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Travail à vie

par François Brooks

Il semble que je ne sois destiné, pour le reste de ma vie, qu'à travailler. Encore qu'en travaillant pour la Ville de Montréal, je bénéficierai, pour les 23 années qui me séparent de ma pension de :

           

     4 semaines de vacances pour les 8 prochaines années,  = 32

  + 5 semaines de vacances pour 5 autres années et             = 25

  + 6 semaines de vacances pour les 10 dernières années.   = 60

           

Pour un grand total de 117 semaines de vacances ; soit 2 ans et 3 mois pour toute ma vie adulte. Ensuite, lorsque je serai vieillard, à ma pension, j'aurai enfin la liberté d'être oisif et de faire tout ce dont je n'aurai plus la force, l'enthousiasme ni l'intérêt de faire. Quelle dérision que cette vie partielle qui me reste! Je pourrais toujours me donner congé de travail tout de suite pour les 27 semaines de vacances que j'aurai d'ici à ma pension mais comment pourrais-je avoir assez d'argent pour faire tout ce que je voudrais? Sur quel budget pourrais-je faire le tour de la planète et lire tous les livres qui m'intéressent? Si je n'avais pas mon petit patrimoine à devoir d'abord manger avant que l'État ne me fasse vivre, je serais grandement tenté de vivre sur le Bien-Être Social pour récupérer le loisir de faire ce que je voudrais de ma vie. Je me sens comme un esclave qui devra encore travailler 23 ans pour racheter sa liberté.

 

Peut-être devrais-je sérieusement réfléchir à réduire considérablement mon train de vie pour racheter du temps de vie.

 

Quelle drôle de vie passée à travailler! Au fait, nous ne sommes pas si différents des abeilles. Et encore que je bénéficie de conditions privilégiées comparativement à un travailleur sans autres avantages sociaux que ceux qui lui sont conférés par les Droits des travailleurs.

 

Un jeune qui finirait ses études à 25 ans et qui travaillerait 40 ans jusqu'à sa retraite, avec 2 semaines de vacances annuelles, n'aurait en tout que 80 semaines à vivre en toute liberté dans toute sa vie adulte.

 

Face à ces petits calculs rapides, il n'est pas étonnant que de jeunes adultes choisissent parfois le suicide. Ils ont été élevés dans une mentalité de liberté et ils tombent en esclavage dès qu'ils entrent sur le marché du travail. On dit souvent qu'ils se suicident parce qu'ils manquent de perspective d'avenir et que le marché de l'emploi leur est difficile d'accès, sinon bouché. Mais pour moi, même avec un emploi, la perspective de l'esclavage à vie me porterait à vouloir en finir avec cette vie de fou à travailler.