970922

L'imbécillité n'a pas de parti

par François Brooks

On naît avec ce que la vie nous donne et chacun fait de son mieux compte tenu des circonstances qui nous adviennent. Il se peut que certains aient besoin d'aide pour améliorer leur sort et c'est formidable de pouvoir rencontrer des personnes qui ont suffisamment de générosité pour se prêter à l'amélioration des choses. Mais lorsque ces dernières arrivent avec leur superbe, elles me font penser à cette dame vêtue luxueusement qui, croyant bien faire, va aider les indigents. La bonté qu'elle affiche est un apparat, tout comme son vêtement. Pour vaincre la misère, il faut d'abord démontrer de l'empathie envers ceux qui souffrent. Et l'empathie, ça commence par un acte de modestie. Madame Groult, vous suscitez peut-être l'admiration de certaines femmes idolâtres, comme le démontre madame Bombardier lorsqu'elle vous interview. Vous êtes son phare. Mais, à mes yeux, vous êtes un phare bien pâle en comparaison de mère Thérésa qui avait compris que son action était nécessaire auprès des hommes comme des femmes.

 

Comme si l'oppression appartenait à un sexe, vous dressez les hommes contre les femmes alors que c'est la misère qu'il faut combattre. À commencer par la misère intellectuelle si répandue chez les gens instruits comme vous. Le bon sens n'a pas de sexe et la bêtise non plus. Et je refuse d'avoir à me sentir coupable qu'il se produise une injustice parce que l'analyse intellectuelle d'un problème fait en sorte de créer une catégorie d'oppresseurs dans laquelle on m'inclue simplement parce que j'ai des couilles entre les jambes, un salaire décent pour vivre ou de quoi manger à ma faim tous les jours. À vous entendre l'humanité tout entière devrait se sentir responsable et se sentir préoccupée par le problème à chaque fois que quelqu'un se livre à des actes abominables. Le monde est ce qu'il est depuis bien avant que je n'arrive au monde et, quelle que soit la suite des grands êtres qui y soient venus, l'humain a ce défaut qu'il n'est pas parfait et qu'il est parfois plutôt misérable. Ainsi, si aucun Jésus, Mahomet, Lao-tseu, Gandhi ou Einstein n'a pu éliminer les tares humaines, comment le pourrais-je? Je suis loin de croire que la culpabilité personnelle, dont les paroles des justiciers semblent vouloir m'accabler, n'y apporte quoi que ce soit.

 

Ce qui m'empêchera toujours d'être raciste, féministe ou de m'engager à fond dans un groupe quelconque, c'est que l'imbécillité est répartie de façon uniforme sur la planète et ainsi, quel que soit le parti auquel j'ai adhéré, elle n'est jamais très loin. C'est aussi ce qui m'empêchera toujours de proférer des généralités en catégorisant les gens qui appartiennent à une profession, un sexe, une classe sociale, une minorité ou une majorité. Je veux garder ma liberté intellectuelle et pouvoir critiquer au besoin un noir, un médecin, un homosexuel ou un membre de ma famille sans laisser mon esprit se gêner du fait de sa particularité. Ce qui me console, c'est qu'il en est de même pour le bon sens ; je crois que celui-ci est aussi réparti de façon uniforme sur la planète et dans toutes les couches de la société. Et puisque l'imbécillité me guette, comme elle guette tout le monde, je souhaite ardemment qu'on me remette ce texte sous le nez lorsque je proférerai des généralisations.

 

... Il faudrait peut-être que je me relise. Aurais-je pu proférer quelque généralisation dans ce que je viens d'écrire?