les jeunes ont besoin des idoles pour se fabriquer des souvenirs et les plus vieux des leurs pour se raccrocher à la jeunesse qui les habite encore. Pour ma part, j'ai déjà payé ma place. J'estime cette contribution suffisante. L'effet d'entraînement de la foule ne me fera pas applaudir à moins que je sois touché par la magie du spectacle ou de l'œuvre.

 

Ce qui attire mon admiration pour une idole c'est, avant tout, sa modestie. L'artiste s'efface devant la muse divine qui le visite et il tâche de ne rester que l'humble accessoire de Dieu et c'est à lui qu'il s'adresse lorsqu'il s'incline devant le vox populi de nos applaudissements. Aussi, je ressens très bien son malaise au début d'un spectacle lorsque l'idole fait un geste pour faire taire les applaudissements démesurés avant même que la muse se soit manifestée. À sa place, j'aurais l'impression d'usurper les honneurs dus à la muse. Et que penser des fans qui, n'ayant rien compris à la magie, s'emparent de la vedette en prolongeant démesurément les applaudissements. Les artistes ont parfois une patience admirable.

 

Les cons, et j'en suis trop souvent, vont dire que l'idole était sublime, merveilleuse et cetera et ils vont lui vouer un culte en joignant son fan club. Les autres vont rentrer chacun chez soi en appréciant la sensation de bien-être que procure le spectacle d'un être inspiré lorsqu'on a la sensation de s'être, pour un moment, rapproché de Dieu. Ils vont souhaiter que, la prochaine fois, la magie se reproduise et que l'artiste soit à nouveau inspiré.

 

S'il y a, dans mon espace intérieur, un endroit où j'arrive à m'approcher de Dieu, je garderai cet endroit secret pour ne pas le perdre lorsque, mis à la vue de tous, on pourrait m'en détourner en m'adressant une admiration qui ne serait due qu'à Dieu. Les artistes risquent de tomber dans ce piège à tout moment et je crois que ça leur prend une force très grande pour garder l'humilité de ne pas devenir une idole. On dit que Jésus-Christ, comme tous les prophètes inspirés, est venu nous montrer la voie, mais que les gens sont restés les yeux fixés sur le bout de son doigt. De la même façon, l'artiste inspiré est un index qui pointe vers le lieu où se trouve une lueur pour éclairer nos vies ; c'est cette lueur qu'il faut rechercher. Ne pas se laisser séduire par l'outil...

 



[1] Lire le texte de Léo Ferré  : « Les idoles n'existent pas »