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Pourquoi je m'écris ?

par François Brooks

*  Je m'écris parce que j'ai besoin de parler à quelqu'un et que je suis seul. Et j'ai peur de passer pour un fou si je me mets à parler tout seul. (Et dire qu'on est combien de milliards sur la planète ?)

 

*  Je m'écris comme les fous se parlent tout seul. En me targuant de ne pas être fou, je me parle à moi-même avec un stylo. Et c'est commode : la mémoire du stylo a un plus long cours que celle de la parole.

 

*  Je m'écris avec la vague satisfaction que je suis peut-être en train d'écrire à quelqu'un de compatissant qui, dans un futur quelconque me lira avec empathie et toutes ces émotions que je voudrais que ressente cet idéal lecteur imaginaire.

 

*  Je m'écris comme je me regarde dans un miroir ; mes phrases étant le visage de ma pensée. Je peux ainsi observer celle-ci comme si je regardais quelqu'un d'autre. Ainsi je me dédouble et ça réduit ma solitude.

 

*  Je m'écris parce que ça ne coûte rien. Un thérapeute me coûterait une fortune ; je parle tout le temps.

 

*  J'écris parce que j'ai besoin d'évaluer le modèle du monde que je me suis fabriqué. Ainsi, je peux l'examiner à loisir et, au besoin, le modifier. Pourquoi ai-je besoin d'un modèle du monde ? Pour comprendre mon existence. Donner des lignes (schémas) à mon cortex qui a besoin d'ordre pour soulager son angoisse. Les animaux n'en ont pas besoin ; ils vivent dans une telle immédiateté.