991012

L'illusion du temps

par François Brooks

Si le temps existe, c'est qu'on a une mémoire qui se souvient, qui actualise dans le moment présent, deux événements : la pensée imprégnée d'un temps révolu et la pensée actuelle. Dans notre esprit, ces deux impressions sont présentes simultanément. La conscience simultanée de ces deux représentations des choses, le passé et le présent, donne l'illusion de l'existence du temps.

 

Le cerveau compare deux représentations du monde présentes en lui et invente le temps parce qu'il sait que les deux n'ont pas été enregistrées simultanément : il peut dire laquelle lui est apparue la première.

 

Le temps reste, c'est quelque chose de permanent et d'immédiat qui, en soi, n'existe pas. Il faut une mémoire pour qu'il apparaisse. Sans mémoire, le temps disparaît et fait place à un présent éternel et permanent.

 

En regard de ce qui advient de nous après notre vie, cette réflexion m'amène à penser que c'est la dernière seconde de notre vie qui devient éternelle au moment de notre mort. Parler d'éternité, ce n'est pas parler d'un temps très long qui n'en finit plus de s'allonger mais plutôt parler d'un temps arrêté et qui n'en connaîtra plus d'autres. C'est un état permanent et immuable.

 

L'idée d'un toujours/jamais est monstrueuse pour un esprit vivant qui a de la mémoire. L'idée d'un état stable et permanent n'a rien de monstrueux si la vie disparaît. C'est le repos éternel vu de l'inquiétante perspective des vivants ou encore, le (repos) permanent de la perspective des non-vivants. Si toutefois il est concevable de parler de la perspective d'un non-vivant. Il faut, bien sûr, être en vie pour avoir une perspective des choses.

 

La mémoire, c'est la partie morte, permanente, d'un être vivant. Quand je dis « vivant », je parle d'un être capable d'avenir, dont le futur est renouvelé à chaque instant.

 

De cette perspective, la mort n'a aucun sens pour un être vivant, elle lui est inconcevable. C'est comme essayer d'expliquer la sécheresse à une goutte d'eau. L'être ne peut concevoir le non-être puisque sa qualité essentielle est l'existence. C'est peut-être ce qui nous effraie tant de la mort : elle est inconnaissable.