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Ici la modestie Radio-Canada

(Suite à l'émission d'ouverture de la nouvelle saison à la télévision)

par François Brooks

Un auditeur admiratif avait envoyé, sous forme d'une question, son appréciation du talent de monsieur Blanchard : « Comment faites-vous, monsieur Blanchard pour être si méchant dans la série Omerta et si gentil dans la série Virginie? » Nous avions tous compris que l'auditeur voulait le féliciter pour son interprétation qui lui semblait très convaincante. Mais cette question contenait aussi un piège dans lequel monsieur Blanchard est tombé immédiatement. Il aurait pu simplement répondre : « Merci. J'estime que votre question est un compliment et je l'apprécie. Je travaille beaucoup pour interpréter mes personnages et je suis heureux d'apprendre que mes efforts ne sont pas inutiles. » Ou bien, sur le ton de l'humour, il aurait pu répondre en boutade, quelque chose comme : « Ce sont deux rôles qui me permettent d'équilibrer le Yin et le Yang de mon moi profond, si je n'en jouais qu'un seul je m'en sentirais déséquilibré. » Mais non, il a répondu présomptueusement : « Hé bien, ça vous prouve mon talent de comédien! » C'est dommage, il a manqué une belle occasion de nous faire voir une qualité admirable : la modestie.

 

Cette émission m'a laissé sur un certain malaise. J'ai vu beaucoup de gens talentueux qui étaient imbus de leur personne et qui passaient leur temps à se renvoyer l'ascenseur. Je me suis senti minable de penser que j'aurais probablement fait la même chose si j'avais été à leur place.

 

Tout flatteur vit aux dépens de celui qui l'écoute ; c'est une maxime bien connue. Mais de quoi peut donc se nourrir le flatteur des stars. Je consomme moi-même beaucoup d'émissions télévisées, de films, de livres et de disques. Il m'arrive parfois d'avoir le goût de flatter l'ego de mes stars personnelles. Je pense que c'est parce que je me nourris de leurs émotions sans lesquelles ma petite vie plate et sécuritaire me semblerait bien monotone. Ils m'apportent joie, peine, amour, haine etc. Ils apportent l'eau au moulin de ma réflexion ; ils enflamment mon esprit. Bref, ils animent mon âme. Ma muse a besoin de la leur pour s'inspirer.

 

Mais ce sont souvent des gens hermétiques, des êtres gonflés d'orgueil avec parfois des personnalités exécrables. Et pour tout dire, je les jalouse parce que leur métier leur permet de toucher deux salaires alors que le mien ne me permet d'en toucher qu'un seul. Je jalouse la gloire dont ils profitent. Ce salaire supplémentaire leur permet de prolonger leur existence au travers des yeux et des oreilles des gens qui les écoutent et il leur donne la possibilité se perpétuer par une éventuelle renommée à venir.

 

Pourtant, je n'envie pas l'envers de leur médaille. Ils ont des textes à apprendre par cœur, ils n'ont pas la sécurité d'emploi et ils peuvent être critiqués. C'est pourquoi je me contente de mon petit emploi sécuritaire d'électricien d'éclairage pour la ville de Montréal. Et si parfois il m'arrive de manquer de modestie, je ne risque pas d'avoir des milliers de personnes pour le remarquer et qui pourraient m'infliger la honte en me le disant. Oubliez ce que j'ai dit sur vous monsieur Blanchard. Bravo monsieur Blanchard pour votre talent de comédien!