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Travail forcé pour les enfants

par François Brooks

Je trouve bien bizarre notre société bien-pensante qui s'indigne devant le fait que, dans certains pays, l'on fasse travailler des enfants parfois même lorsqu'ils sont très jeunes. On se scandalise en disant qu'on leur vole leur enfance.

 

Alors qu'ici, on soumet nos enfants à un régime d'études forcé, à temps plein, que ça leur plaise ou non, dès l'âge de six ans. On les rémunère selon un système de pointage qui les encourage à continuer s'ils sont de bons chiens savants ou qui détruit leur estime de soi s'ils sont “rebelles” à l'apprentissage. Et tout ça en leur faisant miroiter la carotte bidon qu'ils auront, au terme de leurs études, les “qualifications” nécessaires pour occuper un emploi rémunérateur dans une branche d'activité qu'ils aimeront et par lequel ils s'épanouiront.

 

Gagner le privilège de travailler 40 heures par semaine, 50 semaines par année, avec pour seules vacances, 80 semaines pour toute une vie de travail de 25 ans à la retraite de 65 ans : “Big deal”! Et on s'étonne du suicide chez les jeunes? Ce qui est étonnant, c'est qu'il n'y en ait pas davantage de suicides.

 

Et pour les plus doués, au terme de laborieuses études réussies, il n'y a même pas de garantie d'emploi.

 

Et pour rachever le plat, ceux qui auront la chance d'être embauchés auront vite le choc de leur vie en apprenant qu'ils devront oublier plus de 90% de ce qu'on leur aura enseigné puisque la réalité, sur le marché du travail, est, la plupart du temps, tout autre que la théorie apprise sur les bancs d'école.

 

On a appris à nos jeunes que nous vivions dans une société juste basée sur le mérite et qui donne à chacun ce dont il a besoin pour peu qu'il travaille et démontre du bon vouloir, alors que nous vivons dans une société de privilèges où le droit au travail est accordé à une caste de détenteurs de cartes de (supposé) compétence régies par des associations professionnelles reconnues par la loi. Ça me fait penser à la petite mafia du Centre des Loisirs de L'Assomption lorsque j'avais 10 ans et que je voulais planter des quilles. J'avais dû donner la moitié de tous mes revenus à un grand qui me permettait d'y travailler sous peine de me faire casser la gueule. Aujourd'hui c'est pareil : je dois donner 50$ chaque année pour obtenir le droit d'exercer mon métier en renouvelant ma carte de compétence. (En plus des 30% d'impôt, des 3000$ de taxe municipale et scolaire et des 14% de TPS et TVQ sur mes achats.)

 

Et ce n'est pas tout : Ces jeunes se rendront bientôt compte que le bel emploi qui est supposé leur apporter l'épanouissement personnel n'est en fait qu'un exercice quotidien d'abandon servile aux caprices d'un boss inconscient d'être au service d'objectifs dérisoires : une société de consommation qui, par définition, consiste à envoyer au rebut le plus rapidement possible ce qu'elle produit. Société de consommation qu'il n'est plus très à la mode de critiquer ; ce serait comme essayer d'informer un poisson qu'il vit dans l'eau.

 

Cette société de consommation possède, la vilaine, des mécanismes d'asservissement très efficaces : l'endettement collectif et l'endettement personnel. Cet endettement permanent a remplacé le système de paradis promis des années religieuses. Notre foi actuelle consiste à croire que lorsque nous aurons remboursé nos dettes, nous serons plus riches et libres de dépenser notre argent comme bon nous semblera, alors que, l'inflation aidant, le paradis promis est sans cesse repoussé dans un avenir plus éloigné. Les déficits chroniques, qu'ils soient personnels ou publiques sont devenus l'ennemi # 1 à juguler. Alors qu'on est tellement occupé à combattre ceux-ci, on ne parle même plus de rembourser les dettes qu'ils grossissent chaque année. C'est dire qu'il y a maintenant deux niveaux de paradis à atteindre : celui après l'élimination des déficits et l'autre : après l'élimination des dettes. Va-t-on bientôt en inventer un autre niveau encore plus préoccupant pour nous cacher l'impasse des deux premiers.

 

Qui donc échappe à ce système d'esclavage maudit qui engloutit nos vies? Les riches, suffisamment riches pour être affranchi de devoir subordonner leur temps à assurer leur survie. Et les pauvres, suffisamment pauvres pour ne plus rien avoir à perdre. Ces derniers sont riches de leur temps parce que l'état leur donne l'argent nécessaire à la survie mais ils sont coincés dans une société de consommation qui leur martèle en tête son dogme à force de publicité omniprésente.

 

Nous aurions besoin, je crois, d'une autre Révolution Tranquille puisque j'ai l'impression que celle des années soixante, qui nous a libérés de l'asservissement catholique, nous a plongés dans celui de l'asservissement à une société de consommation. Nos églises sont maintenant les centres d'achats qu'ils soient virtuels ou concrets.